Hassan Tourabi continue de faire des vagues avec ses fetwas audacieuses concernant la femme. Il a, ce faisant, touch� tous les dignitaires musulmans l� o� �a fait mal. Il sait, le bougre, que des sujets pareils font monter l'adr�naline chez les vieux th�ologiens, en principe r�duits � la portion congrue sur ce terrain-l�. Diable ! C'est qu'il s'attaque � la source et � la vitalit� des fonds de retraite pour vieillards libidineux. Il n'y a, en effet, que la perspective de perdre des avantages comme les ersatz de �Houris� sur terre qui peut les faire se lever comme un seul homme. Enfin, comme un seul homme qui peut encore se mettre debout. Bref, ne tombons pas dans le trivial. Pour faire court, disons que Hassan Tourabi n'aurait pas d�rang� autant s'il avait d�livr� des fetwas sur le sexe des anges ou le mariage d'un djinn musulman avec une mortelle loubavitch. C'est donc la temp�te dans les Sarl musulmanes mais une temp�te dans un sablier ferm�. En l'occurrence, ce sablier-l� est herm�tiquement obtur� dans sa partie �trangl�e pour emp�cher le temps de s'�couler. Nous sommes donc dans le cas d'une soci�t� qui n'est m�me pas autoris�e � se rendre dans l'autre partie du sablier. Celui-ci a, d'ailleurs, �t� retourn� par pr�caution et toute l'agitation est confin�e dans sa partie inf�rieure. Une temp�te dans un verre d'eau chaude (avec tendance � l'�bullition) recouvert par une dalle en b�ton. C'est une situation caract�ristique de la vacance de l'intelligence et de l'esprit critique, pri�s d'aller voir ailleurs sous peine de tribunaux d'exception. De ce point de vue, notre ami Djamel Al-Bana ne verse pas dans l'exc�s avec cette formule : �Les peuples musulmans ont donn� cong� � leurs cerveaux depuis mille ans.� En lan�ant sa salve de fetwas (1), il y a une dizaine de jours, Hassan Tourabi savait tr�s bien qu'il n'�branlerait pas le mur des certitudes qui entoure les peuples de l'Islam. Il a juste redonn� vie au malentendu en donnant � croire qu'il y a un d�bat d'id�es � l'int�rieur de notre �Guantanamo� spirituel et culturel. Il refait, � son d�triment peut-�tre, l'unit� d'un monde unifi� sous la banni�re de l'intol�rance religieuse et domin� par des clercs qui agissent comme tels mais refusent d'endosser l'uniforme. En fait, il y a d�bat mais les seules id�es tournent quasi exclusivement autour de cette question : �Comment ch�tier le coupable, c'est-�-dire Tourabi?�. Les r�actions dans les m�dias aux propos du dirigeant soudanais refl�tent assez bien cette r�alit�. Hormis quelques rares approbations, la condamnation est quasi unanime comme en t�moigne le dossier consacr� au sujet par Al- Khabar Hebdo. En posant la question de savoir si Tourabi �tait �un r�novateur ou un h�r�tique�, notre confr�re entendait sans doute obtenir des avis alg�riens partag�s. Les quatre avis �autoris�s� vont tous dans le m�me sens m�me s'ils diff�rent par la s�v�rit� du discours. Mohamed Cherif Gaher, pr�sident du comit� de la fetwa au Haut- Conseil islamique (HCI), est, comme � son habitude, sans nuances. Il affirme que tous les dignitaires du monde musulman doivent prendre leurs responsabilit�s. Ils doivent inciter Tourabi � revenir dans le droit chemin, sinon ils s'exposent, lui et ses semblables, �aux mesures qu'impose la religion afin de prot�ger l'Islam de la d�viation�. Car, ajoute-t-il, les musulmans ne peuvent se taire devant ces fetwas qui frappent l'Islam au c�ur�. Avec plus de doigt�, le pr�sident du m�me Haut-Conseil botte en touche. Sur la question du droit de la femme � diriger la pri�re et l'Etat, Cheikh Bouamrane refuse de se prononcer. �Il appartient � l'ensemble des th�ologiens musulmans de r�fl�chir (ijtihad) au probl�me et de le trancher�, dit-il. Encore faudrait- il, cher Monsieur, que les portes de l'ijtihad soient � nouveau ouvertes. Ce qui est loin d'�tre le cas. M�me r�ponse de Cheikh Bouamrane en ce qui concerne le hidjab, source de divergence d'interpr�tations. Il renvoie le d�bat sine die. Quant au retour du Messie (2) que Tourabi estime improbable, �il appartient d'abord aux chr�tiens d'en d�battre et nous ne devons pas trop nous y attarder�. Prudence, prudence ! On retiendra tout de m�me la position m�diane de Cheikh Abderrahmane Chibane, pr�sident des Ul�mas alg�riens. Lui, au moins, sait ce qu'est une temp�te dans un verre d'eau chaude et il sait encore que la voie du milieu est la plus appropri�e sur les autoroutes de la foi. Hassan Tourabi �a pratiqu� l'ijtihad et il s'est tromp� mais nous ne disons pas qu'il est h�r�tique et nous refusons de jeter la suspicion sur sa foi et sur ses orientations�, dit-il. Plusieurs articles accompagnent ces r�actions dont l'un a particuli�rement attir� mon attention. Il ressemble �trangement, par le titre et par le contenu (3), � un texte publi� en 2003 sur le site �Islam on line�(http://www.islamonline.net /arabic/famous/2003/06/article 03.shtml). On y apprend que le Soudanais le plus controvers� �est l'un des meilleurs penseurs islamistes au monde et, en m�me temps, le pire des hommes politiques�. Hors des usines � fetwas, en phase de surproduction et dont les cours grimpent aussi vite que le prix du p�trole, des hommes continuent de r�fl�chir et de proposer. C'est le cas de l'Egyptien Mohamed Sobhi Mansour, th�ologien d�fenestr� de l'universit� Al-Azhar, qui vit aujourd'hui au Canada (4). S'appuyant sur une argumentation solide, il affirme dans un premier article publi� jeudi dernier par le magazine Elaph que la repr�sentation des proph�tes dans une pi�ce ou un film n'est pas interdite. A la question �la repr�sentation du Proph�te dans une �uvre dramatique est-elle �haram�? Il r�pond non et il explique : �La r�gle dans la Charia islamique est la permissivit� (Ibaha) et l'interdiction (haram) est l'exception. Le Coran �num�re dans le d�tail ce qui est licite et ce qui est illicite et tout ce qui n'est pas explicitement interdit est donc permis. La repr�sentation physique des proph�tes n'est pas stipul�e comme haram dans le Coran. Elle n'est donc pas interdite.� Mohamed Sobhi Mansour relance un tr�s vieux d�bat et r�gle, en m�me temps, un vieux compte avec l'universit� cairote qui l'a exclu. Il rappelle, en pr�ambule � sa r�flexion, la position de ses ex-confr�res au sujet du film de Mustapha Al- Akkad, Errissala ( Le Message). Le regrett� cin�aste syrien avait pris soin de choisir Hamza, l'oncle du Proph�te, comme personnage central de son film. Malgr� ce choix, les cheikhs d'Al-Azhar continuent, en effet, d'interdire la projection du Message en Egypte, affirme cet �azhari� remerci� pour la hardiesse de ses id�es. Ce qui pouvait lui arriver de mieux. A. H. (1) Des amis m'ont fait remarquer que j'avais omis de mentionner la fetwa sur la consommation de vins et spiritueux. J'ai imagin� la r�action de mes d�tracteurs qui aurait �t� sans doute la suivante : �Bien s�r, il n'a pas rat� l'occasion. La fetwa sur l'alcool arrange les fans de Bacchus comme lui.� (2) L� encore, je m'accuse d'autocensure mais, par les temps qui courent, parler du Messie fait partie des sujets qui f�chent. Je ne voudrais pas me risquer � mettre en p�ril la concorde nationale. (3) Comme j'ai une frilosit� tr�s marqu�e vis-�-vis des copistes et des plagiaires, je me suis pos� des questions. Il appartient � mes estim�s confr�res de l'hebdomadaire en question d'en juger. (4) Ailleurs, il aurait �t� trait� comme Tourabi. Mais comme il n'a pas une arm�e de militants pr�ts � se battre pour lui, comme le dirigeant soudanais, il a opt� pour la s�curit� d'un pays d�mocratique et accueillant.