Par Mme Benabbou Kirane Fatiha, docteur d�Etat en droit, enseignante � la facult� de droit d�Alger 1�re partie M�me si la prudence est de mise pour un avant-projet de r�vision constitutionnelle (alors qu�il est encore � l��tat embryonnaire), il reste possible, toutefois, de faire quelques remarques d�ordre g�n�ral sur les propositions du FLN, en partant de l�interrogation suivante : Quelques modifications constitutionnelles, � apporter � la Constitution de 1996, seront-elles susceptibles de changer la nature du r�gime politique alg�rien ? Il suffirait alors d��liminer les �scories parlementaires� (bic�phalisme de l�ex�cutif - responsabilit� politique du gouvernement), pour �purer l�actuelle Constitution et s�orienter inexorablement vers le r�gime pr�sidentiel. Telle est du moins l�approche myope de certains constitutionnalistes, pour qui revendiquer le r�gime des Etats-Unis reste un �talon d�orthodoxie, une norme de r�f�rence qui conf�re une relative honorabilit�. Or, aucun sp�cialiste n�est dupe. Par cons�quent, pour �viter pareille vision �triqu�e et entreprendre une analyse s�rieuse, il convient n�cessairement de ne pas faire une lecture isol�e de ces amendements et de les r�int�grer dans la logique institutionnelle d�ensemble du syst�me alg�rien. Et l�, deux niveaux d��tude s�imposent : - Tout d�abord, ces propositions doivent se lire par rapport au texte m�me de la Constitution. Beaucoup de zones d�ombre et surtout des points importants ont �t� les grands absents de cette r�vision, en l�occurrence, les �quilibres n�cessaires � articuler entre les diff�rents pouvoirs. Et le plus �pineux reste, sans conteste, l��quilibre entre les trois pouvoirs (ex�cutif, l�gislatif et judiciaire). Mais d�ores et d�j�, ce premier niveau de lecture nous fait annoncer la couleur : � cet �gard, il s�en d�duit que l�ing�nierie constitutionnelle propice au r�gime pr�sidentiel n�est pas achev�e. - Par ailleurs, le texte constitutionnel, en lui-m�me, n�est pas l��l�ment d�terminant pour nous �clairer sur la nature d�un r�gime politique. Il faudrait interroger la philosophie politique sous-jacente v�hicul�e par le texte, et parfois, d�passer la fa�ade constitutionnelle, pour voir se profiler les r�alit�s du pouvoir. Si la Constitution n�est que la partie visible de l�iceberg, il faut en conna�tre la partie immerg�e. Aussi, est-il souhaitable d�int�grer d�autres �l�ments, qui ne sont pas proprement constitutionnels mais politiques et sociaux, qui ont des cons�quences certaines sur le fonctionnement r�el du pouvoir. Et l�, plusieurs facteurs entrent en jeu : - le r�le et la place de l�arm�e en tant qu�instance d�arbitrage des conflits politiques ; - l��miettement du champ politique fractionn� en une multitude de partis politiques, souvent, sans r�elle base sociale ; - la culture politique, la religion, l�histoire propre � l�Alg�rie, qui tendent vers le culte de la personne. Derechef, il convient d�insister : tels qu�ils sont pr�sents � l�heure actuelle, ces �l�ments ne militent gu�re en faveur d�une orientation vers le r�gime pr�sidentiel. D�s lors, l�ampleur des bouleversements qu�impliquerait ce r�gime, serait consid�rable. Champ d��tude trop vaste qui sollicite le syst�me politique et ne peut �tre entrepris � ce niveau. Aussi allons-nous l��vacuer de notre propos. Pour revenir � notre objet d��tude, il convient d�observer que si la recomposition de l�ex�cutif est prise en charge par ce projet de r�vision (� un ex�cutif aujourd�hui dualiste succ�derait un ex�cutif monoc�phale), elle n�est cependant pas une condition suffisante pour orienter la Constitution vers un r�gime pr�sidentiel. En revanche, le fondement m�me de ce r�gime pr�sidentiel n�est pas r�alis� : l��quilibre attendu dans les rapports entre les diff�rents pouvoirs n�est pas encore � l�ordre du jour de cette r�vision. Ses artisans ont, sans doute, oubli�, qu�en r�gime pr�sidentiel, face � un ex�cutif puissant, le Parlement et le pouvoir judiciaire sont, non seulement, ind�pendants mais dot�s de v�ritables pouvoirs. I - La recomposition de l�ex�cutif n�est pas un crit�re suffisant du r�gime pr�sidentiel D�embl�e, il faut souligner que la recomposition de l�ex�cutif, telle que pr�sent�e dans ce projet n�est pas un �v�nement insolite dans le paysage constitutionnel alg�rien. Bien au contraire, il fait partie des dispositions quasiment constantes de l�ordre constitutionnel alg�rien et ce, dans ses deux aspects : - le premier qui concerne le mandat pr�sidentiel ; - le second qui concerne la fonction gouvernementale. 1� - Un vice-pr�sident : pour quoi faire ? Aux USA, le vice-pr�sident �lu en m�me temps que le Pr�sident, est choisi par ce dernier pour sa capacit� � lui rallier le plus grand nombre de voix. Certes, dauphin du r�gime o� il est appel� � succ�der au Pr�sident en cas de destitution, de mort ou de d�mission, afin d�achever son mandat dans la s�r�nit�. Toutefois, il est aussi l�homme oubli� du r�gime dont les fonctions constitutionnelles rel�vent du symbolique. A cet �gard, il n�exerce que la pr�sidence d�honneur du S�nat o� il n�intervient, en g�n�ral que pour d�partager les voix. Alors, en Alg�rie, un vice-pr�sident pour quoi faire ? D�j� pr�vue par l�article 112 de la Constitution de 1976 (1) pour seconder et assister le Pr�sident de la R�publique dans sa charge, l�institution d�une vice-pr�sidence �tait toutefois, grev�e d�une double tare : � d�abord, elle demeurait une simple facult� entre les mains du Pr�sident qui pouvait, � sa guise, s�adjoindre un ou plusieurs vice-pr�sidents mais qui s�est finalement abstenu. De surcro�t, simplement nomm�, le vice-pr�sident ne disposait d�aucune l�gitimit� �lective en mesure de faire ombrage au Pr�sident. � par ailleurs, ses fonctions s�inscrivent dans un strict rapport de d�l�gation via l�article 111 point 15 de la Constitution de 1976, au surplus, r�duites � leur portion congrue par l�effet de l�article 116 qui r�tr�cit consid�rablement les mati�res d�l�gables. D�s lors, simple d�l�gatoire, il est insusceptible de concurrencer le Pr�sident. D�s lors, quoique confin�e dans son statut, l�institution d�une vice-pr�sidence ne verra pas le jour tant �tait grande la hantise de voir cette autorit� s�instituer en centre de pouvoir autonome. C�est que, habile et fin connaisseur du syst�me politique alg�rien, le d�funt Pr�sident Boumedi�ne savait pertinemment, que les turbulences et les crises �taient in�vitables d�s qu�une forme ou une autre de polycentrisme apparaissait. Alors, quel int�r�t peut pr�senter l�institution d�une vice-pr�sidence ? � Est-ce pour r�gler le probl�me de la vacance pr�sidentielle en �vitant d�organiser des �lections pr�sidentielles en p�riode trouble ? � ou est-ce, plut�t, pour apaiser les craintes n�es du probl�me toujours p�nible et d�licat de la succession pr�sidentielle (�viter les surprises de l�int�rim, de m�me que les tensions raviv�es par les convoitises et les app�tits du pouvoir ) ? C�est que l�int�rim, marque d�une institutionnalisation inachev�e, s�est r�v�l� le talon d�achile de la l�gitimit� constitutionnelle en Alg�rie : � N�a-t-on pas vu, en 1979, apr�s le d�c�s brutal du Pr�sident Boumedi�ne, un Conseil de la R�volution, resurgir de sa l�thargie pour assurer, gr�ce � la l�gitimit� historicor�volutionnaire, la continuit� constitutionnelle ? � De m�me, en 1992 et dans un cafouillage juridique extraordinaire, n�a-t-on pas cr�� une institution en marge de la Constitution, le Haut Comit� d�Etat, pour assurer le relais ? � Enfin, en 1997, par-del� le texte constitutionnel, le Pr�sident L. Zeroual sera contraint d�assurer lui-m�me son propre int�rim. 2� - La r��ligibilit� illimit�e : une quasi-constante constitutionnelle D�embl�e, pr�cisons qu�en ce qui concerne le mandat pr�sidentiel, l�essentiel a �t� r�alis� � l�ind�pendance, puisque depuis et de mani�re constante, le constituant alg�rien a adopt� le principe de l��lection du pr�sident de la R�publique au suffrage universel. En revanche, l�amendement propos� par le FLN concerne l�abrogation de l�article 74 alin�a 2 de la Constitution de 1996 lequel dispose : �Le pr�sident de la R�publique est r��ligible une seule fois.� Cette disposition ins�r�e pour la premi�re fois dans la Constitution de 1996 tend � introduire le principe de non-r��ligibilit� d�finitive apr�s deux mandats et constitue, sans aucun doute, un effort pour limiter le pouvoir pr�sidentiel dans le temps. Or, abroger cet alin�a 2 entra�nerait, par cons�quent, une r��ligibilit� pr�sidentielle illimit�e. Ce point a suscit� l��moi de la presse nationale �crite et m�me la raillerie de certains journaux t�l�vis�s, � l�exemple d�El Djazira qui n�a pas h�sit� � parler de pr�sidence � vie, faisant allusion au voisin tunisien. Faut-il rappeler, � ce propos, que l�ali�na 2 de cet article 74 fait figure d�exception dans le cours de l�histoire des Constitutions alg�riennes. A cet �gard, l�article 39 de la Constitution de 1963 omet volontairement de limiter le nombre de mandats pr�sidentiels. Ce qui signifie une r��lection ind�finie au nom du principe que tout ce qui n�est pas express�ment interdit est permis. Ce qui ne veut surtout pas dire que la question n�a pas �t� abord�e puisque, pr�cis�ment, un amendement propos� par des membres de l�Assembl�e constituante alg�rienne, interdisant plus de deux mandats pr�sidentiels successifs, a �t� rejet� (1). De m�me, l�article 108 alin�a 2 de la Constitution de 1976 consacre express�ment la r��ligibilit� sans limite du pr�sident de la R�publique. Enfin, la Constitution de 1989 dans son article 71 ali�na 2 reconduit cette illimitation des mandats pr�sidentiels. D�s lors, la question qui se pose est : pourquoi tant d��moi ? C�est qu�en th�orie, cette r��ligibilit� pr�sidentielle ind�finie, appel�e, par ailleurs, �continuisme� sera plut�t li�e � la nature du r�gime pr�sidentialiste. Et c�est, sans nul doute, dans le continent nord et sud am�ricain qu�il convient d�en rechercher les explications th�oriques. Sur ce point pr�cis, George Washington, premier pr�sident des Etats-Unis, a cr�� un pr�c�dent en d�cidant volontairement de ne pas se repr�senter pour un troisi�me mandat. Cette pratique, favoris�e par le bipartisme am�ricain qui pousse � l�alternance, fut scrupuleusement respect�e au point qu�elle a acquis valeur de coutume, si ce n��tait l�incident cr�� par le pr�sident Franklin D. Roosevelt, qui a sollicit� un troisi�me mandat, puis un quatri�me. Ce dernier, rappelons-le, se trouvait dans une situation exceptionnelle puisque charg� d�appliquer le New Deal pour remettre sur pied l'�conomie am�ricaine. R�agissant imm�diatement � cet �v�nement, le Congr�s inscrit le XXIIe amendement � la Constitution f�d�rale qui interdit au pr�sident de briguer plus de deux mandats. Par ailleurs, au niveau des r�publiques latino-am�ricaines, r�put�es zones de turbulences propices aux secousses institutionnelles, une position ferme a �t� prise sur ce point depuis longtemps. Non seulement des dispositions ins�r�es dans les Constitutions interdisent la r��ligibilit� illimit�e, mais un trait� international (3) a vivement critiqu� le continuisme, mettant ainsi le droit international � contribution pour faire pression sur un pr�sident r�calcitrant qui outrepasserait l�interdiction par un coup d�Etat. Ainsi, pour l��lite latino-am�ricaine r�publicaine le combat qu�elle m�ne contre le continuisme sera consid�r� comme un combat pour la d�mocratie ; eu �gard au fait que le pouvoir ainsi bloqu� est consid�r� tout aussi choquant que dangereux. C�est que, bien souvent, le pr�sidentialisme conduit � l�appropriation du pouvoir par un homme et son clan. D�abord caract�re choquant pour une �lite qui estime qu�une fois �lu, le Pr�sident mettra tous les moyens de son c�t� pour se faire r��lire et restera � son poste aussi longtemps qu�il est en vie, ou tant qu�il n�est pas renvers� par un coup d�Etat. Disposant alors d�une charge p�renne, il devient titulaire et non plus d�positaire d�un mandat. Et le chef choque, non pas parce qu�il est le Pr�sident tout puissant, mais parce qu�il peut devenir le chef qui confisque le pouvoir et ferme le jeu politique. Par ailleurs, caract�re dangereux dans tous les cas de figure o� le pr�sident devient incontr�lable : � d�une part, l�arm�e ne pourra faire l��conomie d�un coup d�Etat, et seul le pronunciamento pourra r�gler le diff�rend. � d�autre part, la seule issue possible pour des groupes extr�mistes de tous bords, sera le tyrannicide. 3� - L�ex�cutif monoc�phale : un retour vers une logique orthodoxe La recomposition de l�ex�cutif qui redevient monoc�phale (4) avec cette proposition de r�vision, renoue avec la logique profonde et inh�rente au syst�me politique alg�rien. En r�alit�, celle qui a toujours pr�valu depuis l�ind�pendance et qui a connu le parach�vement de son orthodoxie dans la Constitution m�re de 1976. Un bref rappel historique s�av�re n�cessaire : d�s la Constitution de 1963, le monoc�phalisme au profit du pr�sident de la R�publique s�amor�ait (articles 39 et 48). Mais c�est certainement la Constitution de 1976 qui est la plus orthodoxe par rapport � sa conception du pouvoir, concentr� entre les mains du pr�sident de la R�publique et qui trouve sa cons�cration dans l�absence de m�canismes juridiques de mise en jeu de la responsabilit� politique du pr�sident-gouvernant (en m�me temps chef du gouvernement). Quant aux ministres, ils ressortissent de la conception am�ricaine : �simples conseillers� ; ils ne sont responsables qu�individuellement et envers le seul chef de l�Etat (article 115). Le Premier ministre, simple coordonnateur, s�instituonnalise � la faveur de la r�vision constitutionnelle du 7 juillet 1979 ; tandis que dans la Constitution de 1976, le pr�sident �tait libre d�user de sa facult� de s�adjoindre des vice-pr�sidents (article 112) ou un Premier ministre (article 113). Rappelons que ces autorit�s �taient con�ues comme de simples d�l�gataires insusceptibles de concurrencer le pr�sident conform�ment aux articles 111 point 15 et 116 de la Constitution. Cependant, la mort du pr�sident Boumedi�ne allait lourdement �branler la forteresse que constituait le pouvoir pr�sidentiel. Les enjeux politiques sous-jacents � la loi constitutionnelle du 7 juillet 1979 en portent les stigmates : en filigrane apparaissaient d�j� les vell�it�s de d�membrement de la citadelle pr�sidentielle avec l�obligation faite de d�signer un Premier ministre. Accentuant ce d�membrement, la Constitution de 1989 introduit un bic�phalisme formel qui entretient moult �quivoques. Appel�e comme th�rapeutique � une grave crise, qui minait le centre n�vralgique du pouvoir (et ce, depuis le d�c�s du pr�sident Boumedi�ne), la Constitution de 1989 porte en son sein, par ses contradictions, les germes des convulsions qui secoueront l�Alg�rie. Faut-il rappeler que la Constitution de 1996, en reconduisant les logiques contradictoires propres � sa devanci�re, va reproduire, ind�finiment les �l�ments de la crise. Bien que nous les ayons trait�s en d�tails dans une �tude ant�rieure (5), il s�av�re, n�anmoins n�cessaire de retracer bri�vement, ces logiques contradictoires qui font du bic�phalisme formel de la Constitution de 1996 un �l�ment de reproduction de la crise. Mais pour bien comprendre, il faut revenir aux intentions des principaux artisans de la Constitution de 1989 : et l� il faudrait y d�celer deux mobiles : - celui avou� : les artisans du changement appel�s �r�formateurs� feront miroiter au pr�sident Chadli que l�institution d�un dualisme de l�ex�cutif allait prot�ger la fonction pr�sidentielle de l�usure du pouvoir. La fable du fusible qui saute, sacrifi� sto�quement pour �pargner � son chef l�impopularit� de sa politique, s�duisait l�ancien pr�sident qui ne comprenait pas encore (6), qu�� la longue, il lui fallait c�der le pouvoir. - le mobile inavou� : l�intention des constituants de 1989 �tait de changer le mode de l�gitimation et d�acc�s au pouvoir ; s�explique alors la substitution progressive du multipartisme au monopartisme du FLN ; de m�me que les substitutions de la l�gitimit� �lective � la l�gitimit� historico-r�volutionnaire. Par cons�quent, allait s�installer subrepticement une logique parlementaire qui devait donner progressivement naissance � une structure parlementaire ordonn�e principalement autour d�un chef de gouvernement et d�une majorit� parlementaire (les deux tirant leur l�gitimit� de l��lection populaire). Difficile, d�s lors, de remettre en cause le choix du peuple ! B. K. F. (1) C. F. Fran�ois Borella �La Constitution alg�rienne. Un r�gime constitutionnel de gouvernement par le parti�, article in Revue alg�rienne des sciences juridiques, �conomiques et politiques n�1 janvier 1964-Page 73 note 50. (2) En France, la non-r��ligibilit� du pr�sident de la R�publique poussa Louis- Napol�on au coup d�Etat en 1851. (3) Trait� sign� en 1923 par cinq Etats d�Am�rique centrale, pris sous l�influence de l�ancien ministre de l�Equateur, Tobar. (4) Ce qui signifie que le chef de l�Etat est en m�me temps chef du gouvernement. (5) Nous renvoyons � ce propos � notre th�se de doctorat d�Etat soutenue � la Facult� de droit, universit� d�Alger. (6) C�est du moins l�explication qu�on donne un des principaux r�dacteurs de la Constitution de 1989 : Ghazi Hidouci dans son livre La Lib�ration inachev�e.