J'ai pu enfin obtenir un visa pour me rendre en France. Il a fallu attendre longtemps avant de décrocher ce fameux sésame. Comme j'habite à Béjaïa et que mon vol était prévu pour 11h30, j'ai loué une voiture et demandé à mon ami Hamou de me conduire à l'aéroport de la capitale. Afin de mettre toutes les chances de mon côté et voulant éviter toute mauvaise surprise, nous avons pris le départ à 3h du matin, pensant que 8 heures 30 minutes me suffisaient largement pour parcourir les 250 km qui séparent les deux villes côtières. Mais c'était une utopie. Nous avons donc démarré à l'aube d'une nuit sans lune, il faisait très sombre et pour couronner le tout, la neige s'était mise à tomber à gros flocons, ce qui n'arrive à Béjaïa qu'une fois tous les 10 ans ! La ville s'était revêtue d'un manteau blanc, le thermomètre était descendu en dessous de zéro, on était frigorifiés malgré les énormes couches de vêtements qu'on avait sur le dos. Nous roulions prudemment et très lentement. Arrivés à l'entrée d'El-Kseur, une petite ville située à une vingtaine de kilomètres, nous sommes arrêtés par un barrage dressé par des gens en colère, pour le motif qu'ils n'ont pas été approvisionnés en bobonnes de gaz butane. Les barrages routiers sont fréquents à travers notre wilaya. Plusieurs véhicules étaient garés des deux côtés de la chaussée, camions de gros tonnage, voitures, bus de transport, etc. Le chef de cette rébellion nous narguait, ses compagnons réunis autour d'un feu le regardaient fièrement nous apostropher en bombant le torse, à croire que nous étions responsables de tous ses malheurs. On a essayé de le raisonner en lui disant que nous compatissons, il n'a rien voulu entendre, pas de gaz, pas de passage. Nous sommes devenus les otages de son chantage, lui se considérait comme un justicier volant au secours des habitants de sa région restés sans chauffage en plein mois de février et nous, les usagers de la route, étions ses ennemis, bons à servir de monnaie d'échange contre des bonbonnes de gaz. Le blocage des axes routiers à travers toute la wilaya est devenu une sorte de gangrène qui a contaminé l'ensemble des entrées et sorties de la ville. La revendication est légitime, mais ne faudrait-il pas trouver d'autres moyens de protestations qui ne bafouent pas les droits des usagers de la route ? Hamou et moi étions obligés de retourner à Béjaïa, nous nous sommes rendus à la gare routière afin d'avoir des informations, là on nous a expliqué que certains bus avait pu contourner le barrage par des petites routes. Mon compagnon de voyage connaissait lui aussi un détour, il fallait passer par Takerietz, un petit village situé sur une très haute montagne. Nous avons décidé de tenter notre chance sur ce nouvel itinéraire. La pente à gravir est vertigineuse. Plus nous avancions, plus elle se raidissait. Ajouter à cela les gros flocons de neige qui tombaient du ciel, à croire qu'on était en Alaska, on ne distinguait plus la chaussée, ne contrôlait plus la voiture. Nous avons décidé une nouvelle fois de capituler, de revenir à notre point de départ, on avait même eu l'idée saugrenue de vouloir passer par Sétif, mais l'on nous a conseillé de ne pas tenter cette hasardeuse trajectoire : «Si ici à Béjaïa il fait aussi froid, c'est que là-bas ça doit être carrément la Sibérie !» J'étais enfin résigné, j'ai baissé les bras et demandé à mon ami de me ramener à la maison. Tant pis pour la location de la voiture, le billet d'avion et ce voyage en France tant attendu. «Pourquoi ne tenterons-nous pas notre chance par El-Kseur à nouveau ?» m'a proposé Hamou. J'ai accepté de le suivre dans cette dernière tentative. Arrivés sur les lieux du barrage, bonne surprise : plus personne, la voie est libre. Le camion qui devait les ravitailler en bonbonnes de gaz était enfin arrivé ! Nous revoilà sur la route, mais notre joie fut de courte durée : un automobiliste roulant en sens inverse s'est arrêté à notre niveau pour nous avertir qu'un autre barrage impossible à franchir était dressé à l'entrée de Sidi Aïch pour les mêmes exigences qu'à El-Kseur et qu'il valait mieux que nous rebroussions chemin. Têtus, nous n'avons pas voulu l'écouter. Deuxième coup de bol : les fameuses bonbonnes de gaz sont arrivées quelques minutes avant nous, le blocus était levé, on a donc pu passer de justesse, il ne restait que des pneus fumants sur le bas côté de la chaussée pour nous indiquer le lieu exact du barrage. Nous croyions être enfin à l'abri des mauvaises surprises, mais cette fois- ci c'est Dame Nature qui va ralentir notre progression à Bouira. Il m'était impossible de reconnaître cette ville, que j'ai visitée à maintes reprises. Tout était recouvert d'un énorme manteau blanc, la route, les maisons, les arbres, nous n'avancions plus qu'a 10 km/heure sur une chaussée devenue une véritable patinoire. Cette fois-ci, aucun espoir d'arriver à temps à l'aéroport. Il était 11h30 quand, enfin, nous avons terminé notre périlleux périple, troisième et merveilleux cadeau du ciel : l'avion était encore cloué au sol, il avait fait du retard à cause du mauvais temps, Pour une fois j'ai remercié Air Algérie ! J'ai donc pu enregistrer mes bagages et prendre le vol, après plus de 8 heures de route.