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EDEN EN SURSIS / ALGER 1964-1974 DE KAMEL BENYAA
Une histoire de jasmin, de pépiniéristes et de mauvais jardiniers
Publié dans Le Soir d'Algérie le 01 - 10 - 2017

«Alger de la première décennie d'après-guerre restera à jamais l'âge d'or de la capitale algérienne. Elle demeurera pour toujours une époque bénie, généreusement offerte par notre Révolution triomphante», s'exalte Kamel Benyaa dans ce récit autobiographique au parfum de jasmin.
En ces années-là, l'auteur était dans la fleur de sa jeunesse et découvrait sans cesse que l'objet aimé - Alger - avait de nouvelles perfections. Dix ans de bonheur et pendant lesquels Kamel Benyaa a véritablement su ce que c'est que le plaisir de vivre. La vie était un film dont il était la star. Il n'avait pas besoin de trouver un dénouement heureux à l'histoire, tant Alger, dans son décor somptueux, était une rose qu'on humait et offrait à son voisin. La vie était un beau poème, une œuvre d'art, des plaisirs innocents, un plaisir raffiné... En avant-propos de son récit, l'auteur donne tout de suite envie de savourer un bon texte. Voici le clin d'œil complice au lecteur, le passage qui met l'eau à la bouche : «Eden en sursis : Alger 1964-1974 raconte ma jeunesse dorée en terre algéroise après la libération. J'ai eu le privilège de vivre les moments merveilleux qui ont vu l'Indépendance de mon pays et le bien-être des années qui ont suivi. Comme après une maladie grave, la convalescence et la guérison ont pris naturellement les contours de l'Eden.
C'est en jeune citoyen algérien libre que j'ai vécu avec délectation cette période fabuleuse...» De fait, les développements qui vont suivre enchanteront le lecteur. Non seulement le texte de l'avant-propos tient sa promesse, mais Kamel Benyaa apporte un plus en éclairant le jeu. Il a ainsi l'attitude de l'acteur «prenant ses distances» avec son personnage, avec le lieu de l'action et par rapport à son propre discours «nostalgique». Cet effet de distanciation est produit par le point de vue citoyen qu'il exprime librement sur nombre de sujets, car le témoin d'une époque comme suspendue entre ciel et terre (un Eden en sursis) sait, avec le recul, se transformer en essayiste-chroniqueur. Le résultat : un récit vivant et au style coloré, écrit par un esprit brillant et ayant le don de la vivacité.
La fresque de «l'âge d'or» de l'Algérie indépendante est peinte en plusieurs tableaux chargés d'émotion, en même temps que l'auteur (surtout dans les derniers chapitre) tire les contre-épreuves de ses estampes pour vérifier ce qu'il pressentait déjà : ces dix années étaient seulement une parenthèse heureuse entre la naissance et l'agonie. «Cette dynamique heureuse de la Révolution allait durer pendant une dizaine d'années avant de s'essouffler et s'estomper décrescendo. Les mutations sociétales en cours allaient porter la nation algérienne vers un autre destin.» (épilogue).
Les signes diagnostiques de la maladie sont mis en évidence et commentés par le médecin allergologue dans les chapitres «Enquête», «Contre-enquête» et «La fin d'un rêve». Avant cela, le lecteur est invité à (re) découvrir l'éden de beauté, de convivialité, de culture, de savoir, d'amour, de jeunesse, de rêve et de tous les espoirs permis. «à quoi servent les livres, s'ils ne ramènent pas vers la vie, s'ils ne parviennent pas à nous y faire boire avec plus d'avidité ?», disait justement Henry Miller. En l'occurrence, le livre de Kamel Benyaa est un véritable hymne à la vie, un voyage passionnant qui permet de retrouver d'innombrables et riches décors, des hommes au cœur d'enfant, des oasis de tendresse et de passion, toutes choses que nul ne reconnaît plus à présent ou qu'il passe outre. Il faut ajouter à cela cette élégance de l'écriture, une qualité de style faite surtout de simplicité, de cordialité et de délicatesse. D'où le plaisir esthétique, intellectuel et moral à lire Kamel Benyaa, médecin et écrivain généreux qui donne avec amour. L'explication à ce sentiment d'humanité (la générosité) est à chercher dans les personnages qui ont façonné son éducation et éveillé son être. Parmi les êtres lumineux qui ont éclairé sa jeune existence, il y a le père et la mère, les professeurs, les camarades et amis, des rencontres brèves mais marquantes... Sans oublier Alger (un personnage à part entière) et l'école de la vie elle-même.
Le destin de Kamel Benyaa a été déterminé par la conjonction d'un espace (une ville) et de l'histoire.
Il est le résultat d'une heureuse transplantation (que raconte «La greffe», chapitre 1) opérée le 9 août 1964.
Ce jour-là, le jeune Kamel, âgé de 17 ans, quittait définitivement son village natal Sidi Aïch (cf. le premier récit autobiographique de l'auteur Mes souvenirs au passé composé-Sidi Aïch : 1952-1962, publié en 2015) pour Alger. Son père, fonctionnaire au ministère des P et T, a bénéficié d'un appartement à la cité du Logis Postal, «dans ce quartier huppé de la capitale qu'on appelait ‘‘Le Golf''». Les parents et la fratrie de trois garçons et trois filles, une fois installés, se sentent un peu à l'étroit, mais «l'appartement était cependant bien ensoleillé et doté d'un grand balcon d'où l'on pouvait voir la mer et une partie de la baie d'Alger». Pour un regard neuf, cela offre déjà de nouvelles et belles perspectives. D'abord éveillée, la curiosité de l'aîné de la fratrie va devenir inlassable. Il part aussitôt en reconnaissance, en quête de repères, d'amis et de nouvelles relations. Le jeune «émigré» explore la ville, va de découverte en découverte. Il a compris que l'adaptation et l'intégration allaient se faire en douceur. «J'écoutais et parlais peu. Je voulais approcher cette jeunesse algéroise et m'imprégner de la mentalité citadine et du style de vie en cours dans la capitale», confie le narrateur. Alors que, pour lui, «la vie dans la capitale était une promotion sociale», les jeunes du quartier, eux, souffraient déjà d'exister. Le paradoxe, déjà à cette époque, c'est «qu'ils désiraient tous partir, échapper à leur quotidien morose, voyager et connaître l'Europe.
Certains ont réalisé leurs vœux et sont partis s'installer dans différents pays du Nord». Pendant que lui rêvait d'une «greffe» réussie, les autres souhaitaient «partir sous d'autres cieux pour un avenir meilleur».
Surtout, le narrateur convie le lecteur à une visite guidée et fort instructive du centre-ville. Ici, la découverte se fait par le truchement d'un homme de culture : M. Aleg, un vieil ami de son père, est professeur d'histoire dans un lycée à Kouba. C'est accompagné de ce natif d'Alger que le lycéen en classe de seconde effectue une agréable promenade pédestre. Le cours d'histoire est magistral, son «maître d'un jour» lui ayant «présenté les principaux sites au cœur de la ville» de façon à éveiller son sens esthétique et son esprit critique. Des exposés de M. Aleg, le jeune Kamel Benyaa a notamment retenu «une expression d'une réalité criante» : «La ville d'Alger que nous allons visiter n'a pas été conçue par des Algériens pour les Algériens mais par les Français à leur profit exclusif.» Malgré cette «impression coupable de visiter une cité étrangère», le narrateur gardait espoir en l'avenir...
«Au royaume de l'espoir, l'hiver n'a jamais lieu», affirme le proverbe russe. Dans les chapitres suivants, l'auteur raconte la belle époque post-indépendance où, dans sa ville d'adoption, il avait trouvé la liberté et la possibilité de l'épanouissement moral, intellectuel, spirituel et physique. Une intelligence et un équilibre qu'il doit aussi (et d'abord) à ses parents et à l'éducation reçue. Après les belles pages consacrées à Alger, le narrateur fait le portrait émouvant de deux personnages qu'il connaît intimement : le père et la mère. «Je garde un souvenir sonore des éclats de rire de mon père et de ses colères aussi. Il avait un tempérament passionné et exprimait généreusement ses convictions», écrit l'auteur. Un personnage à la fois entier et contrasté, qui se révèle un acteur au «jeu talentueux» et un éducateur hors-pair. La maman ? «Enfermée dans la tradition puis libérée par la révolution, la vie de ma mère a été jalonnée de douleurs, de sacrifices et de luttes sans relâche, pour défendre avant tout sa famille : son époux et ses enfants. Face à l'adversité, elle se révéla une femme battante qui a su faire du devoir une arme de défense en toute circonstance.» Les parents «faisaient penser à un couple de moineaux cherchant laborieusement leur pitance». Tout simplement, «ils voulaient une famille heureuse, où la place du rêve avait une place prépondérante». Le jeune provincial, frais débarqué de son Sidi Aïch natal, est comme un poisson dans l'eau. Dans son nouveau milieu, il réussit une brillante scolarité au lycée El-Idrissi, décroche son premier job durant l'été 1965, découvre et s'imprègne de littérature française, parvient à se débarrasser de ses «complexes freudiens» (les relations avec l'autre sexe)... «En 1967, j'avais vingt ans, l'âge d'or dans la vie d'un homme», entame-t-il le chapitre «Années 1966-1967». C'est l'année du bac (2e bac à l'époque), au cours de laquelle «deux hommes, éducateurs émérites, allaient contribuer à forcer les portes de ma réussite». Les deux hommes ne sont autres que son père et son professeur de philosophie Tariq-Maurice Maschino. Pour compléter sa formation, le jeune Kamel Benyaa, le bac en poche, va s'offrir des vacances à l'étranger. Direction l'Europe, avec pour tout bagage ses vingt ans et un sac à dos. Il raconte son odyssée, notamment en Pologne et en Tchécoslovaquie («heureux comme Ulysse»).
C'est ensuite «le sanctuaire», c'est-à-dire l'université d'Alger et la vie d'étudiant, la vraie («nous avions la chance d'étudier dans une université performante et d'avoir une qualité de vie honorable»). Alger brillait de soleil et ruisselait de splendeur. Conjugué au contexte international de l'époque, l'art de vivre algérois faisait honneur à la musique pop, à la femme, au «spectacle de la rue», à la gastronomie, au shopping, au cinéma, au théâtre, à la vie nocturne, aux noceurs noctambules, aux plages et aux piscines, aux crèmes glacées, aux fruits de mer, aux restaurants, aux matchs de football, aux compétitions automobiles, aux kermesses joyeuses et aux défilés, aux soirées de musique chaâbi... Retour sur 1968, «année de toutes les révoltes» et sur «Alger révolutionnaire» (1969), avec l'inoubliable Panaf (premier festival Panafricain d'Alger, été 1969). Le Panaf, une «fête fantastique jamais égalée à l'échelle continentale», était en même temps un hommage des pays africains «à l'Algérie, La Mecque des révolutionnaires du monde entier». L'auteur a vécu pleinement cette époque merveilleuse qu'il relate avec moult détails et anecdotes. Il a aussi vécu «l'ambivalence du régime» (chapitre 11). Déjà, en 1970, «la chasse aux adeptes de la culture occidentale était ouverte à Alger», avec ces histoires de cheveux longs et d'idées courtes. Le reflux commençait à s'observer. Pendant ce temps, Boumediene poursuivait sa politique volontariste et «bâtissait avec frénésie» : industries industrialisantes, révolution agraire, villages socialistes, «structures touristiques prestigieuses»... Tout comme les alchimistes qui espéraient obtenir la mutation des métaux en or, le miracle algérien n'a pas eu lieu.
Justement, Kamel Benyaa livre un éclairage sur les errements des dirigeants de l'époque et sur les raisons de l'échec. Dans ce contre-essai, il décortique «l'idéologie du régime», sa politique extérieure, sa politique intérieure (dont l'arabisation, créneau investi par Ahmed Taleb et transformé par lui «en chantier messianique»). Avec Taleb Ibrahimi, «l'Algérie tournait le dos à la Méditerranée pour s'orienter résolution vers l'Orient». En fait, Taleb ne pensait pas «en Algérien pour servir l'Algérie, mais comme un adepte féru de l'association des Oulémas». Quant à «la révolution industrielle» telle que basée sur la théorie des «industries industrialisantes», elle était «une utopie qui se solda par un échec cuisant. Une expérience insensée qui va ruiner l'Algérie». Belaïd Abdeslam, qui fut le père de ce projet, allait également se distinguer avec le monopole de l'Etat sur le commerce et la distribution (1972-1974), cette autre «décision calamiteuse qui engendra une désorganisation complète de l'économie avec son cortège de pénuries chroniques, de spéculations commerciales en tous genres et de corruption». C'est l'heure des désillusions, la fin du rêve socialiste. Pour l'auteur, les années 1972-1974 marquent «la fin d'un rêve» tout court. Les signes cliniques, les signes pathologiques que le médecin a diagnostiqués ne trompent pas : les jasmins vont mourir et Alger ne voudra plus rien dire du tout.
Hocine Tamou
Kamel Benyaa, Eden en sursis. Alger : 1964-1974, éditions Pixal Communications, Alger 2017, 206 pages, 500 DA.


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