Après un premier trimestre plutôt serein, le secteur de l'éducation est à nouveau dans la tourmente. Pas moins de sept syndicats débrayent aujourd'hui et demain. Ils replongent le secteur dans la spirale des grèves de laquelle il n'arrive plus à sortir depuis une dizaine d'années. Les ministres qui se succèdent à sa tête ne font que se léguer des problèmes en suspens et jamais définitivement réglés. En arrivant à la tête du ministère de l'Education, Nouria Benghebrit succédait à Baba Ahmed. Ce dernier venait de faire les frais d'une gestion catastrophique d'un bras de fer avec les syndicats du secteur. Le chef du gouvernement avait dû confier le dossier à son homologue chargé de la réforme du secteur public. C'était une première. C'est dans ce contexte qu'est arrivée Nouria Benghebrit. Dès son installation, elle fera part de sa disponibilité à discuter avec les partenaires sociaux. Des rencontres régulières sont organisées à tel point que la ministre de l'Education ne cachait plus son irritation de ne pas pouvoir consacrer assez de temps au volet pédagogique. Elle venait d'hériter d'un des secteurs les moins stables. La grève d'aujourd'hui et de demain vient rappeler que la stabilité du secteur est des plus fragiles et peut à tout moment être menacée. C'est que, depuis des années, le gouvernement tergiverse et fait un pas en avant pour mieux reculer par la suite. C'est le cas dans le très controversé dossier du statut particulier. Principal revendication des syndicats, sa réouverture était considérée, il y a très peu de temps, comme la ligne rouge à ne pas dépasser. Les syndicats étaient avertis : pas question de le réviser Datant de 2008, ce statut avait fait l'objet d'une discussion à nouveau en 2010. Sous la pression de la grève, le gouvernement avait enfin concédé à réviser les articles controversés dudit statut. Une révision à la hâte qui avait, encore une fois, donné lieu à des inégalités. Ce sont justement ces dernières qui mobilisent à chaque fois les syndicats. Revirement de situation : le gouvernement concède enfin à rouvrir ce dossier. De l'aveu même de la ministre de l'Education, ce statut est truffé d'inégalités. Il fera l'objet de discussions qui devront s'étaler sur cinq années. Il s'agit là d'un acquis incontestable pour les syndicats qui, il y a si peu de temps, se heurtaient à une fin de non-recevoir. En dépit de cette «concession», les syndicats campent sur leur position. Ils débrayent, exigeant de la ministre de l'Education la concrétisation de revendications faisant déjà l'objet d'un accord préalable. Un débrayage de trop ? C'est certainement le cas, du point de vue de la ministre de l'Education mais également des parents d'élèves qui ne cautionnent pas la prise en otage de millions d'élèves. Nawal Imès Benghebrit face au conflit Contrairement aux années précédentes, l'année scolaire 2014-2015 n'a pas connu de perturbation pédagogique particulière, si ce n'est le mouvement de protestation des intendants, en novembre dernier, et la grève annoncée à compter d'aujourd'hui par la coordination syndicale de l'éducation. Un constat qui nécessite décryptage. Abder Bettache - Alger (Le Soir) L'arrivée de Nouria Benghebrit aux commandes du département de l'éducation s'est faite d'une manière singulière. En dehors des commentaires et autres rumeurs qui ont suivi sa nomination, Nouria Benghebrit n'a pas connu ce que ses prédécesseurs avaient vécu à l'entame de chaque année scolaire. En effet, pour la première fois depuis plusieurs années, la rentrée scolaire s'est déroulée sans la moindre perturbation. Un atout qui a joué depuis en faveur de celle qui a succédé à Baba Ahmed à la tête du ministère de l'Education. Face à cet état de fait, plusieurs questions se posent, notamment sur les facteurs de cette «particularité». Le premier est relatif au fait que les syndicats de l'éducation ont enterré durant plusieurs mois la hache de guerre. Ainsi, la revendication syndicale première, à savoir la revalorisation salariale, a été largement satisfaite depuis la promulgation du statut particulier de l'enseignant avec effet rétroactif de la hausse des salaires. Le second facteur réside dans la baisse de la mobilisation «citoyenne» en faveur des enseignants protestataires. Il est vrai que ces deux facteurs sont étroitement liés. Les parents d'élèves sont montés au créneau pour «crier haut et fort» leur colère face à ce qu'ils ont qualifié de «jeu malsain du devenir des enfants», notamment au lendemain de la révision à la hausse des salaires. Pour rappel, ces cinq dernières années, il ne passait pas un semestre sans que les établissements scolaires et les élèves ne soient pris en otage par le climat «délétère généré par les revendications socioprofessionnelles du personnel enseignant». Il y a quatre ans de cela, la situation avait atteint un tel degré de gravité, que la perspective d'une année blanche s'était profilée à l'horizon. Selon des observateurs, la montée au créneau des associations des parents d'élèves à cette époque avait constitué un tournant décisif dans le dénouement de la crise. Enfin, le dernier élément ayant précipité la «décantation» concene l'arrivée de Nouria Benghebrit aux commandes du département de l'éducation. Technocrate non habituée aux rouages politiques du système algérien, celle qui avait succédé à Abdelatif Baba Ahmed bénéficiait de plusieurs atouts ayant plaidé sa cause auprès de l'opinion publique nationale. En effet, avant sa nomination à la tête de l'éducation, elle avait déjà côtoyé plusieurs ministères. Elle a été membre de la commission du ministère de la Justice, de la commission du ministère de la Famille et de la Condition féminine, et également du ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière. Son portefeuille ministériel est considéré comme le point culminant de sa carrière. Elle compte profiter de sa connaissance du secteur de l'éducation pour mener enfin une réforme en profondeur de l'éducation nationale. Un défi à relever même si elle fait face, à compter d‘aujourd'hui, à une première épreuve du terrain de la contestation sociale. A. B. L'Association nationale des parents d'élèves condamne L'Association nationale des parents d'élèves condamne le mouvement de grève de deux jours que les syndicats du secteur de l'éducation déclenchent à compter d'aujourd'hui. Khaled Ahmed, président de ladite association, estime que le moment est mal choisi en raison de l'approche de la période des examens du deuxième trimestre, programmée pour la fin du mois en cours. «Nous avons eu plusieurs contacts avec les différents syndicats pour leur demander de faire une trêve, au moins pendant cette année scolaire et laisser les élèves terminer le programme dans de bonnes conditions», a indiqué Khaled Ahmed. Selon lui, la ministre de l'Education nationale n'a jamais fermé les portes du dialogue avec le partenaire social et depuis son installation à la tête du ministère, elle a engagé de larges concertations et tout ce qu'elle demande c'est de lui accorder du temps pour pouvoir étudier et trouver des solutions aux préoccupations des enseignants. «Les syndicats sont reçus au ministère de l'Education autant de fois qu'ils le demandent», estime ce parent d'élève. Selon lui, Benghebrit s'attelle à trouver des solutions aux différents problèmes du secteur mais elle ne pourra pas y arriver sous la pression. D'ailleurs, estime le président de l'association, le problème principal sur lequel les syndicats doivent se pencher n'est pas la grève mais plutôt la surcharge des classes, la cantine scolaire, le transport et la déperdition scolaire. L'association des parents d'élèves dit soutenir les revendications légitimes des enseignants et demande l'amélioration de leurs conditions de travail car cela va du devenir de l'élève mais le recours à la protestation, souligne-t-on, n'est pas la solution. «Nous ne soutenons pas ceux qui privent les élèves de leur droit éducatif. Nous sommes le seul pays au monde où le secteur de l'éducation connaît des grèves illimitées», déplore l'association des parents d'élèves. Salima Akkouche Les syndicats répondent à Benghebrit : «C'est maintenant que vous vous inquiétez pour les élèves ?» A l'appel lancé par la ministre de l'Education aux syndicats autonomes, de ne pas prendre les écoliers en otage, l'Unpef, le Cnapest et le Snapest rétorquent : «Ce n'est pas une journée de grève qui va perturber la scolarisation des élèves, mais ce sont les conditions dans lesquelles ils évoluent». Mehdi Mehenni - Alger (Le Soir) La coordination des syndicats du secteur de l'éducation n'a pas tardé à réagir aux propos de Nouria Benghebrit, qui a estimé, dimanche dernier, que recourir à la grève est une manière de prendre en otage les écoliers. Un débrayage annoncé pour aujourd'hui mardi, et demain mercredi. Invités hier, à Alger, au forum du quotidien DK News, les syndicats formant ladite coordination ont, tour à tour, intervenu. Le coordinateur du Snapest, Meziane Meriane, estime que «les mieux placés pour parler des droits et intérêts des élèves c'est bien les enseignants qui partagent la mojorité de leur temps avec ces mêmes écoliers». Il s'interroge d'ailleurs sur l'intérêt subit que se découvre le ministère de l'Education pour les élèves, à chaque fois qu'il y a grève dans le secteur. «Ce n'est pas une journée de grève qui va perturber la scolarisation des élèves, mais ce sont les conditions dans lesquelles ils évoluent», lance-t-il. Il ajoute dans le même sillage : «Où sont les droits des élèves lorsqu'il s'agit des cantines scolaires, de la surcharge dans les classes, les chauffages... Ou ce n'est que maintenant que vous vous inquiétez pour les élèves ?» Aussi, aux associations de parents d'élèves qui sont du même avis que la ministre de l'Education, Meziane Meriane rétorque : «En plus de ne pas être représentatifs, ils ne s'expriment que lorsqu'il y a débrayage, pour saboter notre action. Nous aurions aimé les voir organiser des excursions, aider les élèves issus de familles pauvres, ou encore protester contre les sanitaires infectes dans les établissements scolaires.» «Le dialogue est certes ouvert, mais il manque d'efficacité» Revenant sur la revendication essentielle des syndicats, le chargé de communication du Cnapest, Boudiba Messaoud, a rappelé de son côté que le statut particulier de l'enseignant est en contradiction avec les lois de la République et qu'il doit par conséquent être révisé. Il précise toutefois, que s'il y a révision, les volets pédagogiques et administratifs ne devraient pas être touchés. Pour rappel, la ministre a signifié que l'ouverture d'un tel dossier nécessite du temps pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Boudiba Messaoud estime qu'un délai de cinq ans, tel qu'avancé par Nouria Benghebrit est exagéré. Raison de plus, poursuit le président de l'Unpef, Sadek Dziri, que «le débat ouvert par le ministère de l'Education ne s'inscrit pas dans une stratégie durable mais sur des pressions syndicales». La preuve, révèle-t-il : «Nous n'avons reçu une invitation à dialoguer, qu'après avoir annoncé un débrayage de deux jours.» Enfin, Sadek Dziri reconnaît qu'il y a certes un dialogue mais qu'il manque toujours d'efficacité lorsqu'il s'agit de régler réellement un problème.