Lorsque, à la fleur de l'âge, elle a épousé Youcef, Zahia, croquait la vie à pleines dents. Elle était belle, intelligente même si elle n'avait pas fait de brillantes études. Le combat pour la vie, elle l'a mené contre cet époux qui allait devenir au fil des ans son pire ennemi. Ses yeux verts amande, son joli teint, sa chevelure dorée lui ont valu le surnom de boucles d'or par ses camarades de classe. Lorsque Youcef vint demander la main de Zahia, son père ne la consulta pas et accepta sans conditions. Il fallait se débarrasser de ses six filles. C'était la cadette et il n'avait pas intérêt à faire la fine bouche. Elle avait 18 ans, et en ce temps- là les filles à marier n'avaient pas droit à la parole. «Je rêvais du prince charmant et Youcef n'avait ni la beauté ni la prestance, encore moins les bonnes manières. Il était d'une jalousie morbide et cela m'exaspérait. Je me disais qu'il allait changer mais je m'étais trompée.» Pour Zahia, la lune de miel fut très courte. Partageant la petite maisonnée avec son beau-frère et son épouse, sans compter ses trois belles-sœurs, des vieilles filles laides et aigries, elle dut subir les sarcasmes d'une belle-mère possessive. «Je me réveillais le matin en sursaut avec les cris hystériques de ma belle-mère qui tapait à la porte de ma chambre à coucher en me traitant de paresseuse. Mon mari se retournait dans le lit, se couvrait le visage et continuait son somme. Moi, comme une folle, j'enfilais ma robe de chambre, mettais de l'ordre dans mes cheveux avec mes mains, et me précipitais à la salle de bains me débarbouiller puis je filais dans la cuisine. Il était six heures du matin.» Et c'est ainsi que les jours défilaient et se ressemblaient. La nouvelle mariée qu'elle était est vite devenue la bonne à tout faire. Enceinte jusqu'aux dents de son premier enfant, Zahia n'a pas connu de répit. Elle travaillait comme un forçat sans que nul ait remarqué sa détresse. Tayeb est né dans l'indifférence. De retour à la maison, Zahia a rejoint sa chambre. L'accueil fut froid. Les cris du nouveau-né agaçaient belle-mère et compagnie. Les belles-sœurs, vertes de jalousie ne supportaient pas la vue de ce poupon qu'elles auraient tant souhaité avoir. La nuit, c'était le calvaire pour la nouvelle maman. «Tayeb était glouton, il se levait plusieurs fois pour téter. Je lui donnais le sein. Je rêvais de dormir juste un petit quart d'heure mais c'était du domaine de l'impossible. Ma belle-mère me donna un sursis de quinze jours. Au seizième, il fallait que je reprenne mon rythme de vie : me lever à l'aube et me coucher la dernière. Mais le pire, c'est lorsqu'on m'interdisait de nourrir mon bébé au sein, sous prétexte que je ne pouvais plus rien faire d'autre. C'était le comble ! C'est là que j'ai décidé de ne plus me laisser faire. J'ai alors déclaré la guerre à celle ou celui qui voulait m'en empêcher. J'ai dû me battre d'abord avec mon mari ensuite avec les autres.» La révolte de Zahia a bouleversé sa belle-famille. On fit appel à ses parents pour lui faire entendre raison, mais le stratagème n'a pas abouti. intrépide, elle ne fera pas marche arrière, déterminée à ne plus se laisser marcher sur les pieds. Le combat donnera ses fruits puisqu'elle quittera la maison et recouvrera sa liberté. Le couple ira vivre seul dans un appartement de deux pièces cuisine. Mais la guerre n'était pas terminée. Youcef lui mènera la vie dure. Une violence inouïe s'est installée au sein de la famille. «Il me battait pour des broutilles : une soupe trop chaude ou trop froide, un mets trop salé ou trop fade. Il prenait une claquette en nylon et comme un enfant, il m'assénait des coups sur tout le corps. Mes enfants étaient petits, je ne pouvais pas me défendre, je prenais sur moi pour ne pas les effrayer. En plus, il me trompait. Le pire c'est que je ne pouvais pas divorcer. Mon père était intransigeant. Il me mettait en demeure : ‘‘Si tu dois quitter ton mari, je te reçois seule, sans tes enfants.'' J'en avais trois et les abandonner, c'était au-dessus de mes forces. Je me défendis autrement. Je me souviens, quand une voisine est venue me voir à la maison et qu'elle m'a trouvée avec une tonne de linge à laver, elle m'a dit outrée :''Fais la lessive pendant que ton époux te trompe !'' Le soir, en rentrant, il a constaté que je n'avais pas préparé le dîner. Je l'ai fait sortir de ses gonds quand je lui ai répondu : ‘‘Va dire à ta maîtresse de te le préparer.'' Il a pris cette fois son ceinturon, l'a plié en deux et a voulu me frapper. Je lui ai pris la main et l'ai menacé de déposer plainte s'il osait me toucher. Croyez-moi, il a eu la trouille de sa vie. Il se vengea autrement. Il ne subvenait plus aux besoins de sa famille. Je ne voyais pas la couleur de son argent. J'ai trouvé la parade en m'approvisionnant à crédit chez l'épicier du coin à son insu. Il fut interpellé par le commerçant le sommant de s'acquitter de ses dettes. Il est rentré à la maison furieux. Depuis, il fait les courses sans rechigner. Aujourd'hui, j'ai 65 ans, mes deux aînés sont mariés, je suis grand-mère, j'ai décidé de me séparer de lui, car le divorce, à mon âge, ne sert à rien, je n'ai pas l'intention de refaire ma vie. J'ai enfin gagné, je suis libre et surtout j'ai la paix !»