On nous reproche parfois nos choix th�matiques, soit pour leur optimisme soit pour leur d�marcation de ce qui est cens� faire l'actualit�. Oui, il y a encore des trains qui arrivent � l'heure en Alg�rie. Nous assumons ces choix et continuerons � d�celer ce qui, m�me � une �chelle infime, dans un contexte g�n�ral d�plorable, autorise tout de m�me d'esp�rer. La th�se de doctorat d'Etat que vient de soutenir Mohamed Tahar Bouara � la Facult� de droit d'Alger sur �la loi de finances en Alg�rie� est un de ces �v�nements heureux qui vous extraient � la paresse et � la morosit� intellectuelle ambiante. Faire le pari de percer les secrets de la loi de finances en Alg�rie est d�j�, en soi, un exploit. Le r�ussir comme l'a fait M.T. Bouara dans un contexte d'absence d'�tudes sp�cialis�es dans le domaine budg�taire accro�t encore plus son m�rite et celui de son encadreur, fort �clair�, le professeur Mohamed Boussoumah. Inutile de revenir sur l'importance de la question trait�e : la loi de finances est un indicateur de taille de toutes les finances publiques puisqu'il est admis que c'est bien elle qui commande, directement ou indirectement, tous les m�canismes financiers. Acte de pr�vision et d'autorisation de l'ensemble des ressources et des charges financi�res de l'Etat, l'approche des finances publiques a, dans l'ensemble, fluctu� de concert avec l'�volution des structures politiques et �conomiques de l'Etat lib�ral. En fait, c'est la perception m�me de l'autorisation financi�re qui a chang� � la faveur de la transformation du r�le de l'Etat. L'�tude approfondie de la loi de finances dans notre pays indique que ce dernier ne s'est jamais d�parti d'une double �tare� cong�nitale : son d�calage avec le droit et l'absence de m�canismes de contr�le qui donnent � la repr�sentation parlementaire un droit de regard tatillon sur les finances publiques. �Dans le contexte alg�rien, la tendance � l'emprise du droit sur les finances publiques n'a pas �t� remarquable; une constatation qui laisse penser que les raisons historiques propres � l'Alg�rie n'ont pas permis la pr�valence du droit en mati�re budg�taire�, �crit M. T. Bouara. Nombre de difficult�s ont �emp�ch� � ou retard� l'emprise du droit sur les finances publiques. L'observation de la pratique budg�taire et l'examen des textes juridiques am�nent � penser que la loi de finances de l'ann�e est demeur�e une notion juridique inachev�e. En fait, la codification budg�taire a exprim� une p�riode de t�tonnements en mati�re budg�taire et financi�re. En cons�quence, les pr�occupations de d�veloppement �conomique ont conduit � l'alt�ration de la codification budg�taire qui a �t� largement d�bord�e en raison de l'introduction progressive de la planification centralis�e. Le formalisme juridique n'ayant pas pr�valu, la d�finition formelle de la loi de finances de l'ann�e a c�d� le pas � une conception mat�rielle que traduisait bien l'emprise de cette planification. Depuis, l'analyse des nouveaux contours de la loi de finances a r�v�l� un contenu dualiste s'articulant sur une juxtaposition de notions classiques et de principes nouveaux r�sultant du syst�me de centralisation des ressources financi�res adopt� par le planificateur. L'ensemble restitue parfaitement la perception fonctionnelle de la loi de finances (qui a r�sult� aussi de l'ordonnance 70-93 du 31 d�cembre 1970 portant loi de finances pour 1971). L'irruption du syst�me repr�sentatif en droit public alg�rien � partir de 1976 va-t-elle replacer la mati�re budg�taire dans une perspective int�ressante ? Le cheminement du r�gime des lois de finances est marqu� ou �maill� par des revendications parlementaires l�gitimes qui ont abouti � une formulation inachev�e du r�gime juridique par la loi n� 84-17 du 07 juillet 1984 relative aux lois de finances, dans un contexte de crise �conomique et politique qui pr�sageait sous des formulations incertaines le retour � la figure classique de l'autorisation financi�re. Le texte sp�cial est apparu limit� au plan juridique et conceptuel ; il comportait des �l�ments composites issus de conceptions budg�taires diff�rentes et r�pondant � des logiques tout aussi diff�rentes. N'ayant pas abouti � une notion pr�cise de l'autorisation financi�re, le texte sp�cial de 1984 n'a pas restitu� un r�gime juridique coh�rent. A titre d'exemple, les dispositions relatives � la structure de la loi de finances de l'ann�e et des documents annexes n�cessaires � l'information et au contr�le du Parlement se sont av�r�es sans port�e r�elle. En outre, la perception r�ductrice des principes budg�taires et l'exclusion des conditions de l'�quilibre des dispositions de lois de finances ont restitu� les limites essentielles au plan du droit. Enfin, l'absence d'un instrument budg�taire de type comptable a r�v�l� une limite conceptuelle importante qui a favoris� la dispersion des comptes budg�taires et des op�rations financi�res �autoris�s� par le texte de loi de finances de l'ann�e. Le texte sp�cial de 1984 laissait penser aussi que la fronti�re entre les op�rations budg�taires et les op�rations de tr�sorerie n'�tait pas tout � fait nette � cette difficult� ayant �t� largement accentu�e par la cat�gorie particuli�re de ressources de tr�sorerie destin�e au financement public de l'�conomie. En tout cas, le recours immod�r� aux diff�rentes modalit�s de financement public a r�v�l� toute la fragilit� des finances publiques durant la crise �conomique apparue notamment � partir de 1986. Il s'en est suivie une s�rie de modifications du texte sp�cial de 1984, enregistr�es en droit � partir de 1988. Celles-ci, pr�sageaient- elles le retour � la figure classique de l'autorisation financi�re ? L'id�e ma�tresse que souligne M. T. Bouara est qu'au plan normatif, le mouvement de r�formes observ� notamment depuis 1988 n'a pas �t� centr� sur la mati�re budg�taire. De toute �vidence, celle-ci n'a pas �t� int�gr�e directement dans le processus de r�forme de l'Etat et des institutions. En r�alit�, les changements observ�s dans la sph�re budg�taire ont exprim� surtout des pr�occupations �conomiques et financi�res. D�s lors, les contours de la figure classique de l'autorisation financi�re sont apparus incertains, en d�pit du nouveau contexte politique et �conomique. Confront� � la mise en �uvre des r�formes �conomiques, le texte sp�cial a subi un toilettage qui a abouti, entre autres, � une reformulation de la �d�finition� de la loi de finances d'un point de vue mat�riel. Concr�tement, ce sont surtout les dispositions li�es aux diff�rentes modalit�s de financement des entreprises publiques qui ont �t� vis�es par la r�vision du texte sp�cial intervenue en 1988. Leur d�mant�lement a conduit � une pr�occupation d'�quilibre budg�taire qui n'a pas �t� prise en charge par le droit. Le toilettage compl�mentaire a traduit une forme de clarification de l'objet des lois de finances que la deuxi�me r�vision du texte sp�cial a tent� d'introduire en droit positif. La r�vision du texte sp�cial intervenue en 1989 a vis� directement la mati�re budg�taire dans un contexte politique et �conomique nouveau. Mais, la tentative l�gislative est rest�e sans port�e r�elle. En effet, l'examen de l'objet des lois de finances et l'appr�ciation des nouvelles mesures li�es � l'utilit� des documents annexes n�cessaires � l'information et au contr�le du Parlement n'ont pas boulevers� la tradition en la mati�re. A la r�flexion, la r�vision de 1989 a exprim� surtout les pr�occupations li�es � la crise des moyens de paiement ext�rieurs. Elle a �t� appr�ci�e aussi par rapport aux mesures l�gislatives qui ont conduit au processus de d�mant�lement du Plan. Contrairement aux modifications introduites en 1988 et en 1989, celles qui ont affect� le texte sp�cial � partir de 1993 se sont �loign�es du mode d'�laboration initial. L'entr�e en vigueur de la Constitution de 1996 n'a pas clarifi� le r�gime des lois de finances. Le d�veloppement des comptes d'affectation sp�ciale appara�t comme une caract�ristique majeure de la pratique budg�taire observ�e en droit positif. En tentant de s'inscrire dans une perspective nouvelle, cette pratique est apparue contestable au plan du droit. Par leur importance, les comptes d'affectation sp�ciale ont contribu� surtout � obscurcir le texte de loi de finances et, partant, le sens m�me de l'autorisation financi�re. Le recours de plus en plus important aux comptes d'affectation sp�ciale s'apparente plus � un exercice de d�membrement budg�taire qui ne facilite pas la t�che � l'analyste et notamment au juriste. En tout cas, ces comptes posent un v�ritable probl�me de contr�le sur la proc�dure d'�laboration de la loi de finances de l'ann�e. Par ailleurs, le d�veloppement des comptes d'affectation sp�ciale a contrast� avec l'apparition de certaines vell�it�s de type classique. L'analyse de M. T. Bouara r�v�le l'existence de deux mouvements essentiels et presque contradictoires. Le premier va dans le sens d'une r�gression du droit en mati�re budg�taire � une loi de finances moins encadr�e juridiquement offre plus de commodit�, tout en sachant que les finances publiques restent tout de m�me le lieu o� s'exprime le mieux le pouvoir politique. Le deuxi�me va dans le sens d'une qu�te gouvernementale. Il semble que la pratique budg�taire actuelle consacre d'une certaine mani�re le retour � la conception fonctionnelle de la loi de finances. En tout cas et en l'�tat actuel du droit positif, l'absence d'un texte organique dans le domaine budg�taire favorise les formes de concentration du pouvoir au niveau de l'Ex�cutif. Les commodit�s r�sultant d'une loi de finances ind�termin�e ou moins encadr�e juridiquement offrent � l'Ex�cutif des marges de man�uvre importantes dans la conduite de la politique �conomique du pays. De la m�me fa�on, le d�clin de la planification semble �galement favoriser le pouvoir ex�cutif en mati�re budg�taire. En somme, la conception fonctionnelle semble remettre au go�t du jour la perception �conomique qui a pr�valu par le pass�. Autrement dit, la perception fonctionnelle de la loi de finances de l'ann�e progresse au fur et � mesure que la part du droit r�gresse. L'�bauche d'un avant-projet de loi organique actuellement en pr�paration laisse toutefois appara�tre quelques signes int�ressants qui m�ritent d'�tre rapport�s : - l'objet g�n�ral des lois de finances affirme la priorit� donn�e par l'Etat � la qualit� des services aux citoyens ; - elles contribuent � la mise en �uvre �d'un cadre de gestion ax� sur les r�sultats� ; - en outre, l'�bauche minist�rielle comporte, pour la premi�re fois, la r�f�rence aux conditions de l'�quilibre budg�taire et financier, mais aucune r�f�rence n'est faite � un quelconque tableau de financement ou d'�quilibre. On notera, aussi, une disposition nouvelle consacr�e � l'objet des lois de finances et qui laisse � penser que les dispositions �trang�res aux finances publiques seront d�sormais proscrites. En revanche, on ne trouvera pas une d�finition pr�cise du budget de l'Etat. Sur ce point, il semble que les r�dacteurs ont laiss� cet aspect en suspens. Il en est de m�me en ce qui concerne les dispositions relatives � la structure des lois de finances ; le plan en trois parties pr�vu ne pr�sage pas la clart� dans la mesure o� les dispositions de l'�quilibre ne sont pas tout � fait claires. C'est aussi le cas des dispositions relatives aux comptes sp�ciaux du Tr�sor, l'�bauche minist�rielle reconduit les incoh�rences juridiques et financi�res. Enfin, on peut �galement citer, � titre d'exemple, la disposition relative � la sinc�rit� budg�taire ; mais celle-ci est propos�e seulement pour les besoins de la comptabilit� de l'Etat et non par rapport au mode de pr�sentation du projet de loi de finances, comme c'est le cas en droit fran�ais.