Parallèlement aux projections, le 7e Festival international du cinéma engagé organise des tables rondes thématiques à l'instar de celle, tenue hier à la Cinémathèque d'Alger, autour de «L'engagement dans le cinéma, entre plaidoyers et défis du futur». L'historien du cinéma Michel Cerceau, l'auteure et productrice Mireia Sentis Casablancas et les cinéastes Abdelkrim Bahloul et Sékou Traoré ont pris part hier à une table ronde modérée par Ahmed Bedjaoui pour débattre du présent et des perspectives du cinéma engagé. D'abord, une définition : qu'est-ce qu'un film engagé ? Pour Mireia Casablancas, il s'agit de réécrire l'Histoire du point de vue des vaincus et des opprimés tandis que le réalisateur burkinabé Sékou Traoré, lui, évoque des préoccupations politiques et sociales liées à la corruption, la pratique de l'excision, la traite des enfants et la condition féminine. Quant à Michel Cerceau, il pense plutôt à un cinéma qui réplique à une situation donnée non pas pour imposer une réponse au spectateur mais pour lui donner les moyens de construire les siennes. Enfin, Abdelkrim Bahloul ne se définit pas comme un cinéaste engagé car «je porte ma parole et mon ressenti sans qu'il y ait au préalable une intention engagée». Le réalisateur de Le voyage à Alger insiste par ailleurs sur les moyens financés : «Le cinéma est une aventure individuelle mais l'engagement est un mouvement de fond dans lequel sont impliqués plusieurs acteurs à l'instar des producteurs, distributeurs, etc. D'un autre côté, lorsqu'on est financé par l'Etat, on tombe souvent dans le film de propagande». A contrario, la question sur un cinéma «non-engagé» a été soulevée par le public ; A. Bahloul estime que le grand public paye généralement son ticket pour accéder au loisir et au divertissement et que réaliser un film engagé serait prendre le risque de déplaire à un grand nombre. Ahmed Bedjaoui souligne, pour sa part, la nuance entre film engagé et film militant : «Le premier peut tout à fait s'adresser au grand public alors que le second touche davantage des groupes restreints». Pour Mireia Casablancas, il s'agit d'abord de personnes engagées dont les films le sont aussi même sans intention d'en faire : «La seule différence se situe dans les moyens : si on en a, on réalise des films avec une bonne qualité artistique ; quand on n'en a pas, on se concentre sur le propos du film. Or, il ne faut jamais s'arrêter à cause du manque d'argent.» Sur la temporalité de ce genre cinématographique et son conditionnement par l'actualité, Abdelkrim Bahloul estime qu'«on a toute la vie pour faire des films» et de citer en exemple l'assassinat du poète Jean Sénac en 1973 : «Quand on a appris la terrible nouvelle, l'idée s'est immédiatement imposée de faire un film sur lui. Mais je n'ai réalisé Le soleil assassiné que vingt ans plus tard lorsque le moment était favorable et que j'ai pu accéder aux moyens financiers». Michel Cerceau, lui, exprime son total désaccord : «C'est terrible de devoir attendre que l'argent soit débloqué à l'occasion de commémorations et autres plannings événementiels pour faire des films !» Quant à Mireia Casablancas, elle rejette la description conjoncturelle car «l'actualité devient l'Histoire». Enfin, Sékou Traoré revient sur les conditions de production au Burkina Faso où l'Etat a encore une mainmise sur les moyens financiers. Par ailleurs, l'éternelle question «Est-ce qu'un film peut changer la société ?» fut inévitablement posée au cours de cette rencontre et a trouvé des réponses contradictoires chez les intervenants : Michel Cerceau ne croit pas qu'un film puisse changer la société mais il peut «faire bouger des individus dans leur confort intellectuel et dans leurs idées reçues» ; il estime également que la forme est l'ingrédient le plus important dans un cinéma engagé : «Il faut éviter d'être didactique et d'imposer des réponses toutes faites au spectateur.» Abdelkrim Bahloul pense, au contraire, qu'il est possible qu'un film change les choses ; il cite en exemple «Kramer contre Kramer» de Robert Benton (1979) qui, selon lui, a bousculé la vision traditionaliste envers le rôle de la femme au sein de la société, mais aussi La bataille d'Alger qui a «soudé le peuple algérien et éliminé les clivages régionalistes». Enfin, à la question si l'engagement est soluble dans la fiction, Ahmed Bedjaoui rappelle que le Festival s'est battu pendant des années pour franchir les cloisons et la séparation des genres : «Parfois, la fiction secoue beaucoup plus qu'un documentaire, en cela qu'elle fait appel à l'émotionnel et à l'imaginaire de chacun». Pour rappel, le Festival se clôturera demain soir avec la projection du long métrage brésilien Le professeur de violon de Sergio Machado.