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PARLONS-EN
"N'�coutez pas, mesdames" (*) Par Malika BOUSSOUF [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 16 - 03 - 2005

Si c'�tait au don de clairvoyance, dont toutes les femmes ne seraient, selon lui, pas pourvues, que faisait allusion le pr�sident de la R�publique en parlant de politique, celles parmi les pr�sentes � la c�r�monie organis�e, en leur honneur, � l'h�tel El-Aurassi le 7 mars dernier en auront eu pour leurs frais de couturi�re, de coiffeur et d'esth�ticienne. A condition, bien s�r, qu'elles aient saisi le sens de son intervention.
Le discours quelque peu condescendant, machiste et m�prisant � souhait n'a pas eu l'air d'en d�ranger beaucoup parmi l'assistance dont nous avions pr�dit que la majorit� se sentirait trop honor�e d'�tre l� pour montrer le moindre soup�on de m�contentement ou oser �mettre une quelconque remarque. Dans le r�le de la protestataire qui faisait mine de n'avoir pas renonc� � d�fendre la cause f�minine, on aura pr�vu, comme dans une pi�ce de th��tre bien rod�e, Me Zohra Drif-Bitat, promue s�natrice par le chef de l'Etat, un ami de longue date et qu'en d'autres circonstances elle n'aurait du reste jamais interpell� de la sorte. Mais ce jour-l� n'�tait pas ordinaire et on imagine fort bien la suggestion qui pourrait lui avoir �t� faite pour les besoins des cam�ras de t�l�vision et des journalistes pr�sents dans la salle. Zohra Drif, la respectable ancienne moudjahida, qui contestait le code de la famille aux c�t�s d'autres femmes tout aussi honorables devant les portes ferm�es de l'APN dont son d�funt mari �tait le pr�sident, a tendu la perche � Bouteflika qui s'est empress� de la saisir face � un parterre de femmes qui gloussaient d'aise. Un partage de t�ches judicieusement orchestr� du genre "je fais semblant de te titiller, tu pourras ainsi livrer le fond de ta pens�e sans que l'assistance y d�c�le une once de complicit�". Et les femmes, essentiellement pr�occup�es par l'�talage de leurs beaux atours, n'y auront effectivement vu que du feu dans cet �change qui s'apparentait � ce que l'on traduit dans le jargon populaire par un : "La parole est pour toi et son sens pour ta voisine." Le deal �tant celui-l�, il n'avait aucune raison de g�ner la s�natrice dans ses renoncements � ses convictions d'autant que c'�tait au nom de l'amiti� qu'elle sacrifiait ces derni�res, l'objectif premier �tant de promouvoir "la grandeur, la sagesse et l'avant-gardisme" du chef de l'Etat. Si les assertions selon lesquelles faire de la politique n'est pas donn� � tout le monde rel�vent de Lapalissade, la raret� de la vocation politique chez les Alg�riennes est, elle, par contre, d'une r�alit� d�concertante. Sur ce plan-l�, Bouteflika pourrait bien, pour une fois, avoir raison. Et quand il s'amuse � venir dans un souk de femmes leur ass�ner que si elles voulaient le statut qu'elles r�clament, elles n'auraient qu'� cesser d'applaudir, se retrousser les manches et � aller le chercher, c'est-�-dire se donner les moyens d'arracher leurs droits, il faut lui conc�der qu'il n'a pas tout � fait tort. Quand on pense, en effet, au parcours militant, semblable en apparence mais tellement oppos� dans la r�alit�, de deux femmes comme Louisa Hanoune et Khalida Toumi, on comprend mieux que l'une ait �t� emprisonn�e et l'autre pas. Entre les deux, il y avait et il y a toujours la force des convictions. Le recul aidant, on comprend mieux �galement pourquoi l'une ne c�de pas aux sollicitations r�currentes du pouvoir et l'autre se laisse bercer par l'illusoire chant des sir�nes et s�duire par les apparats. L'une est responsable politique � temps plein qui n'a pas attendu l'assentiment du syst�me pour imposer ses choix � un milieu traditionnellement r�serv� aux hommes. L'autre est un faire-valoir, une sorte d'alibi, depuis longtemps rep�r� pour servir de caution � une hi�rarchie qu'elle n'aurait jamais tol�r�e qu'elle soit autre que masculine. Cela marche, h�las, jusqu'au jour o� � force de faire la claque, l'on finit par exc�der y compris celui � qui cette derni�re est destin�e. C'est ainsi que les compliments sont servis � l'une en signe d'admiration et de respect et que les remarques teint�es de m�pris � peine voil� sont d�coch�es � l'autre, une passionaria sur le retour qui, prise sur le fait d'avoir troqu� — de nouveau — son statut de ministre contre celui de chauffeuse de salle, accusera le coup sans broncher pour pr�server quelque privil�ge. Et pour cause ! Il ne faut surtout pas perdre de vue la monture que l'on a cyniquement choisie de m�nager. Ainsi, lorsque Louisa refuse de se compromettre et d�cline poliment une invitation � rejoindre un gouvernement dans lequel elle serait la seule, selon lui, � m�riter de si�ger, Khalida bat des cils en faisant mine de ne pas se sentir concern�e et boit goul�ment les paroles de celui qui l'insulte, sugg�re qu'elle est l� par accident et lui d�nie, en flattant son ennemie jur�e, toute aptitude � g�rer un d�partement. On pourrait d�cid�ment tout reprocher � Bouteflika sauf de ne pas savoir de qui il parle ou qui il vise d�s lors qu'il d�tache les yeux de son discours pour les braquer sur l'assistance. Il aurait dit "vous avez un os � ronger. Rongez-le et battez-vous pour en avoir un autre" plut�t que "vous avez obtenu des acquis aujourd'hui, n'en exigez pas davantage" que l'effet aurait �t� strictement le m�me et la r�action aussi, tellement militantisme et lutte pour l'�galit� des droits �taient loin, ce jour-l�, des pr�occupations de ce que les mauvaises langues s'amusent � comparer � une basse-cour. Question int�ressante � plus d'un titre : � qui s'adressait Bouteflika � El-Aurassi en martelant qu'il ne fallait pas attendre l'aide du pouvoir pour s'�manciper mais le faire par soi-m�me ? A personne peut-�tre ou encore aux spectatrices privil�gi�es venues servir de d�cor � la com�die que nous �voquions pr�c�demment puisque la question reste sans r�ponse et qu'aucune r�plique n'a �t� donn�e aux envol�es du chef de l'Etat � l'exception de celle r�serv�e par la secr�taire g�n�rale du Parti des travailleurs qui, ne s'interdisant aucune critique, n'a pas craint de relever le d�fi lanc� aux femmes ce fameux 7 mars. Il faudra bien pourtant que les militantes de la cause f�minine, interdites d'expression � l'instar de tous les mouvements de contestation, se r�veillent, reprennent du poil de la b�te et se d�gagent de l'inqui�tante l�thargie qui mine leur combat. L'urgence est signal�e depuis que Bouteflika, fier d'avoir bris� "des tabous" — on se demande bien lesquels — a signifi� la fin de sa contribution � la promotion de la femme. Comme la situation n'a en rien chang� depuis l'ind�pendance, ne serait-il pas temps de repenser les choses en mati�re de sensibilisation, dans la mani�re de d�noncer et de r�sister aux conservateurs et � leurs alli�s indirects, ceux qui se font un point d'honneur � clamer haut et fort qu'ils n'ont rien en commun avec les premiers dont ils n'ont, comble de la mauvaise foi, aucune pudeur � se d�marquer publiquement. Il s'agit, tout le monde l'aura compris, de ceux qui se pr�tendent pour la vitrine et pour la vitrine seulement contre cette discrimination qui fait des femmes des �tres inf�rieurs. Ceux-l� sont encore plus dangereux que ceux qui pr�nent le respect de la charia et qui ont le m�rite d'�tre clairs parce que cons�quents avec eux-m�mes. Pas tr�s loin d'eux, il y a les responsables paranos qui n'aiment pas les femmes comp�tentes et s'en prot�gent pour ne pas avoir � regarder leurs d�faillances personnelles. Ce sont nos pseudo- modernistes qui s'accommodent intellectuellement le mieux de ce qui rel�ve du fait accompli et qui se montrent les plus r�ticents � se d�marquer des "confortables" traditions alg�riennes ou � se d�faire de ce machisme dont ils s'imaginent na�vement qu'il est ce dernier rempart qui prot�ge leur virilit�. C'est ainsi que dans la r�alit�, ils se complaisent spontan�ment dans la reproduction du syst�me et que l'esquive ad�quate est conjugu�e � tous les temps pour justifier le fait que l'on ne soit pas r�trograde mais incapable de faire confiance � une femme qui ne serait pas g�n�tiquement con�ue pour un poste de responsabilit� mais tout juste pour jouer les assistantes au motif qu'elle ne puisse pas se substituer aux hommes. Des hommes qui se r�v�lent fourbes d�s lors qu'il leur est demand� de s'expliquer sur les raisons qui font qu'� comp�tence sup�rieure de la femme le poste soit tout de m�me r�serv� � un homme. Quand il est impossible de justifier son sexisme, on se fait agressif tout en roulant des m�caniques ou alors, quand cela devient trop flagrant, on se tait honteux et confus, impuissant, cependant, � rectifier le tir parce que reconna�tre ses torts �quivaudrait � s'affranchir de ses acquis. Il fallait reconna�tre au chef de l'Etat, notre Sacha Guitry national, de n'�tre pas le seul � penser de la sorte. Il a le m�rite, lui, de traduire publiquement sa misogynie. Ce qui est loin d'�tre le cas pour ceux qui se la jouent, pour la galerie, � la pointe de la modernit� mais qui, sur leur lieu de travail, se laissent spontan�ment dicter leurs actes par des r�flexes on ne peut plus r�trogrades. Ceux-l� sont plus � plaindre qu'� bl�mer.
M. B.


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