Roger Assaf est un dramaturge et auteur libanais. Rencontr� en marge du Festival national du th��tre professionnel, qui s�est d�roul� du 25 mai au 2 juin, il a eu l�amabilit� de nous accorder l�entretien qui suit. Le Soir d�Alg�rie : Roger Assaf, c�est la deuxi�me fois que vous vous rendez en Alg�rie. La premi�re �tait en 1972. Mais votre rencontre avec l�Alg�rie vos l�avez faite par l�interm�diaire de Kateb Yacine. Quelle �tait la relation que vous entretenez avec ce dramaturge et �crivain ? Roger Assaf : La rencontre de Kateb est l�une des plus marquantes que je n�ai jamais faite. Je ne l�ai pas rencontr� en Alg�rie mais � Beyrouth. C��tait un Kateb Yacine de la premi�re �poque avant sa transformation. Il est vrai qu�il s�exprimait en fran�ais, n�anmoins il �tait aussi profond�ment attach� � son pays. C�est justement cette fibre nationaliste et patriotique qui me fascine en lui. Quand je l�ai rencontr�, c��tait un Kateb Yacine qui avait compl�tement renouvel� le th��tre de fond en comble. Cela en renouvelant le rapport de cet art avec la r�alit� historique et populaire de son pays. Il avait trouv� un langage th��tral tr�s nouveau, tr�s vrai qui d�ailleurs rejoignait toutes les pr�occupations du th��tre arabe � l��poque. C��tait � la fois un th��tre populaire et politique. Il recourait � cet effet � un langage qui permet aux peuples arabes de se reconna�tre. Votre carri�re th��trale est tr�s riche en exp�rience, n�anmoins votre nom est �troitement li� � un genre assez particulier, � savoir le Hakawati, peut-on en savoir un peu plus ? En effet, j�ai eu beaucoup d�exp�riences diff�rentes. Bien s�r le th��tre Hakawati a �norm�ment marqu� mon propre parcours comme il a d�ailleurs marqu� l�histoire du th��tre arabe dans les ann�es 1980. C��tait une �poque assez particuli�re en ce sens que le Liban �tait en pleine guerre. C��tait l��poque o� il y avait une vitalit�, une �nergie. C��tait facile de r�unir les gens autour d�une m�me cause, autour de m�mes id�es et id�ologies, de lib�ration, de d�mocratie, de l�identit� arabe� C��tait assez facile de trouver son camp et de r�unir les gens en l�espace d�une soir�e autour d�un conteur qui raconte une histoire dans laquelle les gens se reconnaissent. C�est en fait �a le Hakawati. En fin de compte, il s�agit de d�velopper la technique du conteur traditionnel mais en la th��tralisant, en la transformant en th��tre. Raconter des histoires tir�es de la m�moire populaire avec des formes qui font appel � la po�sie populaire, � la chanson, au spectacle tr�s simple et surtout � la transformation du lieu physique en lieu imaginaire, c'est-�-dire sans avoir de d�cor, sans technique sc�nographique artificielle. Utiliser les �l�ments du lieu : les tables, les �chelles, les bouts de bois, les �toffes qui se trouvent l� et de les transformer par la magie du jeu, comme le faisait le conteur lorsqu�il racontait une histoire. En un mot, le Hakawati consiste en l��vocation des sc�nes, des personnages, de toute sorte d�ambiances avec les moyens populaires qu�on retrouve dans l�entourage imm�diat. Le Hakawati est caract�ris� par le personnage du gawal. En arabe, ce concept signifie aussi bien le conteur (gawal en arabe, celui qui conte) qu�un troubadour. Dans le Hakawati, quel est le sens vis� ? Il ne s�agit pas de troubadour, mais de conteur. Celui-ci doit appartenir � sa propre communaut� pour ouvrir droit � exercer le m�tier de conteur. Il y a des occasions particuli�res pour se retrouver autour du hakawati. Je cite par exemple le mois sacr� de Ramadhan. Le conteur traditionnel racontait des histoires que tout le monde connaissait. C'est-�-dire les histoires des Beni Hillal, de Antar et Abla� Nous ce n�est pas � ce niveau que nous nous placions, nous utilisions la technique du conteur qui consiste en deux choses : raconter des histoires que les gens connaissent et dans lesquelles ils se reconnaissent mais sans l�illusionnisme occidental, il raconte et puis il joue. Il devient les personnages qu�il raconte. En plus, pour nous, ce n�est pas un conteur mais une troupe de conteurs. Ce ne sont pas des histoires des si�cles anciens mais des histoires que les gens connaissent, qu�ils avaient v�cues ou que leurs parents ou grands-parents leurs racontent. C'est-�-dire des histoires qui remontent � l��poque de la guerre 14-18, de la r�sistance contre l�occupant fran�ais, la guerre de Palestine. Ce n��tait pas l�histoire avec un grand �H� mais ces petites histoires de la vie quotidienne des villageois. Justement, au vu de toutes ces caract�ristiques, peut-on cr�er, recr�er un espace sc�nographique propre au th��tre Hakawati ? Bien s�r, mais c�est un espace un peu particulier. Pour cela, il en faut trois conditions. Premi�rement : la s�paration sc�ne/salle n�existe pas. Souvent dans nos spectacles, les com�diens sont m�l�s au public � un certain moment du spectacle, notamment dans l�introduction et � la fin. Les acteurs font partie du public. Ils lui sont une excroissance. Deuxi�mement, cette s�paration n�est pas sc�nographique mais dramaturgique, l�acteur ne s�identifie pas au personnage. Bien s�r �a c�est une id�e que Brecht a pu d�velopper mais Brecht la prise du conteur asiatique. Le com�dien n�est pas le personnage ni ne s�identifie � lui, il le montre, il le joue. Et c�est pour �a d�ailleurs que dans un spectacle Hakawati le com�dien n�a pas qu�un seul personnage � jouer, mais plusieurs. Le m�me personnage peut �tre jou� par plusieurs com�diens. Il peut, par-dessus le march�, �tre une collectivit�. Il peut � lui seul repr�senter un village, une arm�e. C�est en fait l�imaginaire populaire qui est mis en branle. Un homme peut jouer le r�le d�une femme sans probl�me. Mais ce n�est pas une caricature de femme. Dans les pi�ces traditionnelles, un homme joue un r�le d�une femme, il la caricature. Mais il devient un type mani�r�, ridicule et �a fait rire les gens. Alors que dans le th��tre Hakawati un homme peut jouer ce r�le sans pour autant avoir le besoin de se d�guiser. C�est naturel chez le conteur de jouer le r�le de n�importe quel personnage. La troisi�me condition, c�est qu�il n�y a pas de d�cor au sens classique du terme, c'est-�-dire l�enveloppe d�corative qui situe dans le temps et l�espace. Ce sont les accessoires utilis�s par les com�diens qui se transforment entre leurs mains.