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CARNET DE VOYAGE D'AREZKI METREF
SI TU VAS à SAN FRANCISCO... 8/ Avec les Algériens de la Silicon Valley
Publié dans Le Soir d'Algérie le 20 - 03 - 2016

Petit-déjeuner de nouveau dans le clair matin du jardin de Krimo à Napa. Il est 8 heures, et la stridence aurorale des cigales me dit qu'il fait plus chaud que le jour d'avant le départ pour Lake Tahoe. Sous l'olivier, nous nous concertons sur le programme de la journée.
Dahmane dit :
- Arrêt à San Francisco. On y déjeunera avec Yanni, mon fils.
Puis, dare-dare, on prévoit de filer sur le campus de Stanford, l'université qui ravitaille en bulbes la vallée de la High Tech, où mon cicérone a organisé, avec l'AAA-NC (Algerian American Association Northen California), l'association des Algériens du nord de la Californie, une rencontre avec nos compatriotes de la Silicon Valley.
Voilà pour l'immédiat. Suite du programme à moyen terme : une nuit à San José et le lendemain, à l'aube, départ pour Las Vegas en longeant la côte Ouest jusqu'à Los Angeles. De là, après avoir naturellement visité Hollywood, traversée d'une partie du désert du Nevada, jusqu'à Sin City, la ville du péché, surnom de Las Vegas.(1)
Enfin, destination San Diego via San Bernardino. Après l'échappée de la Ruée vers l'or, l'aller-retour au Lake Tahoe, voilà que d'une certaine manière les choses sérieuses commencent. Selon le rituel désormais intégré, Dahmane fouille dans son GPS pour repérer le Starbucks le plus proche. Tandis qu'il scrute son appareil de navigation, je lui demande de chercher l'adresse de la fameuse Maison bleue chantée par Maxime Leforestier, l'un des lieux que j'aimerais bien visiter. Tiens, tant qu'à faire, Dahmane avoue qu'il ne dédaignerait pas lui non plus la visiter tant elle est mentionnée dans les guides touristiques français. Peut-être cette fois, trouverons-nous à San Francisco cet Algérien inconnu, comme on le dit du soldat, dont la rencontre semble dans ce récit inéluctable.
Dahmane plaisante :
- Bien sûr, il y en aura des Algériens à la réunion de Stanford, cet après-midi. Mais ce n'est pas de ceux-là dont il s'agit !
Après Starbucks, nous fonçons vers San Francisco. La circulation est dense comme de coutume un samedi matin.
Nous avions de l'avance. Nous aurons bientôt du retard. Et Dahmane prévient Yanni par téléphone d'un probable contretemps. Il en profite pour s'enquérir de l'emplacement de la «Maison bleue adossée à la colline».
Yanni répond qu'à côté de chez lui, à une maison d'intervalle de la sienne, il y a une baraque devant laquelle s'arrêtent des touristes.
- Il n'est pas impossible, dit-il, que ce soit celle-ci.
Nous voilà dans le quartier de Castro sur la 18e rue, où loge Yanni. Pas de place de stationnement devant chez lui, nous nous garons quelques mètres plus loin. En levant les yeux, je remarque des touristes mitraillant une façade de leurs appareils photos. Nous sommes au numéro 3841 de la 18e Rue.
C'est donc ça, et rien que ça, la maison bleue de la chanson. Une banale demeure victorienne d'un bleu délavé qui ne semble s'adosser à aucune colline ! Une fois encore, quiconque veut confronter au réel une image incrustée dans le rêve va fatalement au-devant d'un réveil désabusé.
La maison bleue de Maxime Leforestier, cet hymne anticonformiste cher aux babacools de tous les temps, est une demeure bien ordonnée qui n'a rien du désordre de l'utopie contestataire visant à pulvériser le Moloch capitaliste.
Déjeuner sur le pouce avec Yanni dans un restaurant indien de la 18e Rue. De mère et père algériens, Yanni n'en fait pas moins américain : dégaine, parler, attitude décontractée, gabarit de joueur de baseball.
Son père Dahmane n'est pas peu fier de l'admission de son fils à l'université prestigieuse de Stanford. D'ailleurs il le fait savoir par un autocollant ostensiblement placé sur la lunette arrière de sa voiture. Quelque chose comme «Stanford Dad». Il m'explique les raisons de sa fierté. L'université de Stanford est l'une des plus primées au monde. Avec un taux d'admission de moins de 5%, Yanni a fait partie des 1 500 admis en 2013 parmi plus de 36 000 postulants ! Il est même le premier Algéro-Américain à avoir été admis comme undergraduate.
Avant de rallier l'université, nous avions envisagé une halte à Oakland pour visiter le quartier natal de Jack London. Mais en dépit de la mécanique de précision avec laquelle nous avions élaboré le programme de nos journées, je constate que nous avons accumulé du retard et qu'il n'est plus question de s'arrêter. Nous quittons donc San Francisco par le sud, direction la Silicon Valley. Rendez-vous au campus de Stanford à 15h.
Parcourir la Silicon Valley, région doublement prospère, par l'agriculture (dans les années 1950 et 1960) et par la High Tech (à partir des années 1970), c'est intégrer un univers de carte postale aux couleurs pimpantes. Tout y est tracé au cordeau. Le lieu doit son nom de Silicon Valley, «Vallée du silicium» —, à ce matériau naturel, base de fabrication des puces (Chips) électroniques utilisées dans des ordinateurs et Smartphones...
Après un peu moins d'une heure de route, nous voici à Palo Alto, le berceau de la Silicon Valley. Cette petite ville concentre tant de cerveaux, d'énergie et d'argent qu'elle bat le record de revenu familial annuel moyen le plus élevé des Etats-Unis. Cet aspect coquet, aseptisé et opulent, masque une autre réalité, celle d'East Palo Alto, un quartier qui détenait en 1992 un record moins glorieux, celui du plus grand nombre d'assassinats des Etats-Unis.
Un quartier habité par les laissés-pour-compte de la fièvre de la High Tech, les Noirs et les Latinos. Nous sommes sur le Camino Real, la voie royale, qui sépare le campus de Stanford de la ville de Palo Alto. D'un côté les bâtiments anciens de style hispanique de l'université, avec ses pierres ocre, ses larges allées bordées de palmiers, de l'autre, une architecture futuriste tournée déjà vers le 3e millénaire.
D'ailleurs les 400 km2 de la Silicon Valley rassemblent l'essentiel des recherches en Software, biotechnologie, cleantechnologie (énergie propre) et nanotechnologie qui préparent l'avenir. On peut l'appeler aussi la vallée des géants puisqu'elle est le berceau de la microélectronique (Intel, IBM, Sandisk), Google, Facebook... Dahmane me désigne un quartier de résidences noyées dans la verdure.
- «Professorville», dit-il.
Comme son nom l'indique, c'est ici que vivent les professeurs de Stanford. Si je ne m'abuse, le campus est plus étendu que la ville, au point de s'y perdre. Je ne sais plus qui parmi nous remarque :
- Comment ne pas étudier dans un tel endroit, quand on a la chance d'y accéder bien sûr ? De fait, tout est conçu de façon à desserrer l'étau de la vie quotidienne, et laisser libre champ à l'étude et à la recherche dans tous les domaines : technologie, politique, religions, langues... On fait même des recherches sur tamazight.
Une vingtaine de bibliothèques, un stade de 50 000 places, 4 piscines, 14 courts de tennis, un terrain de golf, des spas, des centres de soins, des laboratoires, un hôpital ultramoderne, une usine électrique assurant l'autosuffisance, des restaurants de toutes les spécialités, etc. Ce n'est pas pour rien que le campus de Stanford est considéré comme le plus beau des Etats-Unis, peut-être même du monde. Le plus beau et l'un des plus chers. Il faut au bas mot 35 000 dollars/an pour les frais de scolarité et autant pour se loger et se nourrir. Alternative : avoir des parents fortunés ou à défaut décrocher la bourse d'études convoitée.
La preuve une fois encore que le Moloch dévore les plus faibles. Mais pour les heureux élus, à peine intégré le campus que déjà les chasseurs de tête se les disputent. En effet, le catalogue est plutôt prestigieux. Parmi les professeurs, on compte 19 prix Nobel (physique, chimie, économie), 4 lauréats du prix Pulitzer – Prix attribué dans les domaines du journalisme et de la musique — et 263 membres de la fameuse American Academy of Art and Science.
- Pourquoi le nom de Stanford ? demandé-je à Dahmane.
Alors il me narre cette histoire touchante et très américaine de Leland Stanford. Cet industriel fit fortune dans les chemins de fer durant la Ruée vers l'or. Il fut sénateur et gouverneur de Californie. Lorsqu'il perdit son fils unique, Leland Stanford Junior, mort à l'âge de 15 ans de la fièvre typhoïde, en 1884, lors d'un voyage en Europe, il décida avec son épouse Jane de consacrer leur fortune à la construction d'une université, considérant les enfants de Californie comme leurs propres enfants. Ils achetèrent un domaine de 3 272 hectares à un ex-communard français récupéré par le Moloch, Pierre Coutts. Ils y édifièrent l'une des premières universités mixtes et laïques. Ce sont des diplômés de Stanford qui ont créé plusieurs compagnies multinationales telles que : Google, Hewlett-Packard, Nike, Sun Microsystems, Instagram, Snapchat, et Yahoo !. Ces compagnies génèrent plus de 2,7 trillions de dollars en revenu annuel, équivalent à la 10e grande économie mondiale. Parmi ces diplômés, on compte plus de 30 milliardaires, 17 astronautes. Stanford est aussi la pépinière de sénateurs et grands politiciens ! Une autre raison pour laquelle Dahmane est fier que son fils Yanni entre à Stanford.
Nous nous garons dans l'un des nombreux parkings du campus. Première sensation : un sentiment de décontraction. Garçons en tongs, filles en minijupe ou short. J'apprendrai par Dahmane, qu'en cet endroit, que l'on soit prix Nobel de physique ou simple étudiant de 1re année, on circule pareillement à pied, à vélo, en rollers ou en skate.
Il est 3 heures, heure de notre rendez-vous dans le Lasse Hall de la Place Old Union Court Yard. La rencontre avec les membres de l'AAA-NC a lieu en plein air, dans une cour située entre deux bâtiments. La trentaine de membres, hommes, femmes et enfants compris, ont apporté les boissons et de quoi se nourrir. Assis en demi-cercle sur des sièges empruntés à l'université, je suis frappé par la discrétion des passants qui vaquent à leurs occupations sans plus nous perturber. Ce n'est pas de l'indifférence mais du respect.
La plupart des personnes qui m'entourent font partie des quelque 300 Algériens de la Silicon Valley. Certains enseignent à Stanford. D'autres travaillent dans de grandes sociétés informatiques à des postes de hautes responsabilités. Quelque chose dans leur façon d'être, de s'écouter, de s'asseoir ensemble me fait penser que c'est la première fois depuis des années que je rencontre des Algériens vraiment bien dans leur peau. Beaucoup sont venus accompagnés de leurs enfants. Une façon, en quelque sorte, de garder le lien avec les origines dans un milieu qui absorbe toutes les particularités. Nous discutons et je suis impressionné par ce réel désir qu'ils ont tous de faire quelque chose pour l'Algérie. C'est aussi l'occasion d'évoquer ce que chacun doit aux racines algériennes et à l'adoption américaine.
Beaucoup de choses ont été dites, mais la phrase la plus forte pour moi demeure celle prononcée par Nourredine, diplômé de physique de Stanford où il a créé sa propre compagnie et où il travaille dans un incubateur, et néanmoins organisateur du meeting : «L'Amérique m'a appris à ne pas juger mais à essayer de comprendre.» On parle abondamment du melting pot et des spécificités culturelles. Comment respecter les valeurs américaines tout en conservant les siennes propres. Quel travail faire sur soi pour ne brimer ni l'une ni l'autre des deux cultures.
La compétition à l'américaine pousse à croire en ses rêves. Rien n'est vain, tout est possible. Il y a une mystique du travail qui exige un engagement total, «with my best verity», comme ils disent. Tout l'équilibre de la culture citoyenne US est dans le dosage entre l'exercice de sa liberté personnelle et du respect de la loi. Après 2 heures de discussions intenses et pourtant débonnaires, il me semble les connaître depuis toujours. J'ai eu la chance au cours de ma vie de rencontrer des Algériens dans bien des pays de par le monde, mais jamais je crois n'avoir connu de tels échanges à la fois sereins et respectueux. Au moment de quitter l'université, j'ai une pensée pour Steinbeck, étudiant à Stanford, qui jamais n'acheva ses études.
Dîner dans un restaurant à San José avant une halte pour la nuit à l'hôtel. J'y découvre ce qui deviendra habituel par la suite, une bible mise systématiquement à la disposition des voyageurs.
A. M.
Demain 9/ Steinbeck et les laitues de Salinas.
1) Las Vegas est connu comme (pas Hell City) la ville du péché (tout est halal).


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