La toute dernière fois où je l'avais quitté, il était pressé de rejoindre son cabinet où, m'avait-il dit, des personnes démunies de son quartier l'attendaient. C'était le dentiste des pauvres et il n'encaissait pas souvent les consultations. Dans cet espace qui ressemble beaucoup plus à un bidonville et qui est l'héritage des années 80 quand, suite au tremblement de terre, les autorités déplacèrent les familles dans des chalets peu commodes, Ali était chez lui. Connu et apprécié par tout le monde, il attendait, comme tous les habitants, que l'on vienne les secourir, c'est-à-dire que l'on décide, enfin, à les loger dans des conditions correctes. Et il y avait urgence car l'effet de l'amiante avait frappé. Ali ne verra pas ces nouveaux logements tant attendus. Il est mort lundi après-midi en secourant une fillette qui se trouvait sur les rails au moment du passage d'un train. Ali a sauté pour pousser la fille qui s'en sort indemne. Mais le train ne le ratera pas. Ali est mort en héros ! A son épouse et à ses enfants, que j'ai eu le plaisir de connaître et dont j'ai apprécié l'hospitalité à chaque fois que je passais par Chlef, toutes mes pensées émues. C'est un moment pénible d'autant plus qu'Ali était attachant, affectueux, généreux et d'une grande solidarité avec les démunis. Il laissera le souvenir d'un grand journaliste qui alimentait notre journal en nouvelles de toute la vallée du Cheliff, et jusqu'à Ténès, qu'il sillonnait à la fois pour secourir ceux qui en avaient besoin et aussi pour porter leurs souffrances et leurs espoirs aux lecteurs du Soir. Et, cerise sur le gâteau, Ali était un poète d'une sensibilité à fleur de peau. Il racontait, en vers d'une beauté pure, les merveilles de la nature et la complexité des sentiments humains. Il compte de nombreux recueils qui ornent les bibliothèques de Chlef. Ali est mort en héros. Nous ne l'oublierons jamais. Il sera désormais triste et pénible de passer par la vieille El Asnam en sachant que le sourire d'Ali ne sera pas là pour nous accueillir. Adieu, frère !