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L'opposition politique en Algérie : racines et projections (9e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 07 - 06 - 2017

Rachid Boudjedra : A leurs misérables attentats contre l'intelligence et la pensée libre opposons plus d'intelligence et plus de pensée libre.
E- L'opposition constitutionnelle : essai de bilan
L'opposition politique post-1989 que certains observateurs et secteurs de l'opinion estiment être, aujourd'hui, plus proche de la virtualité que de la réalité – un jugement assez sévère – n'a pas, tout au long de ces 28 dernières années, ménagé ses efforts pour donner des gages sur sa volonté de penser, de regarder et de pratiquer la politique autrement ; dans un rapport de forces très défavorable, si on considère que ses principales mouvances — islamiste, identitaire et de gauche — ont été atomisées, recomposées et normalisées – sous des formes moins «nocives» — dans un processus de restriction et de restructuration du champ de l'expression partisane toujours en cours. La concession du multipartisme faite par le pouvoir d'Etat le fut, on l'a vu, plus sous la contrainte que sur un consentement libre et celui-ci — du moins son aile conservatrice la plus dure — n'a eu de cesse de mettre à profit la moindre opportunité ou le moindre faux pas de ses adversaires pour récupérer le terrain perdu en 1989.
La reconquête du contrôle qu'il avait sur le système de gouvernement et sur la société a donné lieu à un travail de containement et de refoulement des opposants, long et patient – un fil ténu mais tenace – qui mobilisa un mix de répression, de fraude et de recentrage doctrinal comportant, au moins, trois types d'action : sécuritaire, idéologique et politique. Les résultats cumulés de ce travail furent synthétisés et coulés dans le moule des révisions constitutionnelles et des réformes de 1996, 2008, 2011 et 2016. Ceci pour dire que, malgré son volontarisme, l'opposition a, toujours, buté sur le mur du démocrato-scepticisme du régime et n'a été, relativement, maîtresse de son initiative que lors du déclenchement des crises aiguës de 1980, de 1991 et de 2001.
Autrement, les mutations qu'elle a connues, en 30 ans d'existence, ont été plus subies que voulues ; elles s'étaient opérées, dans la plupart des cas, en contrepoint à celles engagées par le pouvoir d'Etat, préoccupé par son propre recyclage.
1- Traitement sécuritaire, restauration idéologique et reformatage politique
a- Dans sa confrontation avec la mouvance islamiste, le pouvoir d'Etat joua sur trois tableaux : user de la violence militaire pour en soumettre le bras armé, décomposer, organiquement, sa structure civile et battre le rappel des zaouïas, des imams éclairés de la diaspora et des confréries – en particulier la Tidjania et la Tariqa El-Alaouia du soufi Khaled Bentounès – qui lui fournirent les instruments théologiques nécessaires à l'étaiement de ses thèses restauratrices.
Ce travail, lui aussi en cours, s'est poursuivi par la théorisation de «l'Islam de Cordoue», la voie du juste milieu négatrice, évidemment, de tous les autres rites, écoles et sectes, chiite, ahmadite... combattus et persécutés sur toute l'étendue du territoire national.
Dans une sorte de consécration de cette œuvre de ressourcement-purification, la construction de la plus grande mosquée du monde, hors Arabie Saoudite, est, subliminalement, voulue comme le symbole de la victoire remportée par l'Etat algérien malékite contre les forces «hérétiques» qui lui en disputaient la centralité. Celui-ci veut par là faire la démonstration que la société algérienne participe et adhère, à part entière, à son projet islamique médian et qu'il est, plus que jamais, le protecteur et le garant constitutionnels de l'Islam de la Proclamation du 1er Novembre 1954. Le reformatage politique a été entrepris, simultanément, avec la même méthode chirurgicale ; la forteresse du FIS détruite, une kyrielle de formations, clonées, lui furent substituées, régulièrement, redressées, pour les plus récalcitrantes.
b- Cette stratégie de maintien à distance, de répression, puis de récupération a été, également, expérimentée sur la mouvance identitaire, avec un relatif succès, puisqu'après leur réduction par la violence, les mouvements de 1980 et de 2001 furent neutralisés par une longue guerre d'usure et mises sur les rails d'une moindre radicalisation.
Leurs revendications culturelles et linguistiques furent, dans leur quasi-totalité, satisfaites, incluant les autres dérivées de l'amazighité : chaouie, mozabite, targuie... et l'on est arrivé à une situation où le pouvoir d'Etat apparut comme le véritable gagnant de l'épreuve, poussant ses derniers contradicteurs sur le terrain de «l'extrémisme sécessionniste antinational».
Politiquement, la normalisation qui alterna répulsion et attraction fut tout aussi rentable. Dans les conjonctures de compromis, les partis identitaires furent cooptés dans le gouvernement, mais, dès qu'ils boycottaient les élections ou manifestaient des velléités d'échappée libre, ils tombaient sous le coup de la mise en quarantaine. Affaiblis par leur tiraillement entre l'oppositionnisme stérile et le participationnisme compromettant, ils en sont, aujourd'hui — surtout après les élections de mai 2017 – à dresser des bilans négatifs devant la désaffection de leurs électorats et de leurs supporters, débordés par les surenchères du MAK et tenus de trouver un fonds de roulement de rechange – décentralisation ou régionalisation ? – en vue de se refaire une santé politique.
c- La gauche ne fut pas mieux lotie. Ce n'est pas sur un terrain sécuritaire qu'elle fut neutralisée – pacifique qu'elle a, toujours, été – mais sur celui de la politique, victime tout autant du harcèlement continu du pouvoir d'Etat que de sa propre stratégie de soutien-défiance, de ses divisions et de son élitisme qui la distancièrent des préoccupations du pays profond. Le pire qui lui soit arrivé est de s'être vue préférer l'extrême gauche – le PT – choisie, un temps, pour remplir l'office dévolu, naguère, au PCA et au PAGS. Les formations politiques créées par les anciens dirigeants du sérail n'ont, quant à elles, souffert d'aucun atermoiement dans la mesure où il leur fut signifié, dès leur éclosion, qu'elles étaient, de toutes façons, indésirables, agréées ou pas. Elles furent traitées avec beaucoup de dureté, canalisées, érodées puis transfigurées et leurs fondateurs réduits à rendre les armes sans insister.
L'enseignement que ceux-ci en tirèrent est que les méthodes «nouvelles» utilisées par le pouvoir d'Etat, pour aussi édulcorées qu'elles devinrent, dans le traitement de la question de l'opposition interne, n'en ont pas moins conservé, intact, le vieux fonds des réflexes du messianisme monopoleur de la ligne doctrinale et politique des origines.
La consolidation de toutes ces évaluations confirme les hypothèses de travail avancées, au début de cette étude, qui indiquaient que les survivants comme les descendants de la chaîne MALG-EMG-Services de sécurité se sont ingéniés, après l'indépendance, à contrôler, entièrement, le processus de production, de gestion et de transmission du pouvoir réel.
Ainsi, et les évènements ne l'ont pas infirmé, ce pouvoir est demeuré à la barre, durant 55 ans, retombant à chaque fois sur ses pieds, parvenant à sortir, miraculeusement, indemne des bourrasques de 1962, 1965, 1980, 1988, 1991 et 2001, avec l'idée fixe d'empêcher ses anciens partenaires dans le Mouvement national de prétendre, en tant qu'opposition, diriger, un jour, l'Etat, sans lui ou d'égal à égal.
2- L'encadrement juridique du pouvoir d'Etat et de l'opposition
C'est cette volonté, inlassable, du pouvoir d'Etat, de se prémunir contre toute mauvaise surprise et de contenir l'opposition, d'hier et d'aujourd'hui, dans des limites, soigneusement, balisées qui a servi de boussole au législateur algérien, artisan d'un impressionnant arsenal constitutionnel, législatif et règlementaire destiné à en renforcer et à en protéger l'architecture.
Si on venait à en sérier les éléments les plus proéminents, on retiendrait :
a)- les Constitutions césaristes dévolutrices de pouvoirs illimités au chef de l'Etat, unique dépositaire des prérogatives de l'exécutif auxquelles sont subordonnés le législatif et le judiciaire considérés, dans les premiers textes, comme des fonctions avant d'être reconnues — théoriquement — dans les suivants, comme des pouvoirs séparés ;
b)- les entités extraconstitutionnelles que furent le Conseil de la Révolution et le Haut-Comité d'Etat, inventés en 1965 et en 1992 par des acteurs militaires hostiles pourtant à toute espèce de transition dans le continuum du fonctionnement des institutions ;
c)- l'introduction dans le système parlementaire du bicaméralisme conçu comme un moyen de censure de l'action législative d'éventuelles majorités opposées ;
d)- la substitution, après 1991, du scrutin proportionnel de liste au scrutin uninominal majoritaire à deux tours ;
e)- la loi électorale et la loi sur les partis, amendées de multiples fois – dernier texte en date : le nouveau régime électoral d'août 2016 et, notamment, son article 186 ;
f)- l'installation d'une commission «indépendante» de surveillance des élections, à l'occasion de la première présidentielle pluraliste de 1995, permanisée, en 1997, sous la forme de la Cnisel, puis, en 1999, de la Cnisep, ouvertes aux représentants des partis politiques et de l'Administration, principe sur lequel le gouvernement est revenu déléguant, en 2017, ce rôle, constitutionnalisé, à une Haute instance indépendante de surveillance des élections (Hiise), composée de magistrats et de «personnalités» nommés par décret présidentiel ;
g)- l'augmentation, en 2012, du nombre de députés dont le mandat n'est plus national mais local, passant de 389 à 462, après les nouveaux découpages administratifs du territoire;
- la prescription de la parité du genre, lors des élections, assortie d'un quota du Parlement(18) ;
h)- la mise en place d'une autorité de régulation du secteur de l'audiovisuel ;
i)- la révision constitutionnelle de 2016 paracheva ce processus en le plaçant sous le générique de «l'Eta civil».
On aura noté que certaines de ces réformes revenaient sur plusieurs acquis de la Constitution de 1989 et d'autres reprenaient les revendications de l'opposition en les retouchant.
Il conviendrait, cependant, de relativiser. Plusieurs d'entre elles furent l'aboutissement des pressions de la société civile nationale ainsi que de celles des ONG étrangères.
Quoi qu'il en soit, dans ce mouvement qui réserva la part belle à l'initiative du pouvoir d'Etat, l'opposition était absente et désarmée, vissée qu'elle était à la demande d'une période de transition, discrètement abandonnée à partir de 2014 par le FFS et le PT.
3- Le temps de la recomposition
L'opposition ne se réveilla, réellement, de sa léthargie qu'à partir de la suppression de la limitation des mandats et, avec plus de vélocité, lorsque, frappé par une maladie invalidante, le président Bouteflika se porta, en 2014, candidat à un quatrième mandat.
Elle se lança, alors, dans une contestation qui focalisa la quasi-totalité de ses composantes sur l'urgence qu'il y avait à déclencher la procédure constitutionnelle d'empêchement à l'encontre d'un Président affaibli et attaqué, de l'intérieur, par quelques-uns de ses appuis gagnés par l'ambition de lui succéder.
Non seulement le thème était porteur mais, encore, le contexte de crise politique caractérisé par une forte droitisation d'une partie du régime et un affrontement ouvert entre la Présidence et le DRS était plus que favorable à une montée au créneau.
La perche était trop tentante pour ne pas être saisie au vol, d'autant que le Président, lui-même, avait, depuis 2008, prêté le flanc à la critique, en déclarant qu'il avait échoué à appliquer son programme et que le temps de la génération révolutionnaire était révolu, laissant entendre qu'il était prêt à céder la place.
Les manifestations de janvier 2011 et la peur panique de voir le «printemps arabe» gagner l'Algérie, poussa la Présidence à courtiser l'opposition et à acter certaines de ses revendications, des concessions, toutefois, insuffisantes à freiner la forte dynamique qui la portait.
La mouvance islamiste tractée par le MSP pensant le moment venu de prendre le train des «révoltes arabes» et la mouvance identitaire, soutenue par le renfort de nombreuses personnalités indépendantes et de militants du mouvement associatif se rejoignirent sur le terrain de l'action concrète et assénèrent, pour la première fois, un sérieux coup à l'assurance d'un pouvoir d'Etat secoué par une tempête intérieure sans précédent.
Les états généraux que l'opposition convoqua à l'hôtel Mazafran le 10 juin 2014, dans un coup d'éclat qui occulta certaines de ses faiblesses congénitales, ébranlèrent la sérénité du gouvernement, vivement inquiété par l'alliance contractée entre islamistes et démocrates, à l'approche d'échéances jugées, par ces derniers, favorables au changement en profondeur souhaité.
La Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD), une structure restée ouverte aux absents — le FFS, le PT, le MDS ... — et la plateforme politique adoptée, lors du conclave, constituèrent la conquête la plus consensuelle du mouvement, car elle proposait à ses membres — le MSP, le FJD, Ennahda, le RCD et Jil El-Jadid — le cadre qui leur manquait, jusque-là, pour agir dans une mutualisation d'efforts et d'actions longtemps recherchée.
Le premier bémol qui en atténua la portée fut qu'elle n'avait pas réussi à fédérer, dans un même rassemblement organique, les autres composantes – UFDS, El-Islah, FAN, MNE, El-Adl oua El-Bayan et El-Fadjr El-Djadid – soutiens de Ali Benflis, leader du Pôle des forces pour le changement (PFC), créé au lendemain de l'élection présidentielle.
L'Instance de coordination et de suivi de l'opposition (Icso), créée pour réduire l'écart, ne suffit pas à regrouper, sur une ligne harmonieuse, les conglomérats hétérogènes que la CNLTD et le PFC coiffaient, en plus des personnalités «présidentiables» en quête d'un étrier politique.
Ce fut, peut-être, là, un des talons d'Achille qui refréna l'élan de l'opposition vers la formation d'une force représentative capable d'acculer le pouvoir d'Etat à s'abriter derrière une position défensive.
Naturellement, d'autres évènements — l'échec des «révoltes arabes», le retour dans le jeu politique du président Abdelaziz Bouteflika revigoré par sa victoire, dans le bras de force qui l'opposait au général Mohamed Mediène, et sa prise en main totale de la direction de l'ANP – concoururent au reflux de l'opposition vérifié à Mazafran II où l'illusion miroitée par «la charte d'obligations consensuelle» fut démentie, en 2016, par le ralliement de la plupart de ses principaux membres aux règles fixées par le pouvoir d'Etat. Celui-ci bénéficia d'un inattendu alignement des planètes qui lui permit de manœuvrer à sa guise, sauf que l'aggravation de la crise économique allait le rappeler à des réalités autrement moins réjouissantes.
4- Et maintenant ?
Avant de se prononcer sur cette question, d'abord une observation méthodologique principielle :
Il est un postulat dont on ne pourrait se départir, par négligence ou ignorance des lois de la sociologie politique, qui veut qu'un parti n'est pas une entité en soi, vivant pour soi, ni une bulle réfugiée dans une tour d'ivoire coupée des réalités, du mouvement et des pulsations de la société.
Sauf dans les cas de création artificielle dictés par des considérations de conjoncture ou par des tactiques de diversion, un parti est, avant tout, l'expression idéologico-politique d'un instant historique donné de l'existence d'une société : il en est le reflet, dans ses origines comme dans ses mutations.
On peut, en accord avec ce postulat, s'avancer à affirmer que l'opposition historique-clandestine et l'opposition constitutionnelle-légale étudiées tout au long de cette monographie ont, profondément, marqué de leur cachet les combats menés par toute la nation, dans sa longue marche pour une émancipation politique authentique et la construction d'un système de gouvernement fondé sur le respect des droits et des libertés des citoyens et de l'alternance au pouvoir, admise par tous, sans restrictions.
C'est là un rappel qui vaut reconnaissance du rôle et de la contribution de ces deux oppositions dans les nombreuses réorientations des politiques élaborées et exécutées, en un peu plus d'un demi-siècle, par le pouvoir d'Etat quelqu'aient pu être, par ailleurs, les obstructions de toutes sortes auxquelles elles eurent à faire face et, également, les erreurs et les faiblesses dont elles furent responsables.
Dans le présent essai de bilan de l'opposition constitutionnelle-légale, il est tenu compte de ce déterminant, par souci d'objectivité et, aussi, pour dire en quoi elle fut performante et en quoi elle a failli, en une phase, délicate pour elle, où quelques analystes et secteurs de l'opinion se laissent aller à la percevoir comme une virtualité plus que comme une réalité à partir – il faut le dire – d'un ressenti empirique et non d'une réflexion validée par une observation académique pertinente.
Un examen attentif et, en même temps, critique de ses racines et de ses évolutions, ainsi qu'il a été signalé, ici, depuis le début, ne saurait avaliser ce type de jugement ni faire passer par pertes et profits le capital doctrinal, programmatique et militant qu'elle a pu amasser dans un climat de contrainte permanent au profit d'un débat national libre, responsable et digne.
Dans un esprit soucieux d'équilibre, il serait judicieux, a contrario, de caractériser les carences étalées par cette opposition qui fait dire d'elle, aujourd'hui, qu'elle réunirait toutes les plaies qui oblitèrent sa capacité d'être, à moyen ou long terme, une alternative crédible au pouvoir d'Etat.
Elle serait une fiction manipulée par les laboratoires, sans base consistante, une addition de directions, aux programmes divergents, impossibles d'intégrer dans une synergie de forces, potentiellement, aptes à gouverner.
Ces griefs ne sont pas, totalement, infondés, à y voir de très près. Ils ont été vérifiés, en plusieurs circonstances – crises, élections, manifestations – et lui furent reprochés comme autant d'éléments à charge qui ne plaidaient pas en sa faveur.
Mais quant on va au fond des choses, on découvre que, dans les faits, l'opposition, noyée dans un fatras d'incohérences limitatif de son rayon d'action, n'est pas responsable de la totalité des tares qui lui sont imputées.
L'Algérie assiste, depuis 2009, à l'invasion du champ politique par une ubérisation galopante de l'activité partisane soumise à la loi débridée du mercantilisme représenté par l'intronisation de l'argent-roi et son corollaire, l'indigence d'une classe politique incapable d'exhiber autre chose qu'une perception caricaturale de la démocratie et de ses valeurs morales, juridiques et techniques.
Cette ubérisation qui a paralysé toute velléité de contrôle comme les démocraties traditionnelles savent y satisfaire à travers un large panel de commissions judiciaires et sénatoriales indépendantes dont la mission constitutionnelle est de tout passer au peigne fin a dérégulé et perverti le fonctionnement de l'ensemble des institutions de l'Etat.
L'opposition, affaiblie par une longue guerre de tranchées, en a fait les frais, avec cette particularité qu'elle a accepté, dans une attitude de passivité coupable, de dépendre du pouvoir d'Etat, en tout, de l'organisation de l'encadrement juridique de son propre fonctionnement, sans concertation de bonne foi, jusqu'au financement de ses activités et de ses campagnes électorales en passant par la sécurisation et l'hébergement de ses dirigeants dans les résidences d'Etat.
La révision constitutionnelle de 2016 a confirmé, davantage, cette dépendance.
L'opposition qui a accepté de jouer le jeu – elle ne pouvait faire autrement au risque d'être mise à l'écart, pour longtemps – s'est vu sanctionnée aux élections législatives du 4 mai 2017, dans les mêmes termes et les mêmes formes que le gouvernement. Elle en est sortie aussi fragilisée que lui.
Sur un corps électoral de plus de 23 millions d'inscrits, presque 68% d'électeurs (dont 2 millions ont voté blanc ou nul) ont exprimé un rejet net des politiques officielles comme des programmes de l'opposition, une sanction qui a touché les partis participationnistes, islamistes et identitaires, dans une mesure proportionnellement voisine de celle des partis au pouvoir : le FLN – avec 1 700 000 voix – n'a réussi à recueillir qu'à peine un peu plus de la moitié des 3 millions des suffrages obtenus par le FIS en 1991.
Ces résultats, auxquels l'administration et les grands partis concurrents ne s'attendaient pas, ont débouché sur une Assemblée nationale illégitime et, en plus, éclatée entre plusieurs petites formations et élus indépendants : 28 micro-partis, inconnus sur la scène politique, se sont vu attribuer de 1 à 4 sièges.
Toute la classe politique est obligée de revoir sa copie, face à la reconduction de ce statu quo.
Que fera l'opposition dont la seule satisfaction – en particulier du côté du MSP qui a assuré sa position de leadership au sein de la mouvance islamiste avec un Abderazak Mokri(19), sa nouvelle figure de proue, vainqueur de l'épreuve qui l'opposait aux partisans de l'entrée au gouvernement – est d'avoir limité la casse ? Va-t-elle recoller les morceaux de la CNLTD, volée en éclats, en raison de la disparité de ses composantes et de la guerre des egos de ses chefs ? Ira-t-elle jusqu'à réviser sa stratégie en retournant à l'oppositionnisme radical avec la volonté de remettre à jour les anciennes alliances ?(20)
Cinq indicateurs qui aident à éclairer ce à quoi renvoient ces questions se sont invités dans le débat ouvert au lendemain de ces élections :
a- Les partis islamistes engagés dans un processus de recomposition constituent, malgré le recul de certains d'entre eux, la troisième force politique du pays, attestant l'islamisation de la société et le travail, en profondeur, accompli, dans ce sens, par ces formations.
b- Corollairement, ce positionnement, semble avoir, définitivement, débouté l'ex-FIS de la prétention de se voir réhabiliter, sous une autre appellation. Lui qui avait caressé, un temps, l'espoir d'une réinjection dans le circuit politique, sans avoir concédé une autocritique en bonne et due forme, est recalé, sans appel.
c- Les partis identitaires ont subi, en la circonstance, une déroute qui leur donne, sérieusement, à réfléchir à un rebattage de cartes d'une urgence signalée : soit ils se redéploient avec des programmes nationaux plus que régionalistes – le FFS s'y essaye depuis le lancement de son idée de consensus – et de se battre, pied à pied, contre l'hégémonisme des partis du pouvoir en s'affranchissant de la culture du ghetto et en s'enracinant dans toutes les wilayas du pays , soit des fractions importantes de leurs troupes balanceront, par dépit, du côté du MAK.
La Présidence de la République, par la voix de son directeur de cabinet et secrétaire général du RND, leur a suggéré, durant la campagne électorale, de plancher sur le thème de «la décentralisation», une façon de leur indiquer l'existence d'une alternative potentielle de nature à les régénérer.
d- La gauche marxiste, la grande absente de ces «décantations», n'a pas eu voix au chapitre. «Empêchée» d'y participer ou boudée par l'électorat, elle ne trouve pas mieux que d'en appeler, de nouveau, comme à chaque lendemain de défaite, à «une impérative alliance des forces démocratiques».
e- Isolé, le pouvoir d'Etat est, lui aussi, obligé de se remettre en question. Il lui est impossible de continuer à surfer sur un point d'équilibre politique aussi décalé et instable que celui ­— intenable — sur lequel il s'est arcbouté, ces dernières années. Le réalisme lui recommande d'intégrer dans sa stratégie de parachèvement de la construction de l'Etat national les forces patriotiques et démocratiques auxquelles il doit s'allier pour se protéger de l'envahissement de ses centres nerveux par les activistes du capitalisme informel, principal agent de la dévalorisation du sens de l'Etat ainsi que de l'exercice sain de la politique.
Le nouveau gouvernement, formé après le désaveu populaire du 4 mai 2017, semble avoir été le résultat d'un déplacement d'axe observé, dans cet esprit, par les messianiques qui ont décidé d'écarter de l'Exécutif les têtes de pont du capitalisme informel et du capitalisme ultralibéral, et ce, pour le compte du capitalisme d'Etat, brutalement réveillé par les dérives dangereuses de ses récents alliés.
Les messianiques — le cœur nucléaire du système — sauront-ils aller plus loin, et chercher avec les Algériens représentatifs une solution qui inclurait l'ANP dans une large alliance nouée, dans le respect des différences, pour hisser l'Algérie au rang de démocratie qu'elle mérite, amplement, au titre de sa glorieuse Révolution ? Cesseront-ils de s'entêter à faire dans le lent et laborieux «accompagnement pédagogique» du peuple algérien – tenu, encore, pour mineur — vers une démocratie à laquelle ils ne croient pas vraiment — les généraux birmans n'y croyaient pas non plus — et dont ils savent pourtant très bien, qu'elle est le véritable facteur du développement économique, scientifique et technologique auquel le peuple algérien aspire ? Il est grand temps qu'ils s'y mettent et prévoient, au terme de leur dernière mission, de rentrer dans les rangs, avec le sentiment d'avoir accompli leur «devoir», dans le fracas d'une Histoire entre cendres et diamants. A charge pour la société, diverse et libre de ses choix, de prendre le relais. On pourra, à ce moment-là, dire, à raison, que celle-ci n'a eu que la gouvernance qu'elle méritait.
Conclusion
Conclure sur l'opposition politique en Algérie, une réalité mouvante en pleine projection, serait la limiter dans le temps et dans l'espace, alors qu'elle a, devant elle, tellement d'opportunités favorables pour évoluer et prospérer, en relation avec une société qui n'a pas encore achevé sa formation, traversée par des luttes ouvertes ou latentes. Elle est mandée de le faire parce que sa responsabilité est, pour la part qui lui revient, de parfaire les structures et le rendement de l'Etat encore contré par les fortes survivances de la féodalité ainsi que par certaines de ses excroissances absolutistes soutenues par la coalition des intérêts étrangers qui refusent de voir émerger, aux frontières terrestres et maritimes de leurs pays, une puissance régionale développée, entièrement souveraine, avec les arbitrages internationaux de laquelle ils seraient bien obligés de s'accommoder.
B. M.
Notes :
18) Quatre partis politiques algériens sont dirigés par des femmes : le Parti des travailleurs de Louisa Hanoune, le Mouvement pour la jeunesse et la démocratie de Mahjoubia Chalabia, El-Adl oua El-Bayan de Naïma Salhi et le Front pour le changement et le progrès de Zoubida Assoul.
19) Abderazak Mokri, médecin et juriste formé à l'Université de Sétif, est un politicien pragmatique. Depuis son élection à la tête du MSP au 5e congrès de mai 2013, il s'est imposé comme un des chefs de file de l'opposition. Hostile au 4e mandat du président Abdelaziz Bouteflika, il a fait le pari de quitter le confort de la coalition gouvernementale pour la voie risquée de la contestation. Sa ligne critiquée par les partisans de Bouguerra Soltani a remporté, en mai 2017, une victoire incontestable, à la suite du rejet par le majliss echoura de la proposition du gouvernement de rejoindre ses rangs, après les élections législatives de 2017.
20) L'opposition est, aujourd'hui, placée devant le défi de la relève. Ses chefs qui sont aux commandes, depuis plus de vingt ans, sont invités avec insistance à passer le témoin à de jeunes directions – le RCD l'a fait – s'ils veulent accorder leurs actes avec le credo démocratique qu'ils agitent depuis 1989.


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