Le dernier message de Bouteflika sur les massacres du 8 Mai 1945 a été une cinglante réplique à la France du “23 février”. “L'histoire de la présence française en Algérie comporte des pages noires qu'il faut savoir assumer, non pas en vue d'une quelconque vindicte, mais pour rendre possible l'autopsie morale de la colonisation, révéler les horreurs d'une guerre que l'on a refusé de reconnaître comme telle pendant quatre décennies et préparer les assises nouvelles d'un futur à bâtir en commun, débarrassé des scories de l'histoire coloniale, d'une union forcée et basée sur des rapports de brutalité et de mépris”. Voilà qui devrait résumer le sens que le président Bouteflika souhaite imprimer aux relations algéro-françaises et le “protocole moral” qui, selon sa perception des choses, devrait les codifier. Sans remonter aux tréfonds de la nuit coloniale, les relations algéro-françaises depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir ont, force est de le constater, plutôt évolué en dents de scie. C'est notamment le cas depuis la visite (haut en couleur) de Jacques Chirac en Algérie en mars 2003, visite qui fut couronnée, rappelle-t-on, par une grosse promesse, en l'occurrence la signature, fin 2005, d'un traité d'amitié assorti d'un “partenariat d'exception” entre l'Algérie et la France. Mais voilà. Point de traité. Et celui-ci ressemble de plus en plus à l'Arlésienne. Les relations entre Alger et Paris seront même ponctuées, par endroits, de véritables “coups de froid”, notamment après le vote de la loi du 23 février qui venait tout remettre à zéro. Si en mai 2004 qui coïncidait avec le 59e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945, Bouteflika s'était abstenu de trop forcer sur la note, lui qui venait tout juste de recevoir son “ami” Chirac, en mai 2005, par contre, on était déjà loin de l'euphorie de Bab-El-Oued pavoisée aux fanions tricolores et lançant des vivats à Chirac. Dans un message à l'occasion du 3e séminaire international sur la tragédie de Sétif-Guelma-Kherrata, il écrivait déjà : “Qui ne se souvient des fours de la honte installés par l'occupant dans la région de Guelma au lieu-dit “El hadj Mebarek”, devenu lieu de pèlerinage où la mémoire conte les secrets de la victime et du bourreau et des pratiques similaires à “kaf el boumba”. Ces fours étaient identiques aux fours crématoires des nazis.” “La formule” fours crématoires “fait tâche d'huile”. Paris se fâche et le fait savoir. Pourtant, quelques mois auparavant, à l'occasion d'une visite à Sétif, l'ambassadeur de France à Alger, M. Hubert Colin de Verdière, avait parlé de “tragédie inexcusable” à propos du 8 Mai 1945. Le mot n'était peut être pas assez fort, mais il n'en était pas moins courageux. C'était la première fois, en effet, qu'un soupçon de repentance était exprimé de la part d'un diplomate français de cette envergure. Soufflant le chaud et le froid, Bouteflika semble dire “oui, mais…” (ou, plutôt “8 mais…”) aux Français, laissant les “nauséabonderies coloniales” aux “éboueurs de l'Histoire” : “Quoique disent et quoique pensent certains, il n'existe pas aujourd'hui de crise dans les relations algéro-françaises. Aucun nuage n'altère notre ciel commun et cependant, il reste encore beaucoup à faire, si nous voulons répondre à nos vœux partagés d'aller encore plus loin ensemble”, rassure-t-il tout en récusant les “sirènes d'une amitié cannibale”. Séparer le business de la Mémoire ? Primauté du pragmatique sur l'historique ? Il faut croire que telle est effectivement la doctrine qui prévaut actuellement entre les deux parties en attendant la paix des archives… Mustapha Benfodil