[email protected] Il était la prunelle de ses yeux. Ramdane, ce bout de chou, savait mieux que personne lui rendre le sourire. Plus il grandissait, plus il devenait la coqueluche de la famille. Sa maman, fière de sa progéniture, mais très superstitieuse, évitait les regards envieux. Après dix ans de mariage et cinq années de stérilité, elle le couvait comme une poule. Elle a décidé d'arrêter de travailler malgré une carrière professionnelle prometteuse. Plus rien ne comptait pour elle à part son petit Ramdane. La joie avait atteint son paroxysme quand il devait rentrer à l'école. Euphorique, excitée, elle lui avait choisi le meilleur cartable, le plus beau tablier et la plus géniale des tenues, et bien sûr, préparer les plus succulents des beignets pour affronter un bon cursus. Une semaine avant le jour J, c'est le branle-bas de combat chez les grands-parents. Selma voulait faire de cette rentrée une véritable fête, où la famille était réunie dans la grande maisonnée. Elle attendait cet évènement depuis sa naissance. - Maman, je n'en crois pas mes yeux. Mon Ramdane a grandi et va rentrer à l'école. - Tu sais ma fille, les enfants ça pousse vite, il faut avoir beaucoup de patience, et surtout ne jamais baisser la vigilance. - Sur ce plan, el hamdoullah, c'est surtout avec son papa que j'ai des problèmes. Il me reproche de le couver. Il me dit que j'en fais trop, que je l'étouffe. Mais c'est plus fort que moi, j'ai toujours peur qu'il lui arrive quelque chose. - Il faut dire que Zoheir n'a pas tout à fait tort. Samedi, aux aurores, Selma était déjà debout. Elle a passé en revue tous les coins et recoins de la maison. Tout était fin prêt pour recevoir les convives. Elle tenait absolument à réaliser elle-même les beignets de son petit chéri. Elle s'installe à la terrasse, allume sa gazinière, prépare son huile de friture et se met à l'ouvrage. Elle s'assure que Ramdane ne rôde pas autour du feu, et le confie à son papa : «Tu fais très attention et tu ne le quittes pas d'une semelle», ne cesse-t-elle de ressasser. «Arrête de t'inquiéter pour rien, c'est mon fils aussi», lui répond-il, agacé. Zoheir monte à l'étage, un niveau de la villa non encore achevé. La vue est imprenable. Ramdane ôte sa main de celle de son père et en une fraction de seconde court et tombe dans le vide.Il se retrouve à proximité de sa maman qui faisait frire les derniers beignets. Elle n'a pas le temps de réaliser, et reconnaît à peine le visage ensanglanté de Ramdane et son corps frêle, inerte devant ses yeux. Ramdane ne goûtera pas ses beignets et n'ira jamais à l'école.