Par Hassane Zerrouky [email protected] La voix de l'Etat islamique (EI, Daesh) s'est tue. Abou Mohamed Al-Adlani, 38 ans, né près d'Idleb (Nord syrien), a été tué, mardi, par un missile américain. Il est «mort dans la province d'Alep en inspectant les opérations militaires», a précisé Amaq, l'agence d'information de l'EI. Et sa présence dans cette région où se déroulent des combats entre l'armée syrienne et des groupes islamo-djihadistes prouve, si besoin est, que Daesh n'a jamais été chassé d'Alep par les islamistes dits modérés comme l'affirme une partie de l'opposition syrienne relayée par des médias et des «experts» occidentaux du djihadisme et qu'il combat bel et bien aux côtés des autres factions djihadistes contre l'armée de Bachar. Abou Mohamed Al-Adnani s'est fait connaître le 29 juin 2014 en proclamant la création de l'Etat islamique 21 jours après la prise de Mossoul. «La Choura (Conseil) de l'Etat islamique», qui «a décidé d'annoncer l'établissement du califat islamique, a désigné «le cheikh djihadiste Abou Bakr Al-Baghdadi calife des musulmans», avec le titre de «calife Ibrahim», déclarait-il alors, ajoutant que «le califat est devenu le rêve de tout musulman» et «le souhait de tout djihadiste». Non sans avertir que les groupes djihadistes n'ont désormais «aucune excuse religieuse pour ne pas soutenir cet Etat» et les inviter à «prêter allégeance (bay'a) au calife Ibrahim». Certains l'ont fait tandis que ceux qui l'ont refusé ont été impitoyablement combattus. Sur son parcours, on sait en fait peu de choses, sinon qu'il a fait ses armes en Irak contre les forces américaines aux côtés d'Abou Mossaâb Zerqaoui, mort en 2006, le premier à avoir mis en scène (par vidéo) sur la toile les décapitations de femmes et d'hommes tombés entre les mains de son groupe. Fait prisonnier dans la région d'Al-Anbar par les Américains en 2005 et détenu dans le camp de Bucca par où sont passés les futurs cadres fondateurs de l'EI, Al-Adnani a été remis en liberté en 2010. Ce n'était que partie remise puisqu'à l'occasion du «printemps syrien», le voilà de retour dans les rangs de Daesh. De ce fait, Al-Adnani, tout comme Daesh, est un pur produit de la dislocation de l'Irak consécutive à l'invasion de ce pays par les Etats-Unis en 2003 et de la militarisation de la révolte syrienne, militarisation encouragée par Washington, Paris et leurs alliés arabes et turcs, lesquels croyaient alors pouvoir rééditer le scénario libyen en Syrie. On sait ce qu'il en est advenu aujourd'hui en Libye et ce qu'il en est aujourd'hui en Syrie. Mais bon, passons. De lui, les médias et experts occidentaux n'ont retenu que le fait d'être le «ministre de la propagande de Daesh», l'homme qui a encouragé et orchestré la vague d'attentats ayant frappé Bruxelles et Paris et revendiqué tous les actes perpétrés par des terroristes «isolés» comme celui ayant commis un massacre dans une boîte de nuit à Orlando (Etats-Unis), du chauffeur du camion fou de Nice ou le meurtre du prêtre Hamel dans l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray en France... Pourtant, Al-Adnani avait déjà légitimé des crimes de masses commis contre des «musulmans» en Irak, en Syrie, en Libye et au Yémen. Chacun a en mémoire ces mises en scène vidéo d'exécutions massives de 1 700 recrues de l'armée irakienne en juillet 2014 par des Sonderkommandos islamistes jetés ensuite dans l'Euphrate ou de ces centaines de soldats syriens et irakiens exécutés à l'arme blanche ou par balle après avoir été jetés dans des fosses communes. Et que dire de ces attentats suicide quasi-quotidiens aux véhicules piégés en Syrie, en Irak, en Egypte, visant des civils «musulmans», des actes qui ne sont d'ailleurs médiatisés en Europe, en France particulièrement, que depuis peu, car jusque-là on ne leur consacrait que peu ou pas de place ? La mort d'Al-Adnani vient s'ajouter à celles de l'Irakien Abou Muslim Al-Turkmani (le Turkmène) en août 2015, du financier Abou Salah de son vrai nom Moustafa Mohammed Al-Karmush en décembre de la même année, du vétéran Abderrahmane Al-Qadouli en mars 2016, 60 ans, et celle du Géorgien Tarkhan Batirachvili dit Omar le Tchétchène, en juillet dernier. Tous ces hommes ainsi qu'Al Adnani appartenaient au premier cercle de l'EI (Daesh). Mais si ces morts font peser une certaine insécurité sur les cadres dirigeants de l'EI, cela ne signifie pas que Daesh est au bout du rouleau. La mort d'Al-Adnani intervient à un moment où l'EI est en retrait sur les fronts syrien et irakien, dans un contexte mouvant où les lignes de front ne cessent de bouger au gré des rapports de force, des renversements d'alliance et des interventions militaires dont la dernière, celle de la Turquie en Syrie, visant à expulser les FDS (Forces arabo-kurdes dominées par les YPG kurdes) des localités prises à l'EI grâce au soutien américain. Mais elle intervient surtout dans un contexte d'impasse politico-militaire sur fond de décomposition territoriale de la Syrie et de fragmentation de la société syrienne.