Les organisateurs des 14es Rencontres cinématographiques de Béjaïa viennent d'annoncer que le film-documentaire Vote Off de Fayçal Hammoum sera très probablement déprogrammé ce jeudi pour cause de non-octroi de visa d'exploitation. Le ministère de la culture vient de signifier aux organisateurs des Rencontres l'interdiction tacite de la projection du long-métrage documentaire Vote Off, apprend-on auprès de Abdennour Hochiche, directeur du festival. Produit par Thala Films et réalisé par Fayçal Hammoum, le film revient sur la campagne présidentielle de 2014 où le Président Abdelaziz Bouteflika, candidat à un quatrième mandat et physiquement diminué, était totalement absent des meetings. La tutelle n'a cependant pas déclaré clairement le film interdit mais a envoyé aux organisateurs une liste des œuvres ayant bénéficié de visas de diffusion où ne figure pas Vote Off. Or, la nouvelle loi sur le cinéma prévoit des sanctions sévères dans le cas où un film est projeté sans avoir reçu au préalable l'autorisation du ministère : «Si on le projette quand même, on risque la dissolution de l'association Project'heurts et l'arrêt des Rencontres», nous dit A. Hochiche. Il ajoute, par ailleurs, qu'il prévoit d'ouvrir les portes de la Cinémathèque de Béjaïa et de convier le public à un débat autour de la question en présence du réalisateur et du producteur Yacine Bouaziz. Ce dernier, contacté par téléphone, affirme qu'il s'agit là d'un acte de censure : «Le ministère ne nous a jamais accordé un visa d'exploitation pour aucun de nos films, lesquels ont reçu des prix de par le monde et même celui du meilleur court-métrage pour Al Jazira de Amine Sidi Boumediene au Festival d'Oran du film arabe (un événement organisé par le ministère) où il a été projeté sans visa ! Pour ce qui est de Vote Off', la tutelle ne nous a jamais signifié un refus clair et s'est contentée de faire la sourde oreille à tous nos courriers, mails et fax.» L'un de ces courriels a été envoyé conjointement par Yacine Bouaziz et Abdennour Hochiche au ministre de la culture Azzedine Mihoubi. Ils y déplorent une atteinte grave à la liberté d'expression et de création garantie par la Constitution. «La période des élections en 2014 fut pour tout le pays un moment d'une extrême tension. Notre film tente de retranscrire cela. En même temps, ils donnent la parole à de jeunes travailleurs dont certains sont pour le quatrième mandat, d'autres ne voient pas l'utilité de voter. Et c'est cela le sujet du film : essayer de comprendre pourquoi certains ne croient plus aux élections. Le cinéma joue là son rôle crucial car il tente de comprendre un fait social ; il est un miroir de la société algérienne, un miroir dont tout le monde pourrait tirer parti pour améliorer l'avenir du pays (...) Ne muselez pas les artistes, Monsieur le Ministre de la culture, car c'est mauvais pour notre pays, mauvais pour son image, mauvais pour l'avenir de nos enfants...», écrivent-ils. Pour rappel, depuis une quinzaine d'années, le visa d'exploitation a souvent été utilisé comme une arme de censure qui s'est abattue sur plusieurs films indépendants et politiquement incorrects. C'était le cas de La Chine est encore loin de Malek Bensmaïl et de nombreuses autres productions qui ont subi un black-out total et ont très rarement pu atteindre le large public.