Par Ahmed Halli [email protected] Nous avons eu notre affaire «Cheb Mami», elle figure désormais dans les annales judiciaires, les Marocains viennent enfin d'avoir leur affaire «Saad Lamjarred», star dans son pays, détenu en France. Théoriquement, les citoyens du royaume d'à côté n'ont plus d'autres raisons de nous jalouser et de s'acharner à nous surpasser, même dans les plus sombres comportements. Voilà encore un sujet sur lequel devraient plancher ceux qui veulent nous fourguer le GMA (Grand Maghreb arabe), un projet qui s'essouffle à traîner ce «A» (pour arabe) comme un boulet. Soit, les Marocains ont eux aussi leur chanteur-violeur, et il semble bien que son affaire est bien plus grave que celle du «Cheb», puisqu'il a été incarcéré sur-le-champ dans une prison française. En effet, il s'agit d'un viol commis à Paris par le chanteur marocain, en prélude à une tournée en France qui s'annonçait triomphale et qui a tourné court, et même très court, dans un hôtel parisien. C'est plus fort, mais c'est moins bien, puisque notre affaire à nous a eu pour cadre une villa sur les hauteurs d'Alger, et que le Marocain s'est fait prendre littéralement la main dans le sac, si j'ose dire. La victime, française de «souche», selon l'acception de Sarkozy, qui a porté plainte contre le chanteur marocain, a affirmé qu'elle ne connaissait pas son présumé agresseur. Un point pour nous puisque la Française qui a fait condamner Mami le connaissait personnellement, alors que lui préférait la connaître, au sens biblique du terme accessible aux croyants. Encore une chose en notre faveur, même dans ces affaires peu réjouissantes : par pudeur, et à l'exception du sommet de l'Etat, nous n'avons pas décrété que notre «Cheb» national était la victime d'un complot. Nous n'avons pas happé l'occasion de vilipender le passé colonial de la France, ni fait valoir le droit de revanche des anciens colonisés, en particulier le droit au «butin». Nous n'avons pas écouté nos harangueurs patriotards qui nous suggéraient que cela aurait pu se faire au titre des réparations dues pour dommages de guerre. En revanche, tous les citoyens du Maroc, rassemblés derrière leur souverain bien-aimé, ont soutenu Saad Lamjarred, ont clamé son innocence, brandissant unanimement la théorie du complot. Fort heureusement, les Marocains n'ont pas poussé le ridicule jusqu'à nous emprunter la «main de l'étranger», sachant que la seule main en cause et furieusement baladeuse est celle de leur star. Le roi en personne est monté au créneau en s'engageant à faire tout le nécessaire pour la «gloire nationale» du Maroc, en prenant notamment en charge ses frais d'avocat. En attendant, on appréciera la discrétion des médias français dans l'affaire Lamjarred, comparée au traitement réservé à un «Cheb Mami», certes coupable, mais aussi et surtout algérien. Coïncidence étrange, l'affaire Lamjarred a éclaté quelques jours après la visite en France d'une délégation de religieux musulmans, conduite par Oussama Nabil, l'un des grands ténors d'Al-Azhar. Le théologien égyptien est à la tête d'une «Caravane de la paix», composée d'imams et d'enseignants, chargée de promouvoir les vertus du dialogue et de la tolérance. Le groupe de religieux a fait une visite remarquée à l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, en hommage au père Hamel, assassiné à l'intérieur de sa curie le 26 juillet dernier. Oussama Nabil, professeur de littérature française à Al-Azhar, a été, de ce fait, très en vue et très sollicité par les médias, notamment lors de la conférence organisée à son intention à l'Assemblée nationale. Il a défendu un islam du «juste milieu», opposé aux déviations religieuses et au fanatisme, porteurs de violence, un «juste milieu» que l'Université Al-Azhar aspire à incarner. C'est sans doute ce «juste milieu» que cherchait à atteindre le chanteur marocain lorsqu'il poursuivait sa jeune victime dans les couloirs d'un palace parisien. Oussama Nabil a estimé que la France avait justement besoin d'un islam du «juste milieu», allusion à l'influence grandissante du mouvement des Frères musulmans dans la communauté musulmane. Ce en quoi il a parfaitement raison, puisque sous couvert de tolérance et de liberté, la France a accueilli et installé sur son sol tous les extrémistes musulmans. Mais en donnant en exemple Al-Azhar, comme modèle de modération, de «wassatia», il trompe son monde, puisque, dans la réalité, Al-Azhar joue surtout le rôle de vigile de l'orthodoxie. Lors de ses interventions, Oussama Nabil a omis notamment de dire que son institution avait entamé des poursuites contre le prédicateur Islam Buhaïri, actuellement en prison. C'est le Cheikh d'Al-Azhar, Ahmed Tayeb, en personne qui a requis auprès des tribunaux l'interdiction de la diffusion des émissions du penseur sur la chaîne Al-Kahéra Wal-Nass. Il a également demandé au tribunal d'interdire l'apparition du célèbre animateur dans un programme similaire et sur n'importe quelle chaîne de télévision. Le tribunal devait statuer hier sur la demande, mais il a ajourné la décision au mois de janvier prochain. D'ici là, il coulera encore beaucoup d'eau sous les ponts du Nil, et Al-Azhar continuera de vendre son «juste milieu», inquisiteur et répressif, partout sauf en Egypte, où les intellectuels connaissent l'antienne.