[email protected] Elle était belle, d'une grâce inégalée. Zahia, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, était la plus jeune de ses deux sœurs, moins élégantes certes, mais aussi jolies. Mais voilà, Zahia avait un caractère de «chien», comme le répétaient ses deux frangines. Rebelle, lunatique, susceptible, il lui arrivait de les bouder des mois pour une petite remarque anodine mais qui, aux yeux de Zahia, relevait de l‘injure et de l'inadmissible. Toujours sur le qui-vive, elle faisait fuir les bons partis et dut quitter deux maris car ils n'étaient plus à son goût. Trop «fils à papa», disait-elle. Mais un jour, on eut cru qu'elle s'était assagie en acceptant de convoler pour la troisième fois. C'est un boucher de renom sur la place d'Alger qui jeta son dévolu sur elle. Et ce qui ne gâchait rien, il était bel homme. Seulement voilà, marié déjà une première fois, elle dut accepter de poursuivre l‘éducation de son beau-fils de huit ans. Elle l'adopta très vite, mais son côté maniaco-dépressif du ménage et de la propreté allait tout gâcher. Un jour, alors qu'elle venait de terminer son ménage, que tout était nickel, voilà que notre chérubin trouve un malin plaisir à sauter sur le canapé dont elle venait tout juste d'en ajuster le plaid qui le recouvre. Elle piqua une crise d'hystérie, fit sa valise et quitta la maison. Elle élira domicile chez sa sœur aînée, qui a beau essayé de la convaincre de retourner chez elle, rien n'y fit. Même les supplications de son mari n'ont pas pu lui faire changer d'avis. Après six mois, la vie devenait insoutenable pour sa sœur. Zahia ne supportait ni son beau-frère, qu'elle traitait de crasseux, encore moins ses neveux qu'elle repoussait énergiquement. La rupture fut inévitable. Elle se retrouve alors dehors, son baluchon sous le bras. Elle n'osait même pas tenter de demander d'être hébergée par la cadette. La rue l'accueillera. Ses seuls liens de sang furent coupés à jamais. On ne voulait plus d'une «faiseuse d'histoires», celle qui viendrait déranger le bonheur et la quiétude de ses deux sœurs, son unique famille. Zahia n'existait plus pour elles.