Dans son activit� de soutien m�dical, psychologique et juridique, des femmes et des enfants victimes de violence, le R�seau Wassila a eu � accompagner des victimes de la terrible et sanglante �preuve que l'Alg�rie a travers�e. Nous avons relev�, comme beaucoup d'autres intervenants sur le terrain, un certain nombre de constats, que nul ne peut effacer d'un revers de main, sans risque de nier une deuxi�me fois l'humanit� des victimes et sans risque de compromettre leur r�insertion dans la soci�t�. Des �tres humains ont �t� assassin�s, tortur�s, martyris�s, mutil�s et les femmes ont subi des viols � grande �chelle et des enfants sont n�s de ces viols. Ces derni�res n'ont jusqu'� pr�sent pas le statut de victime. Tous ces �tres ont �t� amput�s de leur part d'humanit� sans que, jusqu'� pr�sent, un criminel ait reconnu publiquement son acte, d�clar� regretter son geste, ni m�me manifest� de la honte face � la souffrance de sa victime, premier stade du sentiment de culpabilit�. Il y a les morts et il y a les survivants. Le premier sentiment qui caract�rise les survivants est la honte. Les observations et les �tudes le montrent journellement, sous tous les cieux. �Les victimes de ces violences ont honte, honte de leur impuissance : impuissance de ne pas avoir pu faire respecter leur corps, leur �tre, leur pens�e.� Les victimes auront �ternellement honte et les sympt�mes sont l� : douleur, sentiment d'�puisement, manque d'int�r�t, cauchemars, angoisses, d�gradation de l'estime de soi, isolement, amputation de tout lien affectif, familial et social, de toute vie �motionnelle, tant que la justice n'a pas rappel� haut et fort l'interdit et la sanction � la transgression de la loi. Les victimes ne pourront retrouver la paix, parce que c'est la leur qui importe d'abord, et ne pourront retrouver un sentiment de dignit�, tant que le crime n'a pas �t� dit, et le criminel identifi� et sanctionn�. Sinon la victime n'a de ressource face � ce d�ni que l'autodestruction, comme le suicide, I'exemple de Salima et d'autres qui sont pass�s � l'acte sont l� pour le prouver, ou la mort sociale par la souffrance, la folie, l'exclusion et la marginalisation. Nous voyons journellement ces rescap�s d�chir�s par les probl�mes sociaux, r�v�lateurs et accompagnateurs de leur d�tresse profonde. Que dire des enfants qui ont �t� t�moins de massacres ? De quels �checs scolaires, de quels handicaps cognitifs, de quelles inhibitions sont-ils marqu�s ? La multiplication des violences sociales sous toutes leurs formes ne sont-elles pas un signe �loquent de cet �tat de confusion des normes ? C'est pour cela que nous devons retourner aux tabous fondateurs de toute soci�t� et de la civilisation, que sont l'interdit de tuer, l'interdit de violer. Enoncer et instituer le postulat que la cons�quence de toute transgression de ces interdits fondamentaux est la sanction, est un acte salvateur pour les victimes, salvateur pour la soci�t� et les g�n�rations futures et m�me pour les criminels. L'�nonciation de ces principes de base est d'autant n�cessaire que la soci�t� a �t� tr�s fortement �branl�e et les pires atrocit�s ont �t� commises. C'est du droit � la r�paration des victimes dont il est question. La justice est charg�e par la soci�t� de d�clarer la victime innocente, de d�signer le bourreau et de prononcer la sanction. La justice participe � la r�paration. Sinon, que disons-nous � la soci�t�, aux victimes, et � cette g�n�ration n�e et grandie dans la violence ? N'y a-t-il pas l� un discours paradoxal qui parle de paix et de pardon, de victimes, mais ni de responsables de crimes, ni de coupables, ni de sanctions ? C'est un discours clair qui doit �merger de ce chaos social moral et mental. Il est important d'imputer chaque acte � chacun de ses auteurs et de qualifier les faits. Pr�senter les agresseurs comme des victimes, c'est nier leur responsabilit� d'�tres humains et �liminer toute possibilit� de r�paration chez les victimes et �galement tout repentir r�el pour les criminels. Bien s�r, le pays a besoin de retrouver la paix, une paix sans risque de r�cidive. D'autres pays ont connu de telles trag�dies. Tirons les le�ons de leur exp�rience. La parole donn�e aux victimes pour dire leur souffrance et aux bourreaux pour dire leurs crimes et demander pardon est un moyen de ramener la paix et l'espoir du partage d'un futur possible. La paix comme l'Etat de droit se construit sur la justice.