Qui a dit que le n�o-lib�ralisme pouvait arr�ter le cours de l'histoire ? Peut-on r�duire le mouvement social et, au-del�, l'arr�ter � la chute de l'Union sovi�tique ? L'Am�rique latine commence � apporter des r�ponses pertinentes � ce genre de questions. Le nouveau pr�sident bolivien, Evo Morales, n'a pas attendu d'�tre investi (il le sera le 22 janvier prochain) pour afficher ses orientations : il �tait � Cuba vendredi dernier pour c�l�brer �la rencontre de deux g�n�rations de lutte pour la dignit�, de deux r�volutions pour la vie et l'humanit� et consid�re les contrats p�troliers en vigueur dans son pays comme �nuls de plein droit�. Le Mouvement vers le socialisme (MAS) qui l'a port� au pouvoir ne dispose certes pas d'une majorit� confortable � 65 d�put�s sur 130 et 13 s�nateurs sur 27 �. Loin de l�. Il a n�anmoins le m�rite d'afficher ses intentions et il ne manquera certainement pas de courage pour les mettre en �uvre. Issu de la direction de nombreux mouvements sociaux et de soul�vements, il a d�j� fait tomber deux pr�sidents en 2003 et en 2005. M. Morales est un Indien aymara, et fier de l'�tre, mais il refuse tout �ethnicisme�, ce qui lui a procur� les faveurs des m�tis, de la classe moyenne et des intellectuels d�s le premier tour du 18 d�cembre, avec 54,1% des voix sur, principalement, une promesse de �nationalisation des hydrocarbures�. Au-del� de cette promesse, il ne s'agit ni plus ni moins que de �refonder le pays�. Certes, la Bolivie est le pays le plus pauvre du continent am�ricain � 74 % de la population, majoritairement indig�ne, y vit en dessous du seuil de pauvret� � et cette donne facilite la remise en cause du �mod�le n�olib�ral� et de l'�Etat colonial� et la mise en �uvre de la r�forme agraire, mais il est �galement question de revalorisation des langues indig�nes, d'autonomie des r�gions et d'�lection d'une Assembl�e constituante, en juin 2006. Une v�ritable �refondation de la Bolivie� qui ne sera pas l'�uvre des partis politiques traditionnels, amis d'une nouvelle dynamique sociale. M. Morales, qui entend faire du gaz la base d'une industrialisation capable d'absorber le ch�mage, rejette les contrats �ill�gaux et anticonstitutionnels� et revendique leur ren�gociation �sans confiscation ni expropriation�. Il vient de d�clarer caducs les 76 contrats sign�s avec les multinationales parce qu'il consid�re que �les affaires doivent �tre trait�es entre les Etats et non entre les compagnies�. �Il n'est pas question d'en finir avec le capitalisme, mais d'utiliser les ressources des hydrocarbures pour aider la petite agriculture et la micro-entreprise�, argumente son vice-pr�sident Alvaro Garcia Linera, un sociologue de renom. En d'autres temps, m�me du temps de la guerre froide et de la confrontation Est-Ouest, des intentions aussi hardies aurait aussit�t suscit� des mouvements de troupes. Il semble, au contraire, que la conjoncture est aujourd'hui favorable pour les nouveaux dirigeants puisque les compagnies p�troli�res multinationales se disent pr�tes � accepter les 50% de royalties r�cemment impos�s par la loi vot�e sous le gouvernement du pr�sident Carlos Mesa contraint � la d�mission en juin dernier. Dans cette bataille, M. Morales dispose d�j� d'un alli� de taille : l'entreprise la plus impliqu�e, l'espagnole Repsol, qui investit d�j� en Bolivie 3% de son portefeuille et compte y r�aliser l'essentiel de ses ambitions de croissance future. Plus qu'une simple courtoisie, son pr�sident-directeur g�n�ral s'est empress� de f�liciter Evo Morales au lendemain de son �lection. Repsol joue un peu en Bolivie celui d�volu � l'am�ricaine Getty Petroleum Company qui, par accord du 19 octobre 1968, consentit � transf�rer � Sonatrach 51% des droits qu'elle poss�dait tant sur la concession de Rourde El Baguel que sur le permis du m�me lieu, facilitant ainsi les nationalisations du 24 f�vrier 1971 qui ont s�v�rement frapp� les int�r�ts p�troliers fran�ais. Sur le plan �conomique, la nouvelle gauche latino n'inspire donc pas de crainte majeure. Selon les experts, il semble peu probable que les nouveaux gouvernements alt�rent la confiance des investisseurs �trangers en accroissant de mani�re d�mesur�e leurs d�penses publiques. �Ils n'y a, soutiennent-ils, aucune raison de penser que ces derniers se comporteront de mani�re irresponsable une fois au pouvoir.� Ainsi, rappellentils, si Lula avait au d�part fait peur aux march�s, en d�finitive il avait �t� plut�t bien accueilli et sa possible r��lection est m�me appr�ci�e par les investisseurs parce qu'il a r�ussi � maintenir les grands �quilibres financiers du pays. Aussi, l'�conomie des pays d'Am�rique latine reste vigoureuse, aid�e en cela par le rench�rissement des mati�res premi�res qui leur permet d'afficher une hausse record de leurs exportations. En cela, ils ne peuvent pas avoir meilleure caution que le pr�sident de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, le faucon du Pentagon, ex-vice ministre de la D�fense de l'int�griste Bush, qui a visit�, du 14 au 20 d�cembre dernier, le Br�sil, pays qu'il d�crit comme un g�ant �conomique et un acteur de premier plan sur la sc�ne internationale. Durant cette visite de six jours, M. Wolfowitz a eu l'occasion de voir de pr�s un aspect essentiel de l'appui fourni par son institution pour aider le Br�sil � lutter contre la pauvret� par le biais du programme Bolsa Familia, fleuron des programmes sociaux mis en �uvre dans ce pays. Le n�o-castrisme inaugur� par Chavez au Venezuela et Morales en Bolivie dispose aujourd'hui de bonnes arri�res au Br�sil, avec le travailliste Luis Lula da Silva, au Chili avec la socialiste Michelle Bachelet (favorite au second tour pr�vu le 15 du mois en cours), et continue � faire tache d'huile un peu partout sur le reste du continent. Outre les richesses naturelles et les programmes sociaux, les nouveaux leaders explorent aussi le contr�le des sph�res id�ologiques du pouvoir. Tous ont compris l'enjeu id�ologique et m�diatique du tournant qu'ils n�gocient dans un rapport de force pour le moins in�galitaire. Hugo Chavez lan�ait dans son discours d'ouverture au douzi�me sommet du G15, le 1er mars 2004 : �La domination n'est jamais aussi parfaite que lorsque les domin�s pensent comme les dominants (�) Les peuples latino-am�ricains ont perdu la conscience de leur r�alit� et de celle des peuples qui les entourent (�) Au Sud, nous sommes les victimes du monopole m�diatique du Nord responsable de la diss�mination dans nos pays et dans les cerveaux de nos concitoyens d'informations, de valeurs et de sch�mas de consommation qui n'ont tout simplement rien � voir avec notre r�alit� et qui repr�sentent aujourd'hui l'instrument de domination le plus puissant et le plus efficace. (�) Pour faire face � cette r�alit� et pour commencer � la transformer, je propose la cr�ation d'une cha�ne de t�l�vision qui serait vue � travers le monde et qui diffuserait des informations et des films en provenance du Sud. Ce serait l� une �tape fondamentale pour renverser le monopole m�diatique.� Hugo Chavez n'est ni un pantin de dictateurs tapis dans l'ombre, ni le tonitruant tropical qui, aux yeux des m�dias occidentaux, ose commettre l'irr�parable : contester les ordres du complexe militaro-industriel de l'imp�rialisme am�ricain. C'est un d�mocrate convaincu qui �largit courageusement la sph�re de l'expression aux m�dias communautaires, sortis de l'ill�galit� en 2000 avant d'�tre dot�s de Vive TV, un support qui leur donne une �surface nationale�. Lanc�e officiellement depuis Caracas le 24 juillet dernier � jour anniversaire de la naissance de Sim�n Bolivar � Telesur (�T�l�sud� en fran�ais) se veut �tre la premi�re cha�ne de t�l�vision au service de l'int�gration latino-am�ricaine et �une alternative � l'h�g�monie communicationnelle d�riv�e de la globalisation�. Si elle avait �t� initialement envisag�e en septembre 2004 entre les chefs d'Etat v�n�zu�lien et br�silien, c'est finalement avec le pr�sident argentin Nestor Kirchner qu'un premier pas a �t� franchi, par la mise en place d'un op�rateur �tatique de t�l�communications (CVG Telecomunicaciones). Le Br�sil est finalement rest� en dehors, pr�f�rant cr�er sa propre t�l�vision internationale, la TV Brasil Internacional, encore en chantier. Telesur a �t� dot�e d'un budget annuel de 2,5 millions de dollars vers�s � hauteur de 51% pour le Venezuela, 20% pour l'Argentine, 19% pour Cuba et 10% pour l'Uruguay. Son slogan, Nuestro norte es el Sur (�Notre Nord, c'est le Sud�), un vers du peintre uruguayen, Joaqu�n Torres-Garc�a : Notre Nord, c'est le Sud Pour aller au nord, nos navires descendent, ils ne montent pas. Telesur �met 24 heures sur 24 (avec une grille de programmes temporaire) depuis le 31 octobre dernier en consacrant 45% de son temps � l'information, pr�sent�e comme un �droit� des citoyens. Celle-ci ne constitue que l'un des �trois piliers� de la cha�ne : �Informer, former et divertir.� Sur le plan �ditorial, les titres des programmes parlent d'eux-m�mes. Andr�s Izarra a d�missionn� de son poste de Ministre de l'information au sein du gouvernement v�n�zu�lien pour prendre la pr�sidence de Telesur Un signal fort qui va dans le sens de l'ind�pendance �ditoriale du projet. Quant � la grille des programmes, le simple intitul� de ses �missions suffit � sentir son parfum. �Nojolivud� est une transcription litt�rale de �No Hollywood� qui abrite des fictions �mancip�es du format hollywoodien� [28]. �Telesurgentes� retrace les luttes populaires et estudiantines, �Maestra Vida� est une s�rie de portraits et biographies de personnages latino-am�ricains, �Subte� propose des chroniques sur la culture urbaine et �Voces en la cabeza� pr�sente les nouvelles tendances musicales. Aujourd'hui, l'utilisation du satellite NSS (New Skies Satellite) 806 ne lui permet de couvrir que les Am�riques, l'Europe occidentale et du Nord ainsi que l'Afrique du Nord. L'Oncle Sam r�alise mieux que tout autre l'enjeu. Pour l'instant, l'existence m�me de Telesur donne des sueurs froides � Washington. Heritage Foundation qui estime que la cible de la cha�ne n'est autre que �l'influence des Etats-Unis dans les Am�riques� a �t� entendue et tr�s bien comprise par la Chambre des repr�sentants des Etats-Unis qui d�bloqua, le 20 juillet dernier, pr�s de 9 millions de dollars pour mettre sur pied sa contre-attaque : l'�mission de programmes t�l�vis�s et radiophoniques en direction du Venezuela. A. B. * Les internautes hispanophones peuvent visiter le site de Telesur en allant sur www.telesurtv.net