Les représentants du FLN et du MSP ont rejeté la disposition du projet de loi obligeant les élus et les cadres de l'Etat à déclarer leur patrimoine au début et au terme de leurs fonctions. L'adoption de l'avant-projet de loi relatif à la prévention et à la lutte contre la corruption a suscité hier, une vive polémique à l'assemblée populaire nationale (APN). L'objet du litige est contenu dans l'article 7 de cet avant-projet de loi à travers lequel des sanctions sont prévues à l'encontre des élus (APN, APC, APW) ou de tout autre fonctionnaire en cas de violation de l'obligation de la déclaration du patrimoine. Cet article stipule en substance que “l'absence de déclaration du patrimoine dans les délais prescrits entraîne une révocation des fonctionnaires ou la déchéance du mandat électoral”. Cette disposition, présentée par le ministre de la justice, garde des Sceaux, Tayeb Bélaïz, en juin dernier, à l'assemblée nationale, n'a pas été en effet du goût des députés du front de libération nationale (FLN) et du Mouvement de la société pour la paix (MSP). Lu et présenté pour adoption par Amar Saïdani, le président de l'APN, qui a eu à présider la séance d'hier, cet article qui a été d'emblée approuvé par les députés du RND, a néanmoins été accueilli avec hésitation par les parlementaires du FLN et du MSP. Voulant éclaircir le contenu de l'article en question, Amar Saïdani a demandé au rapporteur de la commission juridique de le relire. Une fois l'article 7 relu, le président de l'assemblée nationale le soumet une nouvelle fois à l'approbation. Hésitations à l'hémicycle Même attitude d'hésitation et d'incompréhension clairement perceptible sur le visage des députés du parti de Abdelaziz Belkhadem et de Boudjerra Soltani, qui ne savaient visiblement pas quelle attitude adopter. “Alors vous adoptez ou rejetez l'article 7 ? Décidez-vous”, demandera avec insistance Saïdani. “Mais quelle est la version de l'article que vous nous proposez pour adoption, celui présenté par la commission juridique ou alors celui du gouvernement ?” interrogera à haute voix Abdelhak Boumechra, le président du groupe parlementaire du MSP. “Mais la proposition d'amendement, introduite auprès de la commission, n'a pas reçu l'aval de cette dernière”, notera un parlementaire du fond du carré du MSP. “L'article qu'on vous propose pour adoption est celui présenté par le gouvernement”, tranche pour sa part le président de l'APN. Prenant le soin de laisser quelques instants s'écouler pour permettre aux députés de bien réfléchir à leur geste, Saïdani soumettra une nouvelle fois au vote l'article 7. Et l'attitude des députés de la chambre basse du Parlement a été la même, mais sans l'hésitation qui avait prévalu au tout début : c'est-à-dire le rejet de l'article 7 par le FLN et le MSP et son approbation par le RND. Cette attitude a suscité une réaction chez le ministre de la justice qui a demandé à prendre la parole de suite : “j'interviens pour que l'adoption de cet article se fasse sur conviction”, a-t-il précisé avant de lire in extenso l'article 7 tout en expliquant que son contenu est intimement lié à l'article 4 instituant l'obligation de la déclaration du patrimoine, pourtant approuvé par ces mêmes députés. L'article 4 stipule, en effet, qu'“il est institué l'obligation de déclaration du patrimoine envers les agents publics en vue de garantir la transparence de la vie publique et administrative ainsi que la préservation du patrimoine public et la dignité des personnes chargées d'une mission d'intérêt public. L'agent public souscrit la déclaration du patrimoine dans le mois qui suit sa date de nomination ou celle de l'exercice de son mandat électif. En cas de modification substantielle de son patrimoine, l'agent public procède immédiatement au renouvellement de la déclaration initiale. La déclaration de patrimoine est également établie en fin de mandat ou cessation d'activité”. Suite à quoi le président de l'assemblée présente encore une fois l'article en question à l'adoption. Les députés, qui adoptaient cette fois-ci l'article en connaissance de cause, ont eu une attitude similaire, autrement dit son approbation par le RND et son rejet par le FLN et le MSP. Ce qui a provoqué un brouhaha indescriptible au sein de l'hémicycle qui a été, du reste stoppé net par Saïdani, qui a vite fait de présenter l'article suivant pour adoption. Cependant, aussi bien dans les coulisses que dans l'hémicycle, l'attitude des parlementaires de l'alliance présidentielle, qui a voté en rangs dispersés, a suscité bien des questionnements. Si à ce propos, la démarche du RND est d'approuver automatiquement tout ce qui vient du gouvernement étant entendu que le premier responsable de leur parti est également chef du gouvernement, qu'en est-il de la position du FLN et du MSP ? “Les dispositions de l'article 7 sont prises en charge dans les textes en vigueur régissant les différents corps des fonctionnaires et des élus, il est donc incompréhensible qu'il y ait déchéance du mandat de l'élu en même temps que les poursuites judiciaires”, nous explique un député FLN. Un autre parlementaire de ce parti explique qu'“à l'APN, nous faisons au début et à la fin de notre mandat une déclaration obligatoire de notre patrimoine qui est instituée aussi bien par la loi organique que l'APN, le statut du député que la Constitution, alors nous ne comprenons pas cette ingérence de l'administration dans les affaires internes des élus”. Son collègue enchaîne : “pour nous, c'est une menace sur les élus, notamment au niveau local, qui seront à travers cette loi à la merci des chefs de daïra.” tandis qu'un autre député voit dans l'article 7 “une arrière-pensée politique”. “On donne des pouvoirs exorbitants à l'administration pour mettre les élus sous sa botte”, commente-t-il. Sollicité pour une réaction à sa sortie de l'hémicycle, Tayeb Bélaïz s'est contenté de dire que “c'est cela la démocratie, les députés sont libres de voter comme ils l'entendent”. Par ailleurs et hormis le rejet de l'article 7, cet avant-projet de loi a été adopté pratiquement tel que présenté par le département de Bélaïz. Expliquant l'exposé des motifs, le ministre a indiqué que “l'Algérie s'est associée aux efforts de la communauté internationale en vue de mettre en place un instrument international permettant de lutter, de manière efficace, contre la corruption et suivant une approche globale et multidimensionnelle”. Concrètement parlant, le projet de loi prévoit la création d'un organe spécialisé qui aura à mettre en œuvre la stratégie nationale pour faire face à la corruption. Cet organe placé auprès du président de la république dispose de larges prérogatives aussi bien en matière de prévention, à travers ses missions d'orientation et de sensibilisation, qu'en matière de lutte, à travers ses missions d'investigations et de détection. des prérogatives élargies En matière d'incriminations et de peines, le texte de loi en question “ne s'est pas limité à incriminer la corruption stricto sensu, mais il a élargi son champ d'application à toutes les autres infractions qui sont de la même nature que ce soit celles déjà incriminées par le code pénal comme le détournement des deniers publics commis par les agents publics, le trafic d'influence, la corruption dans les marchés publics et la concussion ou encore à de nouvelles infractions prévues par la convention des nations unies contre la corruption”, lit-on dans le projet de loi. Aussi la copie de Bélaïz prévoit des sanctions en cas de fausse déclaration du patrimoine et les opérations occultes tendant à financer les partis politiques. Des protections pénales pour les témoins, les experts, les informateurs et les victimes d'infractions, sont également prévues. Trois autres avant-projets de lois ont été, en outre, adoptés : il s'agit de celui portant sur l'organisation des huissiers de justice et des notaires ainsi que l'avant-projet de loi relatif à l'orientation de la ville. NADIA MELLAL