Ic�ne des ann�es 1960, Taleb Rabah a longtemps rayonn� sur la chanson kabyle. Il a donn� naissance � un style qui continue encore aujourd'hui d'inspirer bien des chanteurs pour qui il reste une idole. Min� par la maladie, il s'agrippe � la vie qu'il a chant�e avec amour et passion dans sa jeunesse. Rencontr� � Lemsella, le 26 ao�t dernier lors de l'hommage qui a �t� rendu par les artistes � Ferhat Mehenni, il s'est confi� volontiers aux lecteurs de notre journal auxquels il a ouvert son c�ur et son esprit sans la moindre retenue. Le Soir d'Alg�rie : Comment �tes-vous venu � la chanson � un moment o� les pr�occupations des gens �taient ailleurs ? Taleb Rabah : Jeune, j'�tais fascin� par les chouyoukh. A l'�poque il n' y avait pas de chebs. J'�coutais beaucoup El Hasnaoui, Slimane Azem et autres Farid El Atrach qui m'a envo�t� par son luth. Ce sont eux qui m'ont transmis le syndrome de la chanson. Quels �taient vos th�mes pr�f�r�s ? Je ne suis pas un saint (rires). J'ai chant� la vie dans toute sa simplicit� et sa complexit�, avec ses fresques et ses frasques. Il faut dire que j'ai entam� ma carri�re dans un pays, la France, o� la libert� de chanter n'�tait pas un vain mot. Mais le pays �tait en r�volution ? Comment trouver l'inspiration sur des sujets d'ordre sentimental alors que le pays vivait une guerre totale ? Comme tout Alg�rien digne de ce nom, le drame des miens m'a touch� dans mon corps et dans mon �me. Mais je consid�rais que cela aussi faisait partie de la vie. J'ai compos� � ce sujet une chanson tr�s significative Tsrunt walniw (mes yeux pleurent) que l'on chantait en cachette dans les caf�s. Elle symbolisait le drame de mon pays dans toute sa pl�nitude. Il y a eu par la suite Ma thechfem ayi gudhar. Pour le reste l'inspiration me vient dans le calme de la nuit. L'inspiration n'avertit pas quand elle arrive. Il faut donc s'y pr�parer. J'ai toujours de quoi �crire sur ma table de chevet. C'est la nuit qu'on fait son examen de conscience. Cela �tant, la cr�ation rel�ve de la volont� divine. C'est elle qui pousse � la cr�ation et � la composition. Mais pour quel public chantiez-vous alors prioritairement ? J'ai chant� aussi pour mon propre plaisir. Mon premier public ce fut en quelque sorte moi d�abord. L'audience de mes chansons �tait et est grande. Je suis heureux de constater que m�me aujourd'hui mes �uvres qui ont touch� plusieurs g�n�rations continuent � plaire. Cela prouve qu'il y a eu un travail s�rieux � l�origine. Je suis � la fois heureux et �mu que mon travail artistique ait touch� les gens et continue � susciter un int�r�t artistique. Vous n'avez pas v�cu les affres de l'exil ? Je ne suis pas un obs�d� de la r�volte. Je ne me suis jamais senti menac�. J'avais un public vaste parfois parent, parfois enfant. Tout le monde me respectait, autorit� et peuple. Avec du recul vous est-il arriv� de regretter d'avoir chant� ou de n'en avoir pas fait beaucoup ? Si la vie �tait � refaire, je referai exactement la m�me chose. �Non, rien de rien, non je ne regrette rien� (Taleb illustre son propos en reprenant le refrain cher � Edith Piaf, tr�s curieusement comme avait r�pondu exactement la chanteuse Djamila il y a une ann�e dans cette m�me rubrique � une question similaire). Quel regard jette Taleb Rabah sur la chanson kabyle actuelle ? Il ne faut pas jeter l'anath�me sur les jeunes chanteurs, mais les comprendre. Tout comme nous � notre �poque, ils vivent leur temps. Il ne faut ni les ignorer ni les bl�mer. Dans un autre registre, il ne faut pas non plus renier ce qu'ils font. Personnellement, je respecte leur travail. Ils aboutiront certainement � quelque chose. S'il est un reproche � faire, c'est au public. Expliquez-vous ? Le public ne doit pas �tre qu'une caisse de r�sonance ou une chambre d�enregistrement. Il doit stimuler la cr�ation artistique et guider dans ses choix les chanteurs et servir le cas �ch�ant de garde-fou � toute tentative de travestissement de l'art et � toute vell�it� d�errements. En un mot il doit se montrer tr�s exigeant. Les chanteurs actuels vous sollicitent-ils ? Il arrive que des jeunes chanteurs viennent prendre conseil chez moi. Je r�ponds volontiers � leurs questionnements. C'est une preuve qu'ils m'aiment et je le leur rends bien. Taleb Rabah est-il pr�occup� par ce que vit actuellement le pays ? Ce qui se passe dans mon pays ne me laisse pas indiff�rent. Mais �tant apolitique, je me garde de livrer mes r�flexions sur la situation. (Au lieu d'une r�ponse classique, il nous livre une r�ponse po�tique en lisant des vers extraits de l'une de ses chansons collant exactement � r�alit� du pays et o� il invoque les saints pour sauver le pays). Votre chanson f�tiche ifouk ezzith dhilmasvah d�livre-t-elle un message particulier ? C'est une chanson festive r�alis�e en 1959, con�ue en r�alit� � la gloire de l'ind�pendance qui se profilait � l�horizon. Elle avait une double port�e symbolique dans la mesure o� elle exhortait aussi la femme � assumer son r�le avant-gardiste et son ind�pendance. Taleb Rabah a une histoire d'amour avec la guitare ? Oui, j'en jouais par amour. Je regrette cependant une chose : de ne pas avoir appris le solf�ge. II n�y avait pas de conservatoire � l'�poque. J'ai eu la chance cependant de fr�quenter un professeur de musique italien qui m'a appris beaucoup de choses. J'ai �galement eu la chance de fr�quenter le grand Mohamed El Jamoussi. J�ai pu donner naissance � un genre qui est en vogue jusqu'� aujourd�hui. Votre �tat de sant� vous permet-il aujourd'hui de cr�er ? Malheureusement non. Ma m�moire est d�faillante, et de plus je suis diab�tique et je rel�ve d'une d�licate op�ration chirurgicale. Je suis tr�s fatigu�. J'ai d�finitivement rang� mon stylo.