La section alg�rienne de Transparency International a raison de sonner l'alarme devant le refus des d�put�s de voter l'article 7 du projet de loi relatif � la pr�vention et � la lutte contre la corruption. Que dit l'article sacrifi� sur l'autel d'une sorte d'omerta qui fait tenir les uns les autres par la barbichette ? Il imposait aux �lus et agents de l'Etat une d�claration de patrimoine aux moments de prise et de fin de fonction de sorte � s'assurer qu'ils ne profitent pas de leur position dans l'appareil d'Etat pour s'enrichir ind�ment. L'article rejet� rel�ve du respect du simple bon sens. C'est pourquoi il est �tonnant � choquant, m�me ! � que nos d�put�s le rejettent Ils votent, ce faisant, pour le contraire de la transparence ou, plus original, pour la transparence dans la corruption. Etonnant ? Oui et non ! Oui, parce que les soidisant �lus du peuple ne prennent m�me pas la peine de se soumettre � la tartufferie de voter puis de passer le relais � d'autres pour mettre la chose sous le boisseau. On sait bien faire �a, chez nous. De ce point de vue, tout va bien, madame la marquise ! L'exp�rience des lois vot�es pour donner le change et qui restent lettre morte est plut�t copieuse. Non, parce que les valeurs morales ont connu un tel avilissement que la corruption, l'enrichissement illicite, le vol ne paraissent m�me plus comme des infractions � des codes moraux ancestraux et � des textes de loi. Ils sont blanchis, par l'usage pervers, en instruments de r�ussite dans une comp�tition vers l'appropriation mat�rielle goulue et l'arrivisme. Que le rejet de cet article par les d�put�s n'ait pas entra�n� une r�probation de la part de l'opinion publique est le sympt�me d'un double mal. Il r�v�le, une fois de plus, la d�saffection des Alg�riens, emp�tr�s dans les mailles de la survie, par rapport � la chose publique que le pouvoir politique s'�chine, depuis toujours, � leur d�rober totalement. Il indique, d'autre part, que la corruption a gangren� l'Alg�rie � un point de banalisation tel que si, demain, un responsable venait � pr�tendre que sa fonction lui donnait droit de vider � son profit le Tr�sor public, la r�action dominante serait moins, je suis pr�t � le parier, de crier au scandale que de s'�tonner que le gourmand ne partage pas. Dans un pays o� la culture de la rapine a �t� instill�e goutte � goutte au point d'anesth�sier le corps social dans ses d�fenses critiques, comment une attitude aussi brutale que celle des d�put�s refusant cet article peut-elle soulever le toll� moral auquel on se serait attendu de la part d'un peuple qui n'a jamais eu d'autre richesse que celle de sa dignit� ? Une simple observation empirique permet, cependant, de noter que les valeurs morales qui constituaient cette richesse immat�rielle des Alg�riens sont d�finitivement dilapid�es. Elles laissent place � la pratique de l'�chine, de la prostitution morale, des manigances, des man�uvres. Il me suffit de surprendre cet habitant d'un quartier populaire �baubi d'apprendre que son voisin, un �lu municipal, ait fini son mandat sans que sa condition mat�rielle se soit am�lior�e d'un iota pour admettre que les d�put�s ne puissent voir ce qu'il y a d'impudique dans leur attitude. Comment, en effet, trouver anormal le refus de contraindre par la loi les �lus et les agents de l'Etat � prouver qu'ils n'ont pas tap� dans la caisse lorsque, d'un point de vue malheureusement tr�s r�pandu, un responsable qui ne vit que de son salaire n'est point consid�r� comme un homme int�gre, au service du bien commun, mais comme un niais qui contredit la formule par laquelle Boumediene avait voulu conc�der qu'une part de corruption �tait in�vitable et difficilement combattable dans une �conomie administr�e : �Comment emp�cher celui qui travaille dans le miel de se l�cher les doigts ?� Le rituel de se �l�cher les doigts� s'est �videmment �tendu depuis que l'�conomie a cess� d'�tre administr�e et que l'Alg�rie est entr�e dans ce que l'universitaire Jean-Marie Valarch�, cit� par Djillali Hadjadj (1), d�crit comme un �m�lange de capitalisme sauvage et d'interventionnisme �tatique�. Ce cocktail nocif est constitu� du cumul des d�fauts du capitalisme et de ceux de l'interventionnisme. C'est la corruption bureaucratis�e, le syst�me mafieux superpos� aux structures de l'Etat. La part tir�e de la corruption est tacitement d�termin�e pour chaque �chelon. Au regard de cette morale-l�, un petit �lu municipal ne peut, sous peine de passer � la trappe, taper plus qu'un �lu � l'�chelon au-dessus. Et le reste � l'avenant. Il n'�chappe � personne, ni � ceux qui en profitent, ni � ceux qui en p�tissent dans le silence et l'absence de r�action, que la corruption touche toute la soci�t� alg�rienne et qu'elle est si profond�ment ancr�e dans les mentalit�s qu'elle ne para�t �anormale� qu'aux yeux de ceux qui, eux-m�mes, ne paraissent pas �normaux�. L'�tendue du mal et la profondeur de la plaie ne doivent pas, pour autant, emp�cher de combattre cette perversion qui transforme des hommes debout en serpilli�res valant le prix d'une serpilli�re. Cette autre v�rit� hygi�nique veut que, m�me si la corruption touche l'ensemble de la soci�t�, un escalier se balaye par le haut. La culture du �l�cher de doigts� conjugu�e � celle de �l'�chine souple� peut donner une certaine lisibilit� � la r�action des d�put�s. Mais il faut la refuser car d�noncer un telle d�sinvolture face au devoir de transparence ne tient pas de la sacralisation de valeurs morales pass�istes, mais bien de la critique de cette conception parasitaire de l'�conomie qui r�duit les richesses naturelles et la force de travail � un g�teau auquel chacun peut pr�tendre dans une proportion calcul�e en fonction de sa place dans la hi�rarchie sociale. Je me suis �trangl�, en entendant l'autre jour, un de ces affairistes � la petite semaine, que la grande corruption a propuls� aux marges imm�diates des classes moyennes nourries des miettes, dire que s'il y a tant de ch�meurs, c'est que les Alg�riens ne sont pas �d�brouillards�. A. M. P. S. d'ici : Il faut rendre justice � l'excellent boulot de Djillali Hadjadj, ramass� dans un livre Corruption et d�mocratie en Alg�rie (La dispute : ce travers continue � travers la presse. L'auteur a �t� parmi les premiers � souligner l'antinomie entre la corruption et la d�mocratie).