[email protected] Une affiche («Fait entendre ta voix») et des spots à la télévision et sur les chaînes de la radio qui répètent le même appel. Le tout au nom du civisme et de la croisade contre l'abstention, ce fléau tant redouté. Le ministère de l'Intérieur, devenu depuis quelques semaines un organisme de relations publiques, redouble de zèle en prêchant pour une «adhésion massive au vote». Une opération de conditionnement qui a suscité immédiatement des quolibets sur les réseaux sociaux à la suite de certaines révélations relatives à la confection de la fameuse affiche. Douteuse quant à son slogan et carrément suspecte dans le domaine de l'iconographie, celle-ci est violemment dénoncée par les internautes qui mettent en cause l'amateurisme de l'institution d'Etat voire son laxisme délibéré ayant permis l'utilisation pour l'illustration de visages d'étrangers(1). Une situation surréaliste qui a déjà gâté les objectifs de la précampagne officielle. Même si l'opinion en général pense que ce ministère n'est pas le seul «gaffeur» et qu'il en est de son mauvais exemple comme de l'ensemble du gouvernement, cela n'atténue guère les appréciations peu avantageuses qui circulent sur la toile à son sujet. Mais alors comment s'y prendra-t-il au cours des prochaines semaines pour poursuivre sa mission de maître d'œuvre du scrutin ? Cèdera-t-il le bâton de pèlerin à la «haute instance» qui inaugurera sa «vocation», ou au contraire demeurera-t-il sur la brèche en insistant sur la magie des urnes ? Or cette dernière alternative semble de moins en moins indiquée. Et pour cause, les déboires du passé dont le pouvoir s'est rendu coupable n'ont-ils pas échaudé la majorité de l'électorat qui opte cycliquement et en toutes circonstances pour l'abstention. A présent, il importera peu que le marché passé avec les partis soit alléchant car il ne pourra être ratifié qu'à travers les bulletins d'un électorat toujours rétif. En effet rien ne dit que sa traditionnelle défection prendra fin cette fois-ci. Au contraire certains analystes pensent qu'elle sera aussi massive que lors des fausses présidentielles d'avril 2014. Traduisant l'impopularité à répétition du régime, l'abstention change alors de sens et d'interprétation en passant de la posture du «non-choix» à celle d'une option délibérée contre des gouvernements qui s'accordent ponctuellement une nouvelle légitimité à travers l'usage des urnes. C'est de la sorte que les courants politiques abstentionnistes expliquent aujourd'hui leur stratégie sans pour autant parvenir à balayer certains malentendus. Malgré les recours aux correctifs avantageux auxquels s'adonnent régulièrement les services de l'Etat, jamais depuis 2007 les taux de participation des scrutins n'ont pu dépasser la barre moyenne (50%). Pis encore, ils atteignirent difficilement le seuil de 30% lors des législatives et des locales de 2012. Soit moins d'un électeur sur trois à s'être véritablement exprimé. C'est ainsi d'ailleurs que l'insignifiante participation de l'électorat pose un véritable problème au pouvoir qui ne peut plus analyser cette «défection» sous le seul prisme d'une grogne passagère. En se confirmant d'un scrutin sur l'autre, «l'abstention» signifie clairement «boycott» et devient de fait l'expression d'une sanction politique. Or, sur quel registre, le gouvernement actuel doit-il jouer lorsqu'il n'a que ce pauvre spot à actionner ? Impératif par sa tonalité, le slogan n'interpelle-t-il pas l'électeur à «prendre ses responsabilités» le soupçonnant de ne pas s'assumer ? Une culpabilisation rampante que justifie d'ailleurs un néo-chef de parti, transfuge du RCD, qui n'a pas hésité à surenchérir en suggérant que le «vote devienne obligatoire». Sauf qu'il oublie que dans une autocratie semblable à la nôtre, le «non-vote» est bien plus une expression citoyenne forte qu'un délit de paresse comme il le laisse entendre. Cela dit, comment le pouvoir doit-il également s'y prendre pour rendre attractif le changement promis si ce n'est en maquillant les vieux principes que sont la transparence des urnes et l'alternance au pouvoir, pourtant ponctuellement violés depuis 1997. Sauf qu'à propos de la succession ouverte, l'on a préféré lui substituer le vocable de «transition» dont même les courants politiques de l'opposition en usent comme un pis-aller dans leurs doléances. Autrement dit, l'on ne peut ignorer la littérature officielle qui peut se «lire» à travers les larmoyantes litanies d'un Ould Abbès vouant un culte quasi divin au Président ; mais aussi chez le faux converti du RND réinventant la clarté des fleuves tranquilles après avoir inoculé aux urnes des scrutins de 1997 le virus de l'opacité(2). Cette prose politique diffusée en deux volets dont l'un prescrit le «culte de la personnalité» quand l'autre envoie au parlement des milliardaires pour légiférer au nom des sans-culottes, n'a-t-elle pas déjà verrouillé les prochains thèmes de la campagne ? Pourtant quel que soit le but fixé à la sanction des urnes, un vote n'est véritablement validé socialement qu'à travers un ensemble de préalables que la puissance publique est en devoir de faire respecter. Mais a-t-il jamais été le cas en Algérie où la complicité de celle-ci a souvent été révélée au public s'agissant notamment de la falsification des résultats ? C'est pour cette raison que l'électorat se défie des engagements officiels et fait chaque fois le choix de ne pas participer. Ayant compris assez tôt que la seule valeur ajoutée qui intéresse le pouvoir réside dans sa consécration plébiscitaire, il décida alors de l'en priver par le biais du boycott. Etonnamment, le fait de se tenir en dehors des consultations électorales devint, peu à peu, une contre-morale civique qu'il opposera aux trahisons du microcosme politique. C'était justement cet aspect inattendu qui déstabilisa les gouvernements précédents poussant ridiculement un ex-ministre de l'intérieur à commettre un quasi-délit d'écriture en adressant une correspondance comminatoire aux abstentionnistes et tirée à deux millions d'exemplaires ! Le comble de l'affolement, sûrement. Dès lors que le constat est établi et qu'il ne faille plus compter sur une quelconque «repentance» démocratique d'un Etat qui tâtonne dans tous les domaines, pour quelle raison l'électorat troquerait-il alors son arme favorite contre un simple vœu pieux de la part du régime ? En clair, rien dans le contexte économique et social n'est réjouissant au point d'accorder le moindre satisfecit à une gouvernance cafouilleuse et instable. En définitive, rien n'empêchera le boycott de s'accomplir le 4 mai prochain. A moins que, dans un réflexe de survie, l'on se décide en haut lieu à revenir aux mauvaises habitudes. Morale de l'histoire : c'est bel et bien le pouvoir qui alimente le boycott tant il est enclin au parjure afin de se maintenir. B. H. 1) Lire l'article paru dans l'Expression du lundi 20 mars (page 4) 2) Selon TSA, Mokdad Sifi, ancien chef du gouvernement sous la présidence de Zeroual, accuse Ouyahia d'avoir été le grand faussaire des législatives de 1997.