La pratique n'est plus secrète en Algérie : la jonction entre le monde de la politique et celui de l'argent est de plus en plus perceptible. Récemment, elle a été rendue encore plus évidente à travers l'introduction publique d'hommes d'affaires dans des listes électorales par de puissantes formations politiques telles que le RND. Lorsque les mots viennent d'Ouyahia, il ne faut pas en chercher le reste. Directeur de cabinet auprès de la présidence de la République et patron du RND, il a récemment tenté de décharger le concept du mélange argent-politique de son aspect le plus sombre, le plus péjoratif en se livrant à des mises au point qui ont pu surprendre. Au moment où le premier responsable du FCE (Forum des chefs d'entreprises) se faisait publiquement bouder par le Premier ministre, le MAE et d'autres membres du gouvernement à l'occasion du Forum africain, Ouyahia est intervenu à contresens pour «laver» Ali Haddad de toutes les accusations dont il faisait l'objet. «J'ai des sentiments envers lui», affirmait-il alors, tout en précisant qu'il «n'avait pas pour habitude de tourner la veste lorsque je sens que les vents tournent». Plus qu'une déclaration d'amitié et de soutien, cette position vient prouver le peu d'embarras qu'il éprouve face à ceux qui y verraient une confirmation de sa tendance à mélanger argent et politique. Ahmed Ouyahia le prouve d'ailleurs officiellement en portant sur les listes des candidats RND aux prochaines législatives un candidat comme on n'en avait jusque-là rarement vus. A Blida, apprend la presse, la tête de liste du Rassemblement national démocratique n'est autre que Tayeb Zeraïmi, patron de SIM connu surtout pour ses activités dans le secteur de l'agroalimentaire. Une première pour ce parti habitué à concevoir uniquement la présence d'hommes d'affaires de moindre envergure sur ses listes électorales. Les détracteurs d'Ouyahia lui accordent cependant une faveur : celle d'avoir porté son choix sur un homme sans dossiers compromettants. Tout l'inverse du FLN sans cesse ciblé pour avoir ouvert la porte à des hommes fortement controversés tels que Baha Eddine Tliba et Mohamed Djemaâ. Les passerelles entre le monde de la politique et celui de l'argent ne sont pas nouvelles. Si à travers le monde, la pratique passe pour un fait des plus connus, elle n'a fait son apparition que très récemment en Algérie. Au début des années 2000, on le perçoit nettement au sein des partis islamistes. Le MSP du défunt Mahfoudh Nahnah illustrait déjà à cette époque l'existence d'une connexion flagrante entre les hommes d'argent et la politique, situation dont ne se cachait nullement le mouvement basé sur des alliances bien connues avec des milieux d'affaires allant du simple commerçant à l'industriel le plus en vogue. Le richissime Djillali Mehri incarne à cette époque l'image parfaite de ce ponte qui s'est peu à peu construit entre les deux mondes. Battu à la course électorale lors les législatives de 1991, il devient député de 1997 à 2002 grâce au soutien que lui apporte le MSP. Le phénomène ne gêne pas outre mesure et s'étend au fil du temps. Les exemples de l'immixtion de l'argent dans le monde de la politique se font plus nombreux. L'épisode Moumen Khalifa en dit long sur le sujet. Même sans avoir trempé directement dans des affaires de politique, l'homme s'y frotte de près en consacrant par exemple un large temps d'antenne de sa télévision à de sévères critiques contre un pouvoir avec lequel il a trop longtemps entretenu des relations ambiguës. La situation n'est pas propre à l'homme. Une ambiguïté similaire plane aujourd'hui tout autant sur les relations qui caractérisent les hommes d'affaires actuels, les plus en vue du moins, et le pouvoir. Rassemblés dans des organisations patronales censées constituer des garde-fous destinés à éviter les situations d'anarchie et surtout à renforcer le secteur économique privé, ces structures sont encore loin d'avoir atteint leur objectif, les patrons s'inscrivant plus dans la politique que dans l'espace qui leur est astreint. Ammar Saâdani, l'ancien SG du FLN qui avait la réputation d'incarner l'homme porteur de messages, avait réagi à une tentative du FCE d'inscrire les siens parmi les candidats aux législatives. «Nous n'accepterons pas, avait déclaré ce dernier, de mélanger l'argent et la politique (...) nous ferons face aux mentalités archaïques». Une déclaration qui a poussé Ali Haddad à faire marche arrière en annonçant à son tour que le FCE n'avait aucune intention de faire de la politique. Quelques semaines plus tard, un appel à la mobilisation des Algériens contre le phénomène a été lancé par le président du groupe parlementaire du FFS à l'Assemblée. Chafaa Bouaïche a, il y a peu, dénoncé «l'ingérence de richissimes hommes d'affaires dans la politique (...) A l'époque, ils étaient au service des décideurs, à présent, ils veulent que ces derniers soient à leur service avant de devenir eux-mêmes décideurs (...) ils veulent se débarrasser de toute tutelle pour prendre en otage les institutions». Perçus comme étant un phénomène ordinaire dans les pays avancés, les liens qui se sont tissés au fil des années entre les milieux de l'argent et les politiques alimentent de vives inquiétudes en Algérie. A l'origine de ces craintes, l'inexistence d'un système de contrôle des activités financières au profit du politique. Tout reste à faire.