Si l'image préconçue en a fait jusque-là un sport de privilégiés, depuis quelques années la natation baigne désormais au sein de toutes les classes. Il n'y a pas un parent qui ne soit pas intéressé à inscrire ses bambins ne serait-ce que pour une heure ou deux par semaine. Preuve en est, accéder à un couloir dans un bassin est devenu aussi improbable que gagner à la loterie. Chacun y va de ses raisons : bien-être, loisir, santé... les raisons sont multiples et le but est le même. Alger avec près de trois millions d'habitants et une densité qui frôle les 4000 individus au km2 est l'une des villes qui subit le plus de pression sur un nombre insuffisant de bassins d'autant que les mêmes infrastructures sont à la fois exploitées par les clubs agréés que par les particuliers. Nous avons plongé l'oreille dans le milieu des parents et des pratiquants. Leurs témoignages sont édifiants. Lamia : «la natation est une histoire de famille» Lamia vient de mettre au monde son quatrième enfant et comme les trois précédents, la pratique de la natation est indiscutable : «Nous baignons dans ce milieu depuis notre enfance. Mon défunt père nous a jetés, mes frères et moi, dans un bassin dès les premiers mois de notre vie. Même durant les pires années du terrorisme, nous ne rations aucune séance et pourtant nous résidions dans un quartier réputé pour être un fief islamiste. Nous avions des entraînements après les cours. Je ne veux pas priver mes enfants de ce plaisir. C'est un sport complet qui aide un enfant à mieux travailler à l'école. Moi aussi, je ressens le besoin de savoir mes enfants à la piscine car je sais qu'il n'y a pas mieux pour les aider dans leurs études. Je ne suis pas dans une démarche de compétition mais de recherche des meilleures conditions pour leur assurer un bien-être mental et la possibilité de décompresser.» Mustapha : «allier plaisir et santé» Mustapha, lui, est fonctionnaire. Il n'a pas choisi la natation pour son petit Anis. Il voulait l'orienter vers le football. Mais Anis en a décidé autrement. Après un passage par le tatami dans une salle de judo, il a voulu s'essayer à la natation. Mustapha raconte : «Je voulais certes l'orienter vers le foot pour lui donner une double chance dans la vie : les études et la carrière sportive. Anis a estimé que le foot était rugueux, il se plaignait des coups. Puis il a fait un peu de judo. Finalement, il a opté pour la natation. Enfin, opter ce n'est pas vraiment le mot. C'était une recommandation médicale faisant suite à quelques soucis respiratoires. Comme nous faisons souvent des allergies respiratoires saisonnières, je me suis dit que c'était le sport idéal pour lui afin d'éviter de recourir à la pompe. Il a l'air de s'y plaire. Il s'est fait beaucoup de copains et je sens que sur le plan santé il va mieux.» Karima : «trouver une place ! Plus qu'un combat, une bataille» A six ans, Mayssa, la fille aînée de Karima, n'a plus l'appréhension de l'eau. L'initiation s'est passée pour elle d'abord de manière ludique lors des vacances dans la piscine de l'hôtel. Un court séjour durant lequel la petite a pu se familiariser avec l'eau et acquérir une aisance aquatique. «Au retour des vacances, elle n'avait que le mot piscine à la bouche», se souvient encore sa maman qui pensait que cela allait être une simple formalité que de l'inscrire dans un club. Ce fut tout sauf une baignade paisible. Première surprise, l'indisponibilité d'un bassin dans la commune de Rouiba, l'une des plus riches d'Alger. A Bab Ezzouar, situé à une dizaine de kilomètres du lieu de résidence, il y a bien un bassin, mais il ne convient pas non plus à cause de la distance entre l'école et la piscine et l'absence de transport direct. La maman de Mayssa avait également ce souci de trouver un créneau horaire adapté à la scolarité de sa fille. Au final, elle fut contrainte d'aménager ses horaires de travail pour pouvoir accompagner sa fille à la piscine. Meriem, ancienne nageuse : «Il y a un véritable engouement pour la discipline» Meriem s'est mise à la natation très tôt. Affiliée dans un club, l'ASPTT, pendant une quinzaine d'années, elle continue de suivre l'évolution de la discipline. Tout naturellement, ses trois filles commencent à fendre l'eau. Pour elle, la natation enregistre un véritable engouement ces dernières années. «Apprendre véritablement à nager, c'est-à-dire être en sécurité dans l'eau grâce à la maîtrise d'une ou de plusieurs techniques de nage, suppose certaines capacités de concentration et de coordination des mouvements. A partir de 6 ou 7 ans, l'enfant dispose de la maturité nécessaire pour commencer cet apprentissage. Mais avant, c'est d'abord l'amour du sport et non la compétition qu'il faut lui inculquer. Si maintenant un parent choisit pour son enfant la natation, la première tâche à faire est d'aider l'enfant à vaincre la peur de l'eau. Je le vois souvent, beaucoup de parents souhaitent donner des cours de natation à leurs enfants avant l'âge de la scolarité dans le but de prendre de l'avance dans cette activité sportive. Ce n'est pas une mauvaise chose mais il faut faire très attention. Tout d'abord, un apprentissage précoce a bien peu de chances d'apporter une autonomie suffisante pour que l'enfant soit en sécurité dans l'eau. D'autre part, il semble bien plus intéressant de proposer à l'enfant une variété de situations et d'activités que de l'enfermer très tôt dans une technique de nage. Les activités pour bébés-nageurs permettent de découvrir en douceur et avec plaisir le milieu aquatique tout en favorisant l'éveil et le développement psychomoteur. Ceci étant, une pépinière de champions peut émerger du lot». Louisa : «ça affiche complet» Avec une rage qu'elle tente de dissimuler, Louisa nous lancera tout de go ; «Je ne crois plus au discours officiel. C'est faux, ne peut s'inscrire à la piscine qui veut. J'en parle en connaissance de cause. Cela fait trois ans que j'essaye d'inscrire ma fille (elle a 9 ans aujourd'hui) et je n'ai toujours pas réussi. Là où je vais ça affiche complet. Et avec un sourire jaune, on me dit de revenir l'année prochaine. Entre le blabla officiel et la réalité, il y a tout un monde. Selon les ouï-dire, les enfants sont inscrits en début de saison, nagent quelque temps et abandonnent. Les responsables ne prennent pas la peine de réactualiser les listes et par là même donner la chance aux autres.» Mohamed, père d'une graine de championne : «les valeurs du sport avant tout» Mohamed a été un bon joueur de football, passionné par le sport en général et dans la famille, ce sont les valeurs du sport qui lui ont été inculquées en premier lieu. Bien que son fils ait enregistré de bons résultats, les valeurs, répète-t-il, sont le vrai acquis d'un sportif fût-il champion olympique. «J'ai eu deux enfants, un garçon et une fille, qui ont deux années d'intervalle et je ne les ai pas poussés à faire du sport de compétition particulièrement. J'ai inscrit ma fille en natation pour la raison pratique de savoir nager et puis elle a aimé cela. Alors la petite sœur a démarré de la même manière, mais elle a très vite montré plus d'intérêt et aussi une aptitude particulière, selon son entraîneur. Elle a fait quelques compétitions avec des résultats prometteurs. Mais je ne lui mets aucune pression. D'abord ce sont le plaisir, l'équilibre d'esprit et par-dessus tout, les valeurs du sport qui doivent primer.»