[email protected] Bedoui n'avait-il pas mieux à faire que de promettre de futures sanctions à l'opposition après s'être autorisé à porter des jugements de valeur tout à fait déplacés à l'endroit de celle-ci ? Lui qui, depuis plusieurs semaines, bat la campagne en allant à la rencontre des notables de province, était-il en devoir de s'exprimer de la sorte ? Outre le fait de jouer au procureur politique, altère gravement la pseudo-neutralité qu'exige la fonction qu'il occupe, il commet, de surcroît, la bévue courante du zélateur. Celle de «trop» plaire au point de gêner le maître. Comme quoi, trop de démagogie tue également la démagogie même lorsqu'elle se décline devant des auditoires complaisants. C'est qu'en s'épuisant à répéter sur tous les tons que le prochain scrutin sera «exemplaire à tous points de vue», il parvient étonnamment à raviver le ras-le-bol des électeurs qui concluent, en bonne logique, que ce genre de promesses qui refleurissent lors des saisons électorales doivent être appréciées à leurs justes impostures. C'est ainsi que plus un ministre de l'Intérieur s'engage à propos de la sanctuarisation d'un vote moins il est cru. De plus, en vantant, dans ses laïus la «clairvoyance incomparable» du Président dans les circonstances actuelles avant d'enchaîner sur les supposées pratiques anti-démocratiques d'une opposition pourtant laborieuse, il ne fait que réactualiser maladroitement un vieux cliché imputant au pluralisme le virus du désordre. Celui qui, laisse-t-il entendre, est à l'origine de la désaffection de l'électorat. Le ministre de l'Intérieur, dont la préoccupation actuelle se limite à une tournée des popotes à partir de laquelle il distille ses consignes à l'administration locale, ne se contentera plus de rationaliser la gestion d'un scrutin. Il voyage également en sa qualité de pèlerin. Celui qui plaide pour la vertu des votes et dénonce ceux qui sont pourtant en droit de réfuter et de contester l'intrusion d'un appareil d'Etat aux ordres dans les dépouillements des bulletins et la modulation secrète des résultats. C'est ce que certains dirigeants scrupuleux expliquent et qui se traduit en terme d'abstention, voire de boycott massif au sujet desquels le pouvoir a fini par reconnaître implicitement sa responsabilité dès lors qu'il multiplie les engagements déontologiques. Seulement même s'il parviendra à rameuter, grâce à la «carotte», la majorité des officines, il ne fait pas de doute que même une campagne orchestrée dans ce sens ne pourra guère ramener l'électeur à son «devoir». Désenchanté, celui-ci a cessé d'être un «gogo» comme il se dit trivialement. Il est vrai qu'il fut une époque où l'électeur basique s'astreignait à ce civisme sans se demander ce qu'il advenait de sa «voix». Les votes à l'algérienne se résumaient en ces temps-là à ce petit trajet menant au bureau de vote considéré comme une simple affirmation patriotique. Pour le reste, le pouvoir, comme Dieu, y pourvoira en élus selon ses propres «canons», c'est-à-dire ses critères. Seulement, la naïve discipline populaire qui avait permis à des régimes autoritaires de prospérer sans effort commença par s'effriter à la suite de la guerre civile que les islamistes imposèrent à la société. C'est ainsi que l'abstentionnisme, cet euphémisme désignant honteusement le boycott et la désobéissance civique, ne pouvait plus être maquillé autrement que par différents arguments politiques avantageux. Et c'est à l'un de ses prédécesseurs, Zerhouni en l'occurrence, que l'on doit la paradoxale explication à l'abstention massive aux élections locales de 2007 à travers laquelle le pouvoir aurait perçu «une avancée démocratique». Une étonnante gymnastique sémantique qui, pour dédouaner la «popularité» factice du régime, applaudit à la sanction des urnes lorsqu'elle délégitime les élus des douars. Or, rien ne dit que lors des prochaines législatives, l'on n'accuse pas les listes de l'opposition d'avoir fonctionné comme des «repoussoirs» au point d'influencer négativement le taux de participation. En clair, seules les propositions portées par les listes des partis du gouvernement auront bénéficié de l'intérêt de la majeure partie des voix exprimées. Peu importe ce qu'il en restera de cet habituel procédé sauf qu'il rajoute au discrédit du régime le terrible sentiment que celui-ci joue la carte du chaos. Alors que trop de colères couvent toujours dans ce pays pour s'attendre à ce qu'un corps électoral change d'avis sur une simple parole d'espérance, le pouvoir surenchérit sur cette législative afin de se doter d'une assise de référence qui lui manquait depuis la mascarade de la présidentielle de 2014. En somme, il reprend l'esprit et la pratique du premier référendum sur la réconciliation qui a servi à Bouteflika de plébiscite, le légitimant après sa contestable élection d'avril 1999 lorsque les cinq candidats qui lui étaient opposés se retirèrent. Au contraire donc de ce qu'affirmait confusément Louisa Hanoune, si la participation aux législatives «dépasse de loin la question des élections» (1) le profit escompté ne concerne strictement que la consolidation du pouvoir de Bouteflika qui traîne depuis presque 3 années un déficit de légitimité sans précédent historique depuis 1996. Sinon l'on ne voit pas de quel genre de dividendes espère tirer notre parlementarisme et que pèsera la future APN où le PT siègera inutilement à nouveau. Est-il, en effet, nécessaire de rappeler que c'est sous le régime actuel que tous les vecteurs de la démocratie ont été dévoyés ? Partis politiques, Parlement, presse et jusqu'aux corps d'Etat inviolables, tous ont connu depuis 1999 un implacable harcèlement les rabaissant dans leur notoriété ou leur majesté s'agissant des sanctuaires de l'Etat de droit. Un acharnement délibéré qui a clochardisé les fonctionnements au point que le plus sage des Algériens ressent, à travers son dépouillement du droit d'exercer les quelques libertés conquises à partir de 1988, une gravissime trahison. Or, qui, cette fois-ci, se croit en mesure de modifier cet état d'esprit quasi général ? Que toute la classe politique parvienne à lui parler à l'unisson du civisme des urnes ne le refera pas troquer sa casquette de boycotteur contre une chéchia d'électeur docile. Le ressentiment social est tellement diffus qu'il suffirait d'un raz-de-marée de l'abstention pour que le doute puis l'affolement changent de camp. A moins que le régime persiste dans son autisme et se réfugie dans une tyrannie solitaire, celle qui appellera fatalement à l'embrasement général qui mériterait peut-être d'autres qualificatifs que le très usé vocable de «printemps...». B. H. (1) In l'interview de Louisa Hanoune publiée dans El Watan du jeudi 19/01/2017.