II faut certainement se f�liciter de la promptitude que nous avons, nous les Alg�riens, de la promptitude � nous rapprocher d'autrui et � nous r�concilier avec lui. Ce temp�rament r�v�le une qualit� que nous ne retrouvons pas toujours dans nos rapports entre nous. La meilleure illustration en est donn�e par l'int�r�t que nous portons aujourd'hui, � juste titre d'ailleurs, � la normalisation avec le Maroc, dans le respect du droit inali�nable du peuple sahraoui � l'autod�termination, et au traitement du contentieux historique avec la France, hors de toute reconnaissance de quelque mission civilisatrice de la colonisation. C'est un "pilier du r�gime", si l'on croit le quotidien Le Monde, qui est en charge de la premi�re mission. Le g�n�ral Larbi Belkheir quitte son poste de directeur de cabinet du pr�sident Bouteflika pour celui d'ambassadeur "extraordinaire et pl�nipotentiaire" au Maroc. L'int�ress� a gard� le silence sur sa nomination jusqu'� la publication du communiqu� du minist�re des Affaires �trang�res validant l'information, mardi dernier. "La r�alit� est que Rabat est un poste sensible et qu'on en a conscience de part et d'autre. Ma priorit� sera d'�tablir des relations de confiance avec le Maroc, et surtout une v�ritable communication entre les deux pays. Cela fait trop longtemps que nos relations passent par des hauts et des bas. Or, le Maroc est notre voisin et le restera. Nous sommes condamn�s � nous entendre", a confi� l'int�ress� au quotidien parisien, le lendemain de sa nomination. Jamais nomination � une telle charge diplomatique ne fut autant m�diatis�e de part et d'autre, la presse alg�rienne y voyant, pour l'essentiel, un signe de disgr�ce, celle du royaume ch�rifien un signal fort d'Alger pour des dispositions qu'elle consid�re moins belliqueuses. L'une des principales t�ches du nouveau repr�sentant de l'Alg�rie � Rabat portera sur la r�ouverture des fronti�res alg�romarocaines, ferm�es depuis 1994, � la suite de l'attentat de Marrakech o� � deux touristes espagnols avaient �t� tu�s � et dont le Maroc voulait faire porter la responsabilit� � l'Alg�rie, en maltraitant et en expulsant manu militari les milliers de familles alg�riennes qui y avaient �lu domicile pour leurs vacances. A Rabat, on a accueilli avec une immense satisfaction la nomination d'un homme pr�sent� comme un partisan convaincu de la normalisation alg�ro-marocaine. En quelques heures, les autorit�s marocaines avaient donn� leur assentiment � une nomination au demeurant synchronis�e comme une horloge suisse avec la lib�ration de 404 d�tenus marocains par le Polisario et unanimement applaudie au Maroc et aux Etats-Unis. "Nous exprimons notre satisfaction aux gouvernements de l'Alg�rie et du Maroc pour avoir facilit� cet important effort humanitaire", a dit M. Bolton, repr�sentant permanent des Etats-Unis � l'ONU, dans une d�claration apr�s la lib�ration jeudi, en invitant par ailleurs les deux pays � saisir l'occasion offerte par ce "d�veloppement positif" qu'est la lib�ration des d�tenus marocains pour am�liorer leurs relations bilat�rales et cr�er un climat r�gional favorable au r�glement du conflit du Sahara, dans le cadre de l'ONU avec l'envoy� personnel du secr�taire g�n�ral de l'ONU, M. Peter Van Walsum". Nous voil� donc r�concili�s avec nos voisins marocains et nos occupants fran�ais d'hier. Qu'en est-il d'entre nous ? Le front int�rieur s'apparente au calvaire des fr�res qui n'aspirent qu'� vivre en paix entre eux, mais qui souffrent de l'autorit� d'un p�re s�nile, en fin d'existence, qui s'occupe exclusivement � fomenter et � nourrir les dissensions de personnes. "Nous sommes un peuple qui a besoin d'un ennemi ext�rieur pour s'unir. D�s que l'ennemi part, on ne pense qu'� soi", avait relev� le pr�sident de la R�publique jeudi � S�tif. Le "Mal Alg�rie" justement r�side l� : � l'exception de quelques rares personnalit�s politiques dignes de respect, tout le reste du personnel, discr�tionnairement pr�pos� � la mauvaise gestion de la res publica, ne voit d'issue � la crise qu'� travers les personnes. Comment expliquer l'�chec d'un nouveau syst�me qui les transcende ? Certainement en grande partie par la t�nacit� d'un mode de gouvernance qui se r�v�le inalt�rable et qui pr�f�re des individualit�s isol�es et atomis�es � des mouvements organis�s et coh�rents. Sa capacit� � se reproduire si bien tient tout autant de son caract�re oligarchique et de l'habitus qui s'installe en son sein que de son �endogamie- homogamie�. Ce dernier bin�me �voque la coh�rence humaine qu'il rec�le du fait des relations de sang (et d'affaires aussi) qui se nouent � l'int�rieur du groupe. Un groupe oligarchique en ce qu'il s'oppose � la d�mocratie pour garder en son sein la transmission du pouvoir r�el. Inutile de pr�ciser qu'en l'esp�ce, l'autoritarisme que cela g�n�re est aveugle, cupide et grossier � la fois. A ce propos, �la maison de l'ob�issance�, par laquelle Abdelhamid Mehri d�signe syst�matiquement l'enclos r�serv� au FLN par le syst�me n� de ses cendres au lendemain de l'Ind�pendance, m�rite plus qu'un simple survol de chroniqueur. Elle sugg�re qu'on s'int�resse � ce qui est tapi derri�re la vitrine, c'est-�-dire la boutique et l'arri�re-boutique. Y s�journent, hors de toute �ch�ance �lectorale et de tout contr�le, les programmeurs de carri�re et les distributeurs de r�les et de rentes. Et rien n'�chappe � leur pouvoir, jusqu'au destin du dernier-n� du douar le plus recul�, ni le b�n�ficiaire d'une attribution quelconque de logement social ou de terrain. Elle sugg�re aussi qu'entre le FLN et le syst�me, le rapport est plus que charnel et que toute volont� d'affranchissement du premier est vite associ�e � la fugue, voire � l'adult�re, de la femme mari�e, la sanction tenant � sa mise en quarantaine et, premier avertissement, � de frivoles relations avec une tierce personne qui, pour l'instant, ne peut �tre qu'une ma�tresse. Certains lecteurs y verront ici une allusion au RND, mais il n'est pas le seul � remplir cette mission. Les partis dits "d�mocratiques" n'�chappent pas � la r�gle. Nombre de valeurs unissent ce couple bien vieillissant, quelque peu pervers et naturellement bruyant. Derri�re les tumultes de l'�ge, il y a bien entendu des mutations. La premi�re, et non des moindres, est cette volont� d�sesp�r�e de l'autodidacte de se mettre au go�t du jour, celui de l'�conomie sauvage de march�, en s'appropriant, sans trop savoir comment, des biens jadis indivis. La vieille th�se boum�di�niste de �qui veut faire fortune s'�loigne du pouvoir� n'a pas fait long feu devant la gangr�ne du �pantouflage�, une expression par laquelle on d�signe aujourd'hui le transfert fulgurant d'un fonctionnaire ou d'un gestionnaire du service ou du secteur public � une fonction priv�e, de propri�t� ou de gestion, dans un domaine en relation avec son activit� ant�rieure. En Alg�rie, �le pantouflage � est monnaie courante et nul ne s'en inqui�te outre mesure. Ailleurs, on s'efforce de le juguler pour s'�pargner des conflits d'int�r�t et, surtout, pour pr�server la confiance dans les institutions publiques. L'esprit d'initiative propre � une �conomie de march� r�ellement concurrentielle est f�rocement r�prim�, tout autant que l'expression libre, critique et m�me constructive. A d�faut de valoriser l'individualisme, l'�conomie de bazar nourrit l'anomie, au sens que lui donne �mile Durkheim de trouble social exprimant l'indiff�rence d'une personne � l'�gard de la soci�t� ou son incapacit� � s'inscrire dans les r�gles qui en assurent le bon fonctionnement. L'expression la plus manifeste de cette indiff�rence est une soci�t� amorphe qui, pour survivre, se r�fugie naturellement � peut-elle faire autrement ? � dans la r�fraction, le rejet et l'abstention, essentiellement parce que le mode d'acc�s � une propri�t� stable et � un pouvoir l�gitime n'est pas connu, reconnu et partag� de tous. Faute d'espace intellectuel r�ellement critique et autonome du pouvoir, les rares tentatives de rejet des hommes et des normes du pass� pour affirmer de nouvelles ambitions g�n�rationnelles ont toutes lamentablement �chou�. Les intellectuels, les chercheurs, les enseignants, les magistrats, les avocats, les m�decins, etc., tous ces corps demeurent les victimes d�sign�es de ce que Lacan ramassait sous le vocable terriblement provocateur de �canaille� par lequel il traduisait �une affirmation d'anti-intellectualisme �. La d�valorisation du savoir, de l'�rudition, en un mot de l'esprit, au sein de la soci�t�, en est l'expression la plus manifeste. Quelles que soient les r�ponses que sugg�rent ces questions fort pertinentes, il y a tout de m�me lieu de se rassurer : il n'y a pas de quoi craindre une euthanasie nationale. L'�tat comateux dans lequel sommeillent encore l'�conomie, les forces sociales et les acteurs politiques � il nous est imputable � tous � n'est pas insurmontable.