Par Belaïd Mokhtar, un lecteur J'avais à peine deux ans quand mon père a décidé d'émigrer en France afin, disait-il, de nous offrir une vie meilleure. Durant les premiers mois, nous recevions de petits mandats, puis silence radio. Plus aucun signe de vie. C'est mon oncle paternel qui nous a pris sous son aile, mes deux frères, mes deux sœurs, ma mère et moi, le benjamin, et ce, jusqu'à la majorité de mon frère aîné. J'avais 19 ans quand mon frère devait normalement être dispensé des obligations du service national, vu qu'il était soutien de famille, mais il fut quand même incorporé et notre seule source de revenus disparut avec lui. Ainsi, et durant deux longues années, nous avons vécu dans des conditions plus que pénibles. Plusieurs années se sont écoulées et c'était à mon tour de rejoindre les rangs de l'armée pour deux ans, mais avec le retour de mon père, après une absence de 16 ans, Dieu merci, notre situation familiale a connu une stabilité : mon père a réussi à obtenir un petit espace au marché communal où il vendait des olives, mon frère avait un boulot, donc c'était sans rechigner ni chercher un quelconque subterfuge que j'ai rejoint la caserne. C'est durant mon service national que j'ai été informé du décès de mon père suite à un problème cardiaque, j'ai eu droit à une permission pour assister à l'enterrement. Sitôt ses études achevées, mon autre frère n'a pas dérogé à la règle, lui aussi a accompli ses obligations vis-à-vis du service national. Il a même été rappelé pour une année supplémentaire durant la décennie noire. A la fin de mon service national, j'ai voulu reprendre l'activité de mon défunt père. Voulant travailler dans la légalité, j'ai donc fait toutes les démarches nécessaires pour que le registre du commerce soit à mon nom. Hélas et après quelques mois d'activité, j'ai connu de graves problèmes de santé. J'atteignais des pics de tension artérielle plus que dangereux pour ma santé. Mon cardiologue m'a alors vivement recommandé de faire de l'exercice et de la marche à pied, alors qu'au marché, je passais plus de 10 heures par jour debout ou assis, ce qui était suicidaire pour moi. J'ai donc loué mon stand à un boucher pour une modique somme. J'ai ensuite vendu la vieille camionnette de mon défunt père, pour acheter un fourgon d'occasion.J'ai carrément changé de métier, et me suis versé dans le transport urbain et j'avoue que mon état de santé s'est quelque peu amélioré. Voulant rester clean vis-à-vis des impôts, j'ai déclaré cette seconde activité, et c'est là le début de ma descente aux enfers. Moi qui ai horreur de la profession de boucher et qui n'ai jamais vendu un gramme de viande, je n'arrêtais pas d'être convoqué au tribunal pour des infractions commises par le boucher qui travaillait dans mon stand ; trop de graisse dans les merguez : amende de 1,5 million, viande hachée préparée à l'avance : 2 millions, et j'en passe. Un jour, à cause de poulets non conditionnés et recouverts de films en plastique, j'ai failli me retrouver en prison, c'était l'époque de l'épidémie de la grippe aviaire. Chaque fois que je me retrouvais à la barre, j'essayais d'expliquer au juge que je n'étais pas l'auteur des infractions, mais impossible de lui faire entendre raison. La seule réponse que j'obtenais, c'était la sempiternelle phrase : «Le registre du commerce est à votre nom, le responsable c'est vous.» J'ai bien sûr essayé de remédier à cela en me rapprochant de la mairie. J'ai tenté d'obtenir une dérogation de location et cela suite à mon état de santé en constituant un dossier en bonne et due forme pour changer le registre, certificat médical à l'appui. Le locataire du stand était d'accord, et avait consenti à payer les impôts de son commerce mais aucune réponse même négative ne m'est parvenue. Aujourd'hui, on me réclame aussi de payer une somme astronomique aux impôts concernant la boucherie volailles. Le drame c'est que tout le monde pense que je roule sur l'or, mais la réalité est tout autre. J'ai dû vendre mon fourgon à cause de mes problèmes de santé, je n'ai pas le droit de postuler à un logement car je compte parmi les nombreux héritiers d'une vieille bâtisse laissée par mon défunt grand-père ; une maison délabrée qui menace ruine. L'avalanche des dures épreuves qui me sont tombées sur la tête me détruisent chaque jour un peu plus. Ma santé en a pris un sacré coup, et j'ai fini par choper un sévère diabète, et pour couronner le tout je n'ai pas de carte Chifa, car je suis toujours redevable vis-à-vis des impôts. Voilà à quoi Noureddine en est réduit, à cause de ces impôts qui ont gâché sa vie.