L'histoire de la Cour des comptes alg�rienne ne fait pas honneur � la R�publique. Et pour cause, elle fut cr��e dans un contexte bien particulier, il y a 25 ans, qui ne pouvait qu'aboutir � la situation actuelle : une institution scl�ros�e et empoussi�r�e, dans l'impasse, vieille dame indigne aux ordres de ses ma�tres. Et dire que nombre de magistrats, qui d�cid�rent d'y faire carri�re, crurent en la mise en place d'une institution qui jouisse r�ellement de ses pr�rogatives, aussi limit�es soient-elles. Bref retour en arri�re. Une fois au pouvoir en 1979, Chadli ne recula devant rien afin d'�carter ceux qui pouvaient lui faire de l'ombre. A commencer par ses pairs du "Conseil de la R�volution" qui l'avaient d�sign� candidat "unique" � la magistrature supr�me. Pour cela rien de plus simple : faire remonter en surface les dossiers constitu�s sur les adversaires du pr�sident par les services de la s�curit� militaire, dossiers qu'il suffisait de charger davantage. Pour instruire ces affaires, Chadli cr�a en mars 1980 la Cour des comptes (CDC), directement plac�e sous son autorit� et d�finie comme son "conseiller financier". Le pr�texte qu'il utilisa pour cr�er cette nouvelle institution �tait… la n�cessit� de moraliser la vie publique. Afin de donner consistance � ce pr�texte, une centaine de magistrats furent r�voqu�s sous l'accusation de corruption ou d'abus de pouvoir. Au passage d'autres furent mis � la retraite ou �cart�s de postes sensibles, alors qu'ils n'avaient pas d�m�rit� dans l'exercice de leurs fonctions. Cet aspect-l� de l'op�ration CDC avait donc � la fois un caract�re d�magogique — faire croire que Chadli s'attaquait � la corruption — et une fonction de reprise en main. Car en fait, la CDC fut cr��e surtout pour r�gler des… comptes et �carter ceux qui pouvaient faire de l'ombre � Chadli. Ce dernier y parvint facilement. Les dossiers de presque tous les dignitaires du r�gime �taient charg�s d'accusations, de d�tournements et de malversation, ce qui rendait d'autant plus ais�s leur neutralisation et le respect de la loi de l'omerta. Ayant fait l'objet d'une loi adopt�e par l'Assembl�e nationale — du temps du parti unique — enti�rement acquise � Chadli, la CDC �tait �videmment taill�e sur mesure pour les besoins pr�sidentiels. Elle fut comme une �p�e de Damocl�s pour ceux, anciens du r�gime de Boumediene, qu'il fallait faire taire et �carter des sph�res du pouvoir. Elle devait �plucher les situations financi�res des administrations, surtout minist�rielles, des entreprises dites socialistes et du parti unique, et fournir annuellement au pr�sident de la R�publique un rapport g�n�ral, publi� partiellement ou totalement au Journal Officiel. Non seulement Chadli se servit de la CDC pour neutraliser l'ancien ministre des Affaires �trang�res, Abdelaziz Bouteflika, accus� par le quotidien gouvernemental El Moudjahid d'avoir largement puis� dans les caisses des repr�sentations diplomatiques � l'�tranger, et Mohamed-Salah Yahiaoui, qui �tait en charge de "l'appareil du FLN", mais Chadli n'a jamais publi� les rapports de la CDC. Une premi�re prescription en cache une autre Face � la col�re qui commen�ait � monter du s�rail, Chadli, suite � un march� avec les "repr�sentants" de ses adversaires, signa le 26 mars 1981 une ordonnance modifiant la loi portant cr�ation de la CDC — ce que lui permettaient ses nombreuses pr�rogatives pr�sidentielles telles que d�finies par la Constitution alg�rienne. Le changement introduit est de taille : "(…) Pass� le d�lai de trois ans et en l'absence d'une intervention de la Cour, l'apurement est r�put� d�finitif." Ce changement, qui s'apparente � une scandaleuse prescription, fut avalis� quelques mois plus tard par les d�put�s du parti unique. Puis il y eut, quatorze ann�es plus tard, une nouvelle ordonnance — celle de juillet 1995 — qui �tablit de nouvelles r�gles, m�langeant un semblant de modernisation, d'actualisation et de d�poussi�rage des textes r�gissant la CDC, sans que l'on connaisse les motivations de l'�quipe au pouvoir — le tandem Zeroual-Betchine. Un remake de la d�marche de Chadli ? Ou une r�ponse aux pressions des bailleurs de fonds internationaux, dans la foul�e des r��chelonnements de la dette et de l'application du programme d'ajustement structurel ? Une chose est certaine, l'ordonnance du 17 juillet 1995 ne changea rien � la situation mortif�re de la CDC — nombre de ses dispositions sont rest�es lettre morte � ce jour (dont le statut de ses magistrats) hormis la cr�ation et l'installation au forceps de chambres r�gionales aux pr�rogatives et moyens tr�s limit�s. A ce jour, vingt-cinq ans apr�s sa mise en place et la "consommation" de plusieurs pr�sidents aux ordres — l'actuel pr�sident fait exception en terme de long�vit�, "oubli�" � son poste depuis pr�s de dix ans —, la Cour des comptes n'a jamais pris son envol. Il faut dire qu'elle a subi d'incessants changements de statut et de pr�rogatives, qui ont fait obstacle � son travail et � son ind�pendance. N'eut �t� sa cons�cration constitutionnelle, la CDC aurait fait les frais des pratiques de l'actuel chef de l'Etat qui, visiblement, ne veut plus en entendre parler — d�j� qu'elle n'a pas �t� tr�s bavarde en un quart de si�cle d'une existence bien triste — en attendant de voir comment s'en d�barrasser �ventuellement, � la faveur d'une modification de la Constitution, amnistie g�n�rale en perspective oblige.