Dans ce digne hommage rendu à Baya Hocine, Amar Belkhodja invite le lecteur à découvrir la personnalité d'une «rescapée de la guillotine». Une femme qui symbolisait la flamme de la Révolution. Baya Hocine a été condamnée par deux fois à la peine capitale. Elle a vécu la prison durant six ans. Le 22 décembre 1957, le tribunal d'Alger prononce un jugement faisant de l'adolescente de 17 ans la plus jeune condamnée à mort de la guerre de Libération nationale... Le livre de Amar Belkhodja porte un titre évocateur : c'est d'abord un témoignage de respect, de reconnaissance et d'admiration. Baya Hocine est le genre de femme algérienne à citer en exemple et qui pourrait servir de modèle pour la jeune génération. L'auteur le souligne d'emblée, dans les premières pages. Il écrit que la réalisation de ce travail obéit à un double objectif : «D'une part, vanter pour la postérité l'action d'une femme qui s'est engagée dans le combat de Novembre et qui poursuivra de nouvelles luttes après l'indépendance, dans le but de délivrer la femme algérienne d'un état de soumission, celui d'une éternelle mineure privée de droits politiques. D'autre part, crier haut et fort que la femme algérienne est pratiquement la grande absente dans les écrits consacrés à l'histoire nationale en général et plus particulièrement celle ayant trait au combat armé de Novembre 1954.» Mémoire collective frappée d'amnésie? Misogynie ? Avec Baya Hocine, au cœur de tous les combats, Amar Belkhodja vise à corriger un oubli. A son tour, il veut combler une lacune s'agissant de l'absence des femmes dans l'écriture de l'histoire et la représentation du passé. L'ouvrage s'inscrit comme une modeste contribution à faire connaître «une dame qui avait cru que l'émancipation de la femme algérienne, entamée et annoncée par la guerre de Novembre 1954, allait nécessairement se poursuivre et se concrétiser les années qui suivraient l'indépendance. Le rêve de Baya, comme celui de plusieurs autres résistantes fut brisé». Pour l'auteur, il s'agit d'une «relégation post-indépendance» amère et regrettable. Et de citer Baya Hocine évoquant une histoire de «digues». Elle disait : «Pour nous, c'était pire qu'avant, parce que nous avions tout rompu ; nous avions rompu les digues, et c'était très difficile pour nous de faire marche arrière. En 1962, les digues se sont remises en place, mais d'une manière terrible pour nous. Elles s'étaient remises en place en nous excluant.» Oui, les digues pouvant contenir les eaux ont été vite remises en état et c'est pourquoi le combat de Baya avait continué après l'indépendance... Amar Belkhodja confie n'avoir jamais rencontré cette femme à qui il a consacré un livre. Il ajoute que c'est seulement en 1980 qu'il entend parler d'elle. Et d'expliquer comment s'est opéré le déclic : «Cette femme dont j'ignorais — je l'avoue — les détails de son combat pendant la guerre va susciter mon intérêt et mon admiration dès lors qu'elle va adresser une lettre ouverte au président Chadli Bendjedid (19 juillet 1980) par laquelle elle dénonce l'exclusion de trois femmes responsables de structures de l'UNFA, par le FLN, rassemblement hétéroclite souffrant du handicap de misogynie.» Mais ce n'est que vingt ans après qu'il a l'occasion de lui rendre l'hommage qu'elle mérite, à travers deux articles parus dans le quotidien El Moudjahid. Le premier article est publié le 7 mai 2000, «au lendemain de son décès, survenu le premier mai 2000», et le deuxième le 2 mai 2001 (les deux écrits figurent parmi les documents en annexes, en deuxième partie du livre). Par la suite, c'est l'idée même d'un ouvrage qui germe dans l'esprit de Amar Belkhodja. Une compilation d'écrits, vu que le passionné de recherche historique n'a pas la «prétention d'élaborer une biographie exhaustive» ? Ou alors s'intéresser à «quelques repères seulement» ? Le livre sera tout de même le résultat d'une recherche plus fouillée, étant entendu que, pour l'auteur, le souci d'objectivité doit se conjuguer avec la liberté de parole dans l'acte d'écrire l'histoire. D'où une première partie de l'ouvrage, très personnelle, dans laquelle Amar Belkhodja consigne un certain nombre de traces mémorielles, de traces de vie, de thèmes dont il livre sa propre lecture. Il revient notamment sur la genèse de cet hommage sous forme de livre, sur le procès de Baya Hocine, la torture et les «oubliées de l'histoire» (les femmes). Dans ces quatre chapitres, la plume de l'historien trempe dans l'encre de la mémoire vive et de plaies jamais cicatrisées. Il y a, ici, d'importants rappels historiques visant à «combattre la falsification et la déformation» de nombreux faits et évènements, dont l'utilisation des bombes. Par exemple, la première bombe qui explose à Alger (rue de Thèbes, le 10 août 1956) et qui a fait des dizaines de morts est le fait d'ultras, avec André Achiary à leur tête. «Le FLN n'avait pas d'autre choix que d'utiliser les mêmes méthodes grâce à l'engagement de poseuses de bombes», souligne Amar Belkhodja. Les premières déflagrations secouent Alger le 30 septembre 1956. «Djamila Bouhired va inaugurer l'introduction des bombes dans la résistance en milieu urbain, suivie ensuite par Zohra Drif, Malika Korriche, Fella Hadj Mahfoud, Z'hor Zerari, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouazza, Djamila Boupacha... Deux nouvelles adolescentes vont intégrer le réseau urbain. Djohar Akrour, 18 ans, et Baya Hocine, 17 ans, vont transporter des bombes, la première au stade municipal avec son compagnon Rahal Boualem et la seconde au stade d'El-Biar avec Bellamine Mohamed. C'était le 10 février 1957. Ce sont des moments marqués par une situation explosive. C'est le cas de le dire. La grève des huit jours venait tout juste d'être terminée. Massu et ses parachutistes vont alors déclencher et poursuivre la plus féroce et sanglante répression contre les Algériens pour détruire coûte que coûte et par tous les moyens les réseaux urbains FLN», rappelle l'auteur. Ce sera «la bataille d'Alger», une formule empruntée à Jacques Massu et aux officiers de l'armée française. Amar Belkhodja réfute une telle terminologie — caractéristique du lexique de l'armée coloniale — tout en estimant que la formule de l'historien Gilbert Meynier («la répression coloniale de l'hiver 1957») est plus juste. Le 19 février 1957, Baya Hocine et ses compagnons sont arrêtés. Avec les pouvoirs spéciaux en vigueur, la justice est expéditive : «Le 2 mars 1957, les deux auteurs de l'attentat à la bombe et deux de leurs camarades sont condamnés à la peine capitale. Ils sont exécutés le 20 juin à la même heure à Serkadji.» L'auteur revient sur l'atmosphère angoissante de la prison de Barberousse (Serkadji), dont «les captives (...) gardent des souvenirs les plus exaltants et les plus traumatisants à la fois». Rappel et digressions utiles sur la guillotine, les exécutions souvent collectives, le procès de Baya Hocine et Djohar Akrour... Dans le chapitre consacré à la question de la torture, Amar Belkhodja déplore le «déficit effarant» dans l'écriture de l'histoire, de tout ce qui est relatif à la torture pendant la guerre. «A l'exception de Louisa Ighilahriz, qui apporte son témoignage avec émotion et fracas, la plupart des autres torturées de la guerre de Libération nationale ont gardé le silence après 1962», relève l'auteur tout en s'interrogeant sur les raisons et les conséquences de ce silence. Quant à la deuxième partie de l'ouvrage (les annexes), elle réunit les écrits et documents évoquant Baya Hocine : comptes rendus de la presse coloniale sur son procès, un entretien avec Me Nicole Dreyfus (son avocate), l'hommage rendu par la presse nationale, l'entretien accordé au journal El Moudjahid du 8 février 1981, le récit de sa vie dans le livre de Danièle Djamila Amrane Minne (Les femmes dans la guerre, Ed. Karthala 2004), la lettre ouverte à Chadli Bendjedid, les poèmes écrits en prison, des photos et coupures de presse. A l'entame de son témoignage recueilli par Danièle Djamila Amrane Minne, figurent notamment ces lignes : «Née en 1940 à La Casbah d'Alger, Baya Hocine est issue d'une famille modeste et très nationaliste. Lycéenne, elle fait la grève en mai 1956 et commence à militer. Rapidement elle passe dans la clandestinité et vit avec un groupe de fidayine dont elle partage les actions. Arrêtée en février 1957, elle est condamnée à mort ainsi que Djoher Akrour et quatre autres fidayine. Elle a 17 ans, Djoher en a 18. Graciées, elles restent détenues jusqu'à la fin de la guerre ; leurs quatre compagnons d'armes sont guillotinés. Après l'indépendance, Baya reprend ses études et devient journaliste. Mère de trois enfants, elle a des activités politiques au sein du FLN et a été député de 1977 à 1982.» Malika El Korso — qui rend également hommage à Baya Hocine — écrit pour sa part (annexe 4) : «En sursis de mort de 1957 à l'an 2000, elle rendra l'âme un 1er mai, loin du regard des ‘'sœurs'' et des ‘'frères'' de combat qu'elle a côtoyés sa vie durant. Elle partira sur la pointe des pieds, dans la discrétion comme elle fit son entrée dans le combat libérateur (...). La résidence universitaire de Bab Ezzouar a été baptisée du nom de cette ‘'bombiste'', mais combien d'étudiants savent qui était Baya Hocine !» Hocine Tamou Amar Belkhodja, Baya Hocine (1940-2000), au cœur de tous les combats, éditions Enag, Alger 2014, 190 pages.