La majorit� de la population alg�rienne reprend aujourd'hui le chemin des �coles, coll�ges, lyc�es, centres de formation et universit�s. C'est une population otage de la folie des adultes charg�s de l'encadrer. Apr�s les ann�es blanches, la gr�ve des cartables, le boycott des bulletins de notes, on se demande ce que les acteurs les plus en vue apporteront cette ann�e au lexique des luttes syndicales. Ces luttes d�rapent souvent du fait tout autant de l'ent�tement de bureaucrates peu enclins au dialogue et � l'acceptation du pluralisme syndical que de leur m�pris des couches moyennes intellectuelles d�j� gravement paup�ris�es. Qu'ont � perdre ces fonctionnaires d�s lors que leurs prog�niture �voluent au rythme du reste du monde civilis� dans des lyc�es priv�s, �trangers ou sous d'autres cieux ? Elles d�rapent aussi du fait du peu de consid�ration qu'ont les p�dagogues pour l'avenir de leurs �l�ves dans la gestion des luttes qu'ils engagent pour faire aboutir des revendications dont on ne contestera jamais ici la l�gitimit�. Dans au moins un lyc�e d'Alger, r�cemment signal� par la presse, des bulletins de l'ann�e scolaire �coul�e ne sont toujours pas parvenus aux parents. Pour la plupart des lyc�es et coll�ges, la v�ritable ind�cence vient de ce que des �l�ves �taient examin�s et des notes attribu�es alors que les cours n'�taient pas donn�s pour raison de gr�ve. Ces "urgences" occultent souvent les enjeux fondamentaux qui tournent autour de l'�cole. A qui sert-elle r�ellement aujourd'hui ? Quelles g�n�rations pr�pare-t-elle ? A priori, tous les indices concordent pour �tablir que tant de d�penses et d'efforts, de sacrifices et de luttes n'ont servi qu'� "occuper" des enfants dans une scolarit� marqu�e par la honte de l'illettrisme. "Les �l�ves �nonnent sans vraiment pouvoir comprendre le sens de ce qu'ils lisent tant l'effort consacr� au seul d�chiffrage est intense", d�plorait Luc Ferry � l'endroit du syst�me �ducatif fran�ais au moment o� il en avait la charge. Nos enfants sont, pour leur part, dans leur �crasante majorit�, exactement dans cette configuration de l'�nonnement. Les p�dagogues vous diront que l'illettrisme est l'expression "clinique" d'une insuffisante appropriation du code �crit due � une approche p�dagogique qui sacrifie le principe d'organisation des mots et de la phrase en unit�s constitutives. Les "nouveaux programmes" en cours d'introduction progressive par paliers de deux ann�es apportent- ils la r�ponse appropri�e au probl�me : enrayer le ph�nom�ne de l'illettrisme � l'�cole ? Les Fran�ais, ont abandonn� toute allusion aux m�thodes globale, mixte et phon�tique (syllabique) dans leurs r�formes de gauche comme de droite, de 2002 et de 2003. Ils leurs ont substitu� des m�thodes int�gratives qui r�habilitent les activit�s d'�criture, l'�tude de phrases complexes et de textes coh�rents, l'acc�s � la litt�rature de jeunesse, la culture �crite, bref, pour apprendre � lire et � �crire � la fois. Il est acquis que notre syst�me est fortement marqu� par les m�thodes syllabiques qui r�duisent l'enseignement de la lecture au seul d�chiffrage. Or, il ne suffit pas aujourd'hui d'apprendre aux �l�ves � d�chiffrer. Parmi la masse des bacheliers qui acc�dent � l'universit�, combien d'entre eux sont d'excellents lecteurs qui acc�dent � une compr�hension fine des textes, sachant lire l'implicite entre les lignes ? Appr�ci� � l'aune des pratiques r�elles, et non plus des seuls manuels, le syst�me national d'enseignement, d'alphab�tisation, allions-nous dire, est la r�sultante des centaines de milliers de choix microscopiques que les enseignants op�rent quotidiennement en classe en fonction du savoir-faire, des connaissances et des habilet�s intellectuelles de chacun. Les difficult�s de lecture sont r�v�latrices de celles de l'ensemble du syst�me �ducatif, ce qui peut s'expliquer scientifiquement par le caract�re insuffisamment �labor� des fondements rationnels sous-jacents. Comme pour ceux des m�thodes de lecture, les contenus des enseignements dispens�s dans le syst�me d'�ducation d�coulent n�cessairement d'une vision rigoureuse et coh�rente de la science et de la soci�t�. Faute d'assumer, l'�cole entend sous-traiter � des familles largement d�pass�es, une part de l'enseignement qui lui incombe. Tout aussi injuste est l'affirmation que les langues, autres que celle de l'ancien colonisateur, sont impropres � v�hiculer les savoirs scientifiques et que leur r�habilitation dans le syst�me �ducatif formel des jeunes Etats comme le n�tre est responsable de la sous�ducation que nous d�plorons. Ce dogme remonte � l'�cole coloniale, con�ue pour former des auxiliaires de l'administration, mais les �lites africaines qui ont pris la rel�ve l'ont, de fa�on souvent inavou�e, pour la plupart repris � leur compte. "Je ne sais pas d'o� vient cette conception selon laquelle l'arabe exprimerait essentiellement une violence terrifiante et incompr�hensible, mais il va de soi que tous ces sc�l�rats en turban des �crans de Hollywood des ann�es 1940 et 1950 parlant � leurs victimes sur un ton hargneux, avec une d�lectation sadique, y sont pour quelque chose. Y a aussi contribu�, plus r�cemment, la fixation des m�dias �tats-uniens sur le terrorisme, qui semble r�sumer tout ce qui concerne les Arabes", �crivait Edward W. Sa�d, professeur de litt�rature compar�e � l'universit� Columbia (Etats- Unis) en ao�t 2004, peu avant son d�c�s. L'ignorance entretient le m�pris et le pr�jug� est plus tenace que l'atome. La modernisation de l'arabe classique moderne ne date pourtant pas d'hier. Loin de l�. Elle remonte aux derni�res d�cennies du XIXe si�cle - la p�riode de la Nahda,ou renaissance. De brillants intellectuels de Syrie, du Liban, de Palestine et d'Egypte, dont un grand nombre de chr�tiens, s'attel�rent collectivement � la transformation de la langue arabe en modifiant et en simplifiant quelque peu la syntaxe de l'original du VIIe si�cle par le biais d'une arabisation (isti'rab) consistant � introduire des mots tels que �train�, �compagnie�, �d�mocratie� ou �socialisme�, inexistants pendant la p�riode classique. Comment ? En puisant dans les ressources immenses de la langue gr�ce au proc�d� grammatical technique d'alqiyas, l'analogie. Ces hommes impos�rent un nouveau vocabulaire, qui repr�sente actuellement environ 60% de la langue classique standard. Ainsi, la Nahda a introduit subrepticement un nouveau s�cularisme dans ce que les Arabes disaient et �crivaient. Edward W. Sa�d, toujours lui, aimait dire : "Je ressemble � quelqu'un qui poss�de une Rolls Royce, mais pr�f�re utiliser une Volkswagen" et ce n'est qu'� la fin de sa vie, avouait-il, qu'il a r�alis� que �la meilleure, la plus �pur�e, la plus tranchante des proses arabes que j'aie jamais lues ou entendues est �crite par des romanciers (et non des critiques) comme Elias Khoury ou Gamal Al-Ghitany. Ou par nos deux plus grands po�tes vivants, Adonis et Mahmoud Darwich : chacun d'eux atteint, dans ses odes, des hauteurs rhapsodiques si �lev�es qu'il entra�ne d'�normes auditoires dans des fr�n�sies de ravissement enthousiaste." "Pour eux, la prose est un instrument aristot�licien aigu comme un rasoir. Leur connaissance du langage est si immense et si naturelle, leurs dons si puissants qu'ils peuvent �tre � la fois �loquents et clairs sans avoir besoin de mots de remplissage, de verbosit� fatigante ou de vain �talage." On ne peut pas si bien dire. Dans le m�me ordre d'id�es, on ne peut �videmment pas incriminer les autres langues, plus r�cemment r�habilit�es dans une cohabitation parfaite avec l'arabe. Des �tudes men�es dans plusieurs pays africains prouvent le contraire du dogme colonial. Leurs conclusions militent cependant pour l'ouverture, car elles tendent toutes � d�montrer que les jeunes recevant un enseignement dans une �cole associant leur langue maternelle au fran�ais ou � l'anglais sont meilleurs �l�ves que leurs camarades soumis � un mod�le monolingue. Command�es par l'Association pour le d�veloppement et l'�ducation en Afrique (ADEA) afin de "convertir les pouvoirs africains � la cause des langues africaines et rompre les cha�nes du mod�le �ducatif colonial", ces �tudes pr�conisent des recherches scientifiques pr�alables sur le contenu et sur la fa�on de les enseigner et de les apprendre le plus facilement possible car �crire un manuel scolaire et enseigner se r�v�lent des t�ches difficiles qui requi�rent une v�ritable sp�cialisation.