Jamais projet de texte de loi n'aura si tard� � voir le jour. La nature des questions que traite la loi-cadre d'orientation relative � la ville ne relevant pas des sujets � sensation, elle n'a b�n�fici� que de tr�s peu de publicit� et d'int�r�t m�diatiques. Pourtant, elle m�rite bien plus qu'un entrefilet. Pourquoi ? D'abord parce que la ville est le cadre de vie de la plupart de nos concitoyens. En 1998, la population urbaine est pass�e � 16,9 millions d'habitants, ce qui repr�sente 58% de la population totale. En 2010, ce taux atteindra 70% ; il passera � 80 % � l'horizon 2025. En outre, le d�s�quilibre flagrant dans la r�partition et la densit� de la population indique que 40% des habitants sont localis�s dans la bande du littoral qui ne repr�sente que 1,9 % du territoire et environ 25% des habitants sont localis�s dans les zones telliennes soit 2,1% du territoire. Ce qui d�note que 65 % de la population sont concentr�s sur une superficie ne d�passant pas 4% du territoire et 25% des habitants sont localis�s dans les Hauts-Plateaux sur seulement 9% du territoire. Enfin, 10% � peine de la population du Sud occupent 87% du territoire national. Par ailleurs, notre pays compte 589.000 agglom�rations urbaines, c'est-�-dire des regroupements de plus de 5.000 habitants dont 75% de l‘activit� �conomique n'est pas agricole. Elles ont �merg� et se sont d�velopp�es de fa�on anarchique, en d�pit des belles esquisses �labor�es par le Comedor � partir de 1968 et d'une timide tentative d'instauration de plans directeurs d'am�nagement et d'urbanisme (PDAU) dans le prolongement des r�formes de 1990. Mais les organes, suppos�s intersectoriels (collectivit�s locales, travaux publics, urbanisme et transport), de projection et de suivi ont, la plupart du temps, pour ne pas dire toujours, fait d�faut. Dans les faits, le wali se retrouve, malgr� lui, le seul ma�tre � bord. Urgence et pr�cipitation ont alors cumul� les dysfonctionnements dont souffrent encore aujourd'hui nos villes. L'urbanisation s'est poursuivie dans des conditions g�n�ralement d�sastreuses. Les infrastructures collectives pour l'approvisionnement en eau potable, en �lectricit� ou en gaz, la collecte des d�chets ou le traitement des eaux us�es sont parfois inexistantes. L'habitat lui-m�me est fr�quemment pr�caire et construit en marge de tout plan d'urbanisme, tandis que �le mal-logement� fait des ravages : habitations exigu�s comparativement � la taille moyenne des familles, insonorisation m�diocre, parties communes d�grad�es, absence de commerces et de transports en commun... Quant aux emplois auxquels les nouveaux urbains acc�dent, ils se situent g�n�ralement dans le secteur dit informel, c'est-�-dire qu'ils �chappent � toute r�gle d'ordre public et ne procurent aucune protection sociale. En r�gle g�n�rale, les politiques de la ville suivent deux grands mod�les : les Am�ricains s'int�ressent aux gens et s'appuient sur les communaut�s, alors que les Fran�ais travaillent sur les lieux et s'appuient sur les institutions. Ces profondes diff�rences s'expliquent par la conception qu'ont les uns et les autres de la responsabilit� de l'individu, de la place des communaut�s ethniques ou religieuses dans la soci�t� nationale, de la planification urbaine et de la propri�t� priv�e. Inscrit dans la tradition fran�aise, par mim�tisme ou par paresse, le d�veloppement de nos villes n'en a h�rit� que des proc�dures administratives pour les compliquer et les alourdir � l'extr�me. Outre-mer, les choses ont, depuis, bien �volu� : jusqu'en 1993, la politique de la ville reposait sur un ensemble de contrats pluriannuels associant l'Etat aux collectivit�s locales, contrats qui portent soit sur un quartier (convention de d�veloppement social des quartiers), soit sur une ville tout enti�re (contrat de ville ou convention ville-habitat). A partir du 1er janvier 1994, la formule du contrat de ville devient l'unique proc�dure. Il lie l'Etat et les collectivit�s locales pour une p�riode de cinq ans et porte sur un cadre d'action �largi du quartier � l'agglom�ration. En Alg�rie, le projet de nouvelle loi introduit les principes g�n�raux de la coordination, la concertation, l'information, la pr�servation, la bonne gouvernance, le d�veloppement humain, le d�veloppement durable et la d�centralisation. Il d�finit la ville, ses cat�gories, d�termine les normes de classification. De m�me qu'il introduit des nouveaux concepts juridiques relatifs � l'�conomie urbaine, le contrat de promotion de la ville, etc. Il recense enfin les acteurs et d�termine les comp�tences des intervenants dans la ville, en l'occurrence l'�tat, les collectivit�s locales, la soci�t� civile et les acteurs �conomiques. L'initiative du ministre d�l�gu� � la ville, M. Abderrachid Boukerzaza, m�rite d'�tre salu�e et suivie d'effet, pour cette premi�re raison, majeure, qu'elle tire la sonnette d'alarme et amorce une alternative cr�dible. Ce faisant, elle augure d'une �mise � niveau� salutaire. Partout dans le monde, les villes sont le moteur de la croissance �conomique. Pour s'en convaincre, il suffit de savoir que le produit brut cumul� de Tokyo, Osaka, Los Angeles, Paris et New York d�passe celui des seize Etats les plus petits de l'OCDE. Le produit brut d'Osaka exc�de de 10 % celui de l'Australie et de 25 % celui de l'Inde. Le produit brut de S�oul, en Cor�e, est sup�rieur � celui de l'Indon�sie. Comparativement, 1541 de nos APC, c'est-�-dire l'�crasante majorit� d'entre elles, sont d�ficitaires. Densit�, foyer de relations, proximit� g�ographique entre acteurs �conomiques dotent les grandes m�tropoles des avantages que requiert l'�conomie aujourd'hui. Elles sont des points de convergence de tous les r�seaux, mat�riels et immat�riels (autoroutes, gares, a�roports, mais aussi t�l�communications, r�seaux d'interrelations entre les personnes), qui font de la ville un point focal de la soci�t� de l'information qui se dessine � grande vitesse. Cette remont�e du fait urbain correspond au nouveau paradigme technico-�conomique, marqu� par une pr�dominance croissante des fonctions " intelligentes " : formation, recherche, traitement de l'information, logistique, etc. Or, la production et la coordination de ces nouvelles mati�res premi�res s'op�rent au cœur des villes, qui deviennent ainsi une composante majeure de la nouvelle organisation de la production. Dans les circonstances d'aujourd'hui, les entreprises recherchent les "territoires riches", riches de comp�tences diversifi�es, aux rapports intenses entre les acteurs et o� se d�veloppe une dynamique endog�ne suffisante pour attirer des acteurs exog�nes. La mondialisation, faut-il le rappeler, s'est exprim�e d'abord dans le domaine �conomique, avec le r�le accru des grandes soci�t�s multinationales. La pr��minence du secteur priv� dans ce mouvement a infl�chi le r�le des Etats dans l'orientation et le contr�le du d�veloppement �conomique national et international dans le sens, marqu�, de son att�nuation. Corollaire de cette �volution, la concurrence pour attirer les investissements et les capitaux priv�s s'est beaucoup accentu�e. Dans cette comp�tition, les villes jouent souvent un r�le-cl�. C'est par rapport � elles, aux avantages et au cadre de vie qu'elles offrent, que sont prises les d�cisions de localisation des investissements, qui seront d�terminantes pour le devenir �conomique du pays tout entier. Les gestionnaires des villes sont ainsi conduits � b�tir des strat�gies de d�veloppement local qui int�grent marketing et strat�gies pour attirer l'investissement priv�. Les municipalit�s qui ne sont pas capables de s'int�grer dans cet univers de comp�tition sont exclues du r�seau mondial des villes. Enfin, la nouvelle d�marche, initi�e � partir de l'Italie, consiste en une rupture avec un urbanisme jusque-l� pr�occup� par la seule s�paration spatiale des fonctions qui avait compl�tement �vacu� le facteur temporel. Aujourd'hui, l'enjeu serait plut�t de rassembler par le temps ce qui a �t� �loign� dans l'espace. Ce "chrono-urbanisme" permet de saisir toute l'importance de certains �quipements, de d�congestionner l'espace urbain et de promouvoir sa fluidit�. Pendant ce temps, l'homo urbanus alg�rien, cet individu paradoxal qui souhaite �tre seul mais � plusieurs, dans le calme mais proche de l'agitation, en ville mais � la campagne, parce que fra�chement affranchi de son petit troupeau et de son lopin de terre, patauge dans la gadoue des files interminables, des embouteillages, des flaques d'eau, des parkings introuvables, de la petite d�linquance et des extensions odieuses de vieilles villes en ruine. M. Boukerzaza d�clare vouloir mettre le citoyen au cœur de l‘action et d'en faire l'artisan et le b�n�ficiaire d'une politique de la ville qui aura mis quarante ans pour voir le jour. On ne lui tiendra pas rigueur pour cela : il n'est ministre, et d�l�gu� de surcro�t, que depuis un an.