A l'initiative du Collège national des experts architectes (CNEA) et du Conseil local de l'Ordre des architectes d'Alger (CLOA), une journée portes ouvertes a été organisée en date du 15 mai 2016 au Bastion 23, portant sur les règles de mise en conformité des constructions illicites et leur achèvement, coïncidant avec la veille d'expiration du délai d'exécution de la loi 08-15 du 20 juillet 2008. Cette rencontre entre dans le cadre des activités permanentes des corps suscités, qui constituent, après concertation et dialogues, une force capitale pour émettre des avis, des propositions et recommandations, ayant pour objectif la présentation de solutions opérationnelles aux problèmes relevant du secteur. I) Rappeler en premier abord les rôle et mission de chaque intervenant du domaine de la construction et lois afférentes est primordial, dont nous commençons par : L'architecte : premier garant du produit architectural et urbain par ses responsabilités envers : - La conception, les suivi et contrôle sur terrain des projets de construction, en prenant en considération toute contrainte financière et technique, quelle que soit la nature des travaux de réalisation, travaux neufs, de rénovation ou de restauration. - Les maîtres d'ouvrage, en assumant la maîtrise d'œuvre, la conception et la coordination dans la réalisation des projets en garantissant l'harmonie, le confort et l'embellissement du cadre bâti. «La loi 90-29 du 1er/12/1990 relative à l'aménagement et l'urbanisme donne obligation dans son art. 73 –"Le wali, le président d'APC ainsi que les agents ou assermentés ou commissionnés peuvent, à tout moment, visiter les constructions en cours, procéder aux vérifications qu'ils jugent utiles et se faire communiquer, à tout moment, les documents techniques se rapportant à la construction''.» L'ingénieur en génie civil : concepteur des ouvrages d'art, il est responsable de la construction des ponts et grands ouvrages, par sa prise en charge de l'évaluation technique en s'appuyant sur les nouvelles technologies dans le but de concrétiser des ouvrages d'art d'une grande importance économique. - En plus de la quantification des projets, l'ingénieur travaille en étroite relation avec les équipes techniques, conducteurs de travaux, sous-traitants, bureaux de contrôle et certification, de solidité, de durabilité et d'écologie. L'expert géomètre : sa mission consiste à délimiter des propriétés, procéder au bornage, au clivage foncier, et en fin de parcours à l'établissement de documents modificatifs de la matrice cadastral, et notamment l'implantation d'édifices, etc. Le notaire : en tant qu'officier public et ministériel, il est chargé de l'établissement et la conservation des actes juridiques avec exactitude tout en garantissant l'authenticité juridique. L'huissier de justice : officier ministériel chargé de la notification d'actes de procédure en mettant à l'exécution des décisions de justice ainsi que les actes authentiques ayant une force exécutoire. L'avocat : il informe, conseille et représente son client dans le domaine de l'application de la réglementation en vigueur. II) A cette occasion, l'ordre du jour se résume en l'urgence et la gravité de la décision prise par les autorités de démolir les constructions non conformes ou inachevées comme finalité d'une régularisation non aboutie, alors qu'ils peuvent bien remédier à ce désastre en faisant appel aux experts du domaine pour examiner et intervenir efficacement sur les lieux de façon à reprendre les choses en main et sauver nos villes désagréables du chaos total et du malaise permanent que subit le citoyen algérien, portant malheureusement atteinte à notre réputation à travers un monde aussi civilisé. Sachant qu'actuellement le nombre d'architectes, ingénieurs et experts géomètres est d'une importance colossale qui pourront réellement et sérieusement faire face à cette situation préjudiciable. En 1976 le nombre d'architectes se limitait à 51 Algériens, 60 étrangers et 12 ingénieurs alors qu'actuellement on est arrivé à 12 000 architectes et 6 500 ingénieurs toutes spécialités confondues et 632 experts géomètres. Aussi faut-il signaler que si le respect des lois était imposable, on pouvait depuis si longtemps œuvrer positivement pour réglementer, maîtriser l'espace urbain et le cadre bâti sans arriver au stade de notification d'une loi qui, par son exécution, cautionnait des déviations qu'incombe entièrement la responsabilité des autorités locales. En conclusion La démolition de 1 200 000 bâtisses recensées sur le territoire national est inconcevable, voire dramatique par rapport aux dépenses excessives et abusives qu'elles soient privées ou étatiques, atteignant au minimum les 7 200 000 000 000 DA, en consommant des milliers de tonnes de ciment et d'acier, qui se réduiront en poussière par un simple acte de démolition du jour au lendemain, pendant que la demande en logements est tragique et se fait ressentir de plus en plus. Citant à titre d'exemple : par estimation, le surplus de chaque bâtisse d'un logement de type F3, sous-entend l'utilisation par usager de 20 tonnes de ciment, 4,5 t d'acier et 4 500 briques, donnant ainsi : 24 000 000 t de ciment, 540 000 t d'acier et 5 400 000 briques. Toutes ces bâtisses édifiées représentent une preuve de défaillance ayant pour cause majeure l'absence totale de véritables responsables, laissant le champ libre à une urbanisation accélérée, anarchique et incontrôlable. Ce genre de comportements a occasionné des conséquences très néfastes en matière d'environnement et du cadre de vie dont le pays tout entier subit l'incohérence, cette agressivité irréversible et irréparable du cadre bâti et cela devient à l'avenir intolérable de générer de pareilles situations car pratiquement notre intervention sera impossible puisque le mal est ancré sur terrain. Et de surcroît ce qui est vraiment dommageable est de constater la marginalisation et la non-considération des experts du domaine, qui, hélas, regrettent infiniment leur non-participation à l'apposition et l'évaluation périodique de cette loi. Sans occulter l'importance du suivi et de contrôle lors des travaux de réalisation d'une construction qui, tant délaissée, au point de négliger la prise en compte du risque sismique alors que notre pays est passé par des expériences très douloureuses auxquelles il faut remédier. III) La seule garantie pour freiner ce marasme est : D'impliquer et responsabiliser à tous les niveaux des professionnels selon la spécialité exercée, depuis le choix du terrain à la conception, jusqu'au suivi et contrôle des travaux en aboutissant à la conformité qui normalement est du ressort des professionnels dans des pays qui se respectent. De dresser le constat accablant de cette déplaisante situation en citant les causes majeures qui ont favorisé cet état de fait dont parmi ces raisons : - méconnaissance totale des lois qui régissent le secteur de la construction ; - sous-encadrement des structures d'urbanisme au niveau des collectivités locales (on compte peu de techniciens qualifiés pour un nombre important de dossiers à traiter dont ce manque atteint les 2000 000) ; - défaillance dans la désignation du personnel technique de l'urbanisme habilité et remplissant le profil par les autorités locales alors que logiquement le choix des architectes et techniciens relève des prérogatives du ministère de l'Habitat, même le directeur de l'urbanisme doit être placé sous la tutelle du ministère de l'Habitat ; - marginalisation de l'architecte assermenté dans la prise de décisions qui pourraient s'avérer nuisibles et inopportunes pour certains. D'ailleurs l'architecte est exclu de toute commission tenue dans la plupart des APC. - Lenteur dans les procédures de régularisation confirmée par l'enregistrement d'un retard important quant à la notification de décisions de la commission de daïra aux déclarants. Alors qu'on peut faire appel à un architecte assermenté qui prendra des décisions fermes en un laps de temps, tout en se référant au reportage photographique crédible exigé sur dossier. - Carences dans l'interprétation et l'application des clauses de cette loi par les éléments de la brigade (réglementation non requise travaillant arbitrairement au profit de certains), allant jusqu'à ne pas distinguer l'occupant du propriétaire sachant que tout les deux ouvrent droit à déposer une déclaration cotée et parafée auprès de la justice contre un accusé de réception malheureusement remis uniquement aux personnes recommandées une fois le dossier transmis à la daïra dans certaines APC. - Désengagement de l'administration locale et du service d'urbanisme d'assurer la sécurité du citoyen en lui délivrant une décision portant avis favorable sous réserve qu'il est seule responsable de la stabilité de sa demeure puisqu'il a construit sans études de génie civil, et malheureusement il faut s'attendre avec le temps aux ébranlements inattendus dus aux surcharges. A titre indicatif comment peut-on régulariser une construction R+4 dont le permis de construire et les fondations concernent uniquement R+1. - Anéantissement du patrimoine agricole par le béton armé menaçant quotidiennement le peu de terres fertiles dont dispose notre pays (SUA est 0.022ha/hab.). - Non-respect de la loi 15/08 de conformité dès le départ en autorisant les usagers dont leur construction non conforme de jouir d'une installation d'eau potable, de compteur électrique, de gaz et lignes téléphoniques, et de bénéficier d'un registre du commerce et particulièrement les doter d'une assurance ce qui est aberrant puisque «l'usage du bâti est accordé par un certificat de conformité». - Absence de rigueur dans l'attribution de terrains sans toutefois omettre tous les problèmes relevant du foncier, tels que l'absence du titre de propriété, contraintes financières affligées aux usagers l'empêchant de trouver une issue pour vendre sa parcelle de terrain vue la cherté des constructions. IV) Les intervenants ont clôturé ce débat en proposant ces recommandations qu'ils jugent plausibles et efficaces : - créer un Conseil supérieur de la construction, organisme constituant une force de proposition et d'imposition assurant l'avenir en matière de construction et cadre bâti, regroupant tout professionnel du bâtiment tenu de respecter les lois, normes techniques, architecturales et urbanistiques ; - responsabiliser les professionnels est la seule garantie de réussite pour atteindre des objectifs fermes, car il est même à craindre que la promulgation de la loi 08/15 soit une opportunité pour des spéculateurs de dégénérer la situation du cadre bâti et cela implique déontologiquement une contradiction entre les lois et la loi de régularisation ; - favoriser l'emploi du nombre impressionnant de nouveaux diplômés permettant de régler le maximum de dossiers déposés pour régularisation ; - appliquer l'arsenal juridique existant régissant le secteur de la construction qui constitue une base de données solide pour assurer un bon produit architectural, à savoir l'étude de sol, la maîtrise d'œuvre, l'étude génie civil, le suivi et contrôle de la réalisation jusqu'à la réception définitive ; - maîtriser parfaitement la réglementation en la matière est requise ; - débloquer la situation des dossiers non prononcés au niveau de la justice ; - faire appel à tous les concernés pour tourner définitivement la page et condamner le laxisme à l'origine du marasme en tenant compte de l'expérience amère vécue depuis cinquante ans. - Approuver les POS permettant ainsi aux administrations le règlement de la nature juridique de nombreux lotissements ; - instaurer comme priorité vitale une politique courageuse et concrète en matière de préservation des terres agricoles ; - opter pour une stratégie judicieuse et tactique dans le respect des normes, de l'environnement et du cadre bâti occasionnant ainsi la renaissance urbaine et architecturale dans notre chère patrie ; - mettre fin aux pratiques antérieures en actionnant la main lourde de l'Etat dès l'ouverture de chantier, combattant ainsi avec force et fermeté ces mauvaises pratiques ; - procéder au recensement exhaustif du parc immobilier de toutes les communes en indiquant les constructions vétustes et inachevées (rôle des autorités locales) ; - procéder aux études approfondies cas par cas des constructions inachevées et lotissements, sur la base d'un fichier national de l'immobilier épargnant aux usagers de demander par eux-mêmes la régularisation ; - alléger les procédures de vente des terrains nus et bâtisses inachevées au profit des usagers dont le portefeuille financier leur permet d'achever la réalisation ; - revoir foncièrement le prix du m2 relativement aux périodes d'acquisition du terrain avec pondération raisonnable conformément à l'inflation actuelle en concertation avec la Banque centrale d'Algérie. A. B. (*) Architecte-expert, président du Collège national des experts architectes (CNEA).