Des millions de quintaux de pomme de terre que les producteurs n'arrivent pas à écouler et qui stagnent dans des chambres froides remplies à ras-bord et autres hangars. Une partie importante de la production de la saison écoulée reste en stock tandis que la moitié d'arrière-saison, arrivée à terme, reste encore dans le sol de quelque 5 000 ha. Mais selon les chiffres officiels, l'arrachage a été effectué sur 8 000 des 9 900 ha plantés et l'opération est encore en cours, en rappelant que la campagne de récolte qui a débuté à la fin novembre a duré 2 mois, soit à la fin du mois de janvier. C'est ce que nous avons appris, tant auprès de la Chambre de l'agriculture, de la bouche de son président, M. Djaâlali El Hadj, que de celle du président de l'union de wilaya de l'UNPA, M. Khaled Ben Djedda, qui se basent sur les réclamations de centaines d'agriculteurs qui défilent quotidiennement dans les locaux de ces organismes. Ces propos, nous avons pu les confirmer par des déclarations qui nous ont été faites par de nombreux gros, moyens et petits producteurs. Selon un producteur détenteur d'un champ de 90 ha, même à 10 DA le kg, il n'a pas pu la vendre, un autre producteur possédant un champ de 150 ha et un autre qui a planté 30 ha, tous les deux n'ont pu vendre de leurs récoltes 1 kg même à 11/12 DA. Un autre producteur nous a déclaré «j'ai trié et conditionné de la pomme de terre à raison de 30 DA le filet. Le chargement m'a coûté 10 DA le filet auquel il faut ajouter 3 DA de transport toujours par filet. Pendant 3 jours de présence sur le marché de gros de Bougara, je n'ai pas pu vendre un seul filet samedi dernier. Par ailleurs, selon des sources concordantes, de nombreux producteurs ont livré de grandes quantités de leurs récoltes à la société Proda au début de l'été dernier. Unanimement ils disent «nous avons été bernés par cette société qui n'a pas honoré les contrats de vente puisqu'à ce jour, nous n'avons pas été payés» Un autre ira plus loin en disant que cela ressemblait à de l'escroquerie pure et simple. Récoltes vendues et impayées par Proda, mévente à cause d'un excédent de production, la crise que traverse la filière de la pomme de terre est grave. Ce qui fait mal encore aux gens de la filière selon leurs dires, c'est le problème de la vente de la pomme de terre de semences. Unanimement, de nombreux producteurs de semences disent être confrontés à un problème fomenté en haut lieu : «Comment se peut-il ? comment se fait-il qu'on a importé quelque 120 000 tonnes de semences alors que les besoins du pays ne dépassent pas les 80 000 tonnes ? Comment se fait-il aussi qu'on continue a importer de la pomme de terre de la classe A, (issue de la classe E, «Elite») alors que cette variété nous la produisons et que nous avons l'habitude de la vendre aux producteurs de la pomme de terre de consommation, installés dans les Hauts-Plateaux et à l'Est du pays». Et de ce fait, ajoutent nos sources «les «patatiers» de ces régions achètent maintenant de la semence A, d'importation, alors que la nôtre, la même, pourrit dans les frigos». On rapporte qu'un ministre avait stoppé cette importation un certain temps mais qu'un autre a réouvert la porte à l'importation de cette variété de la classe A. «Qui soutien-t-on par ce type d'importation ? Le producteur algérien ou étranger ?», se demande-t-on ? Selon la Chambre de l'agriculture, l'excédent se chiffre à plus de 5 millions de quintaux. Des consommateurs interrogés à ce sujet nous ont dit : «Quand nous payions la pomme de terre à 100 DA le kg, personne n'a crié au scandale». On rappelle que le Syrpalac (Système de régulation des produits agricoles mis en place il y a quelques années s'est soldé par un échec, Syrpalac auquel on a substitué la société Proda qui est redevable de dizaines de milliards qu'elle doit verser à ses fournisseurs. Aujourd'hui, aussi bien les gens de la filière que l'UNPA que la Chambre de l'agriculture, interpelle le ministère de tutelle d'intervenir pour que Proda honore ses contrats et que des mesures d'urgence soient prises pour que l'excédent de production soit absorbé. Cet excédent de production de pommes de terre montre que l'agriculture peut produire plus aussi dans d'autres filières telles que le lait ou l'élevage bovin, pour ne citer que celles-ci, encore faudrait-il que des réformes courageuses soit entreprises, pense-t-on. A titre d'exemple, on signale que de très nombreux agriculteurs produisent hors sols en louant des terres que leurs bénéficiaires n'exploitent pas et se contentent de les louer à des tiers. « Alors pourquoi ne pas attribuer ces terres à ceux qui produisent ?», propose-t-on. Pour faire entendre leurs voix, certains ont menacé d'établir des barrages avec leurs camions sur les grands axes routiers. D'autres ont proposé de déverser les milliers de quintaux de ce féculent sur les chaussées de l'autoroute. Finalement sur les conseils de la Chambre de l'agriculture, ces moyens d'exprimer la colère qui gronde ont été abandonnés pour la tenue d'un sit in devant les locaux de la Chambre, sit-in qui s'est tenu au milieu de la matinée de lundi. Lors de ce sit in, les différents producteurs qui ont intervenu ont précisé que cette manifestation est l'expression des adhérents de la filière et n'est l'œuvre d'aucun organisme. Certains sur le ton de la colère et du désappointement ont clamé : «L'année dernière la pomme de terre a coûté très cher au consommateur à cause de la multitude des intermédiaires qui se sont infiltrés dans le circuit de la commercialisation d'une part et parce que l'offre n'a pu répondre à la demande, ce qui était dû à une faiblesse de la production. On nous a alors exhorté à produire davantage et les agriculteurs ont répondu à l'appel... quel est alors notre crime si aujourd'hui nous nous retrouvons avec un excédent en stock de 4 millions de tonnes qu'on n'arrive pas a écouler même à 8 DA le kg» d'autres ont ajouté que ceux qui nous ont encouragé à augmenter la production assument et prennent les mesures pour sauver la filière en perdition, que la mévente pousse bon nombre d'entre nous à la faillite !» Un autre intervenant ajoute : «Si aucune solution ne vient nous sauver de cette faillite, l'année prochaine nous nous retirerons du circuit de production, ce que certains attendent sans doute pour livrer le pays aux producteurs étrangers et à l'importation». Un ingénieur, producteur de pomme de terre nous dira «s'il y a aujourd'hui une production excédentaire qui bloque le circuit de la commercialisation, c'est parce que l'autorité de tutelle n'a jamais établi un plan de culture national, ce qui a fait que les principales productions agricoles se sont limitées à la pomme de terre, à la salade et à la pastèque au détriment d'autres cultures aussi indispensables telles que les légumes secs, les cultures fourragères ou industrielles». Un tenant de la filière conclut en déclarant : «C'est un appel d'urgence émanant d'une filière en voie d'extinction que nous lançons au ministre et au président de la République à qui nous disons que notre filière est en danger de mort aujourd'hui et que si rien n'est fait pour solutionner cette crise, ce sera de la non-assistance à «personne en danger de mort».