Mieux vaut ne pas être lanceur d'alerte dans beaucoup de pays, notamment ceux où il y a un pouvoir autoritaire et où la corruption fait des ravages. L'Algérie, malheureusement, en fait partie. Dénoncer des faits contraires à l'intérêt général peut vous coûter très cher. Les rares Algériens à s'y être essayés en ont payé lourdement les conséquences : placardisés, souvent licenciés, ils passent leur temps dans les prétoires et peinent à retrouver un emploi, quand ils ne sont pas carrément jetés en prison arbitrairement — vivant très souvent grâce à la solidarité des proches. Mais comment définir un lanceur d'alerte ? Il doit être protégé à condition que les faits signalés soient contraires à la loi ou «présentent des risques ou des préjudices graves pour l'environnement, pour la santé ou la sécurité publique». Les lanceurs d'alerte sont des personnes ayant «connaissance de manquements graves à la loi ou au règlement ou de faits porteurs de risques graves» et les autorise à «communiquer, dans l'intérêt général, les renseignements qui y sont relatifs». D'autres experts du droit estiment que cette définition laisse trop de place à l'interprétation et préfèrent cantonner l'alerte aux faits contraires à la loi ou, quand ils ne l'étaient pas, à ceux pouvant causer un préjudice à «l'environnement, la santé ou la sécurité publique». Attention ! si on donne trop de latitude aux autorités qui vont interpréter le texte, on prend le risque que des dossiers soient rejetés. Briser l'omerta qui prédomine dans l'administration Faut-il rétribuer le lanceur d'alerte ? En France, le législateur a dit non, à la différence des Etats-Unis où on récompense le lanceur d'alerte en lui reversant jusqu'à 30% de la somme recouvrée au-delà de 1 million de dollars, mais on estime, dans nombre de pays, que la rémunération pervertirait le système. La loi doit prévoir la protection du lanceur d'alerte : le préjudice – notamment en cas de licenciement – doit être indemnisé, et toute entrave au signalement et l'exercice de représailles doivent être sévèrement punis. Les fonctionnaires doivent aussi être rassurés et bénéficier de la même protection que les salariés du privé. Cette égalité de traitement devrait permettre de briser l'omerta qui prédomine dans l'administration. Pour Sylvain Niquège, professeur de droit public (cité par le quotidien français Le Monde) «l'obligation d'obéissance hiérarchique qui figure dans le statut général des fonctionnaires» et l'obligation de réserve et de discrétion reconnue par la jurisprudence «rendaient jusqu'à présent compliquée la révélation des dysfonctionnements de l'administration». Un domaine devrait, en revanche, échapper au droit d'alerte : le secret-défense. «La sécurité nationale sera toujours considérée comme un intérêt supérieur, estime Bertrand Warusfel, professeur de droit en France. Le secret des affaires sera, en revanche, énoncé comme étant de second niveau, inférieur aux principes de liberté d'information, de dénonciation de crime ou délit». La réglementation éventuelle sur le secret des affaires ne devrait donc pas freiner la révélation de faits contraires à l'intérêt général. Autoriser les citoyens à ester en justice pour dénoncer tout acte causant préjudice à l'administration Autoriser les citoyens à braver la loi au nom des principes supérieurs que sont l'intérêt général, le droit à l'information ou le principe de précaution ne va pas de soi. Combien sont-ils, encore, à associer lanceur d'alerte et délateur ? Les deux n'ont pourtant rien à voir. Le délateur agit par vengeance quand le lanceur d'alerte agit dans l'intérêt général. Certes, mais l'idée que des «mouchards» ou des «corbeaux» puissent nuire aux intérêts de l'entreprise plane toujours. Aux Etats-Unis, la question est tranchée depuis longtemps. En 1778, le Congrès a voté un texte pour soutenir dix marins venus dénoncer les actes de torture de leur commandant sur des prisonniers britanniques. Et un siècle plus tard, en 1863, en pleine guerre de Sécession, l'Amérique approuvait le «False Claim Act», texte fondateur du whistleblowing, qui autorise les citoyens à ester en justice pour dénoncer tout acte causant préjudice à l'administration. Sans remonter aussi loin, cela fait près de vingt ans — 1998 — que les Britanniques ont adopté la loi «Pida» («Public Interest Disclosure Act»). L'Algérie dissuade les dénonciateurs en mettant en avant les dénonciations calomnieuses Sur ces notions de protection des lanceurs d'alerte, la loi algérienne est en retrait par rapport à la Convention des Nations unies contre la corruption de 2003, convention pourtant ratifiée par l'Algérie. A titre d'exemple, l'article 45 de la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption est intitulé «De la protection des témoins, experts, dénonciateurs et victimes», alors que le contenu de l'article est muet à ce sujet. «Est punie d'un emprisonnement de six (6) mois à cinq (5) ans et d'une amende de 50 000 DA à 500 000 DA, toute personne qui recourt à la vengeance, l'intimidation ou la menace, sous quelque forme que ce soit et de quelque manière que ce soit, contre la personne des témoins, experts, dénonciateurs ou victimes ou leurs parent ou autres personnes qui leur sont proches.» Par contre, tout de suite après, l'article 46, intitulé «De la dénonciation abusive» est très clair, gare à celui qui osera dénoncer des cas de corruption : «Est puni d'un emprisonnement de six (6) mois à cinq (5) ans et d'une amende de 50 000 DA à 500 000 DA, quiconque aura, sciemment, et par quelque moyen que ce soit, fait une dénonciation abusive sur les infractions prévues par la présente loi aux autorités compétentes, contre une ou plusieurs personnes.» Plus grave encore, l'article 47 est en total porte-à-faux avec les 2 articles précédents, intitulé «De la non-dénonciation des infractions», le législateur faisant alterner le chaud et le froid, et même le très brûlant : «Est punie d'un emprisonnement de six (6) mois à cinq (5) ans et d'une amende de 50 000 DA à 500 000 DA, toute personne qui, de par sa fonction ou sa profession, permanente ou provisoire, prend connaissance d'une ou de plusieurs infractions prévues à la présente loi, et n'informe pas à temps les autorités publiques compétentes». Ce magma de contradictions et de dissuasions à dénoncer la corruption traduit, s'il était besoin encore de le démontrer, que les pouvoirs publics ne font pas preuve de volonté politique à lutter contre la corruption. D. H. De qui s'agit-il ? Les «whistle-blowers» ou «lanceurs d'alerte» : les personnes qui dénoncent des pratiques de corruption au sein d'une organisation, d'une institution, d'une unité administrative ou d'une entreprise sont appelées des «whistleblowers» (dénonciateurs).L'acte dénoncé doit se référer à une pratique illicite, c'est-à-dire à un délit puni par le code pénal. Même si les dénonciateurs sont souvent accusés d'être des employés déloyaux, ils jouent un rôle important dans la détection des cas de corruption, car contrairement à d'autres délits, il n'y a pas de victimes directes qui pourraient porter plainte.