L�ancien ministre des Finances, M. Abdelatif Benachenhou, a r�agi, jeudi 21 septembre dans un long article paru dans Le Quotidien d�Oran � une contribution de l�ancien Premier ministre, Ahmed Benbitour, parue dans El Watan du 7 septembre 2006. Il faut rappeler que ces deux hommes politiques sont aussi des universitaires, ce qui donne plus d�int�r�t au d�bat auquel appelle A. Benachenhou, dans son article. Et c�est en �cho � cet appel que nous apportons notre petite pierre en souhaitant � notre tour que �la mayonnaise prenne� que le d�bat s��largisse et qu�enfin les Alg�riens puissent constater que le d�bat serein, constructif, enrichissant est possible dans notre pays aussi. Bien �videmment, le but recherch� ici n�est pas de r�pondre � M. Benachenhou, mais de tenter quelques commentaires en r�action � sa r�flexion. Tout simplement. * Un Mauvais proc�s 1�/ A. Benachenhou a raison de dire que l�analyse de la balance des paiements ne permet pas d�aborder s�rieusement la question cruciale pour l��conomie alg�rienne : celle de la crise de l�offre. Mais ce serait faire un mauvais proc�s � A. Benbitour que de l�accuser d�avoir tent� d�aborder cette question de l�offre par la balance des paiements. Benbitour, en se livrant � l�exercice qu�il a publi� dans El Watan ne voulait pas faire dire � la balance des paiements plus que ce qu�elle exprimait : une position ext�rieure de l��conomie nationale largement favorable ; une situation �conomique et sociale interne plus que d�plorable. C�est du moins ce que j�ai pu en comprendre. * Le remboursement par anticipation 2�/ Plus fondamentalement, A. Benachenhou a tent� de justifier l�important volume d��pargne engrang� par notre �conomie au moment o� celle-ci a soif d�investissements. Rappelons que le taux d��pargne est de 51,7% en 2005. Il est de 14% en France, l�un des meilleurs taux de l�Union europ�enne. Cette �pargne est due, commence- t-il par rappeler, au secteur des hydrocarbures qui tout en augmentant sa production a b�n�fici� d�un march� largement favorable. Et il trouve absurde de vouloir laisser �son �pargne en sol�. Il y a l� un premier point discutable : produire beaucoup d�hydrocarbures et chercher � �maximiser� les recettes de l�Etat �pour constituer des r�serves financi�res et rembourser par anticipation sa dette ext�rieure ne peut assur�ment pas �tre consid�r� comme une �grande politique� pleine d�intelligence et d�imagination ni encore moins originale. Rappelons d�abord � et nous l�avons d�j� fait � que tous les pays exportateurs de p�trole qui ont engrang� d�importants exc�dents financiers ont rembours� par anticipation une grande partie de leurs dettes ext�rieures : la Russie (pr�s de 25 milliards de dollars), le Nigeria (12 milliards de dollars), la Libye, l�Arabie saoudite, le Qatar... Les raisons de chacun de ces pays sont diverses et pour l�Alg�rie, il s�agissait par cette d�marche de gagner des charges d�int�r�t �valu�es � quelque 2,5 milliards de dollars que l�on aurait pay�s entre 2006 et 2011. En effet, 16 milliards de dollars de dette r��chelonn�e ont �t� ainsi rembours�s par anticipation. En restant dans une d�marche seulement financi�re, la m�me somme plac�e sur les march�s financiers internationaux � des taux d�int�r�t de 2% durant 6 ans aurait rapport� pr�s de 2 milliards de dollars. A. Benachenhou a eu donc raison de qualifier le gain r�alis� par le remboursement anticip� de la dette ext�rieure, de gain marginal. Mais l�, n�est pas l�essentiel. Benachenhou croit trouver la preuve de la pertinence de ce remboursement par anticipation dans la r�sistance de certains cr�anciers � l�accepter ?! Dr�le de r�sistance que cette permissivit� au remboursement par anticipation accord�e � tous les pays endett�s (et nous en avons cit� quelques-uns). La question est alors celle de comprendre pourquoi les cr�anciers, dont le revenu est constitu� par les int�r�ts dus par les d�biteurs, ont-ils accept� de perdre ce revenu ? Deux raisons semblent �merger qui expliquent cette �concession� : 1) L�effacement de la dette des pays les plus pauvres est un pr�c�dent qui menace par son possible �largissement � d�autres pays et, les cr�ances non performantes s�accumulant, les cr�anciers ont pr�f�r� r�cup�rer leurs cr�dits. 2) Et la seconde raison semble plus plausible encore : ce que les cr�anciers perdent en termes d�int�r�ts encaiss�s, ils le r�cup�rent aupr�s de leurs d�biteurs, en termes d�exportations de biens et services. Nous avons, en effet, constat� que tous les d�biteurs exportateurs de p�trole ont multipli� par deux et plus leurs importations en provenance pr�cis�ment des pays cr�anciers � (l�Alg�rie a vu son programme d�importation passer de 10 milliards de dollars � pr�s de 20 milliards de dollars). l Le second point discutable de la d�marche du remboursement par anticipation concerne la production et l�exportation en plus grande quantit� de nos hydrocarbures qui ont rendu possible ce remboursement. L�ensemble des experts p�troliers sont aujourd�hui unanimes � reconna�tre que la crise du p�trole est une crise structurelle. Le temps du p�trole � bon march� est pass�.Rien n�exclut qu�en 2010/2012 le baril de p�trole vaudra 100 dollars ou plus. Vendre aujourd�hui � 70 dollars pour rembourser par anticipation sa dette et se constituer des r�serves de change, c�est prendre le risque de se priver de possibles revenus suppl�mentaires substantiels en 2010/2012. Le pr�sident Bouteflika l�a bien compris qui est revenu sur la loi sur les hydrocarbures en affirmant en substance que la g�n�ration actuelle g�re mal cette �maximisation des recettes de l�Etat� et qu�il vaut mieux laisser leurs chances aux g�n�rations futures, en laissant pr�cis�ment �notre �pargne en sol� et leur offrir ainsi une occasion de b�tir une �conomie de production performante et comp�titive, cette fameuse �conomie de l�apr�s-p�trole que tous les Alg�riens attendent. l Dans le cas o� le prix du baril baisse, hypoth�se que n�exclut pas Benachenhou (et il a bien raison), nous aurions alors bien besoin de nos r�serves de change, dont une partie ne sera plus l� puisque consacr�e � rembours�e � par anticipation � notre dette ext�rieure. Nos besoins financiers �tant en hausse constante, il nous faudra alors au bout de 2 ou 3 ans recourir � de nouveaux endettements et donc recommencer � payer des charges d�int�r�t qu�on pensait avoir �limin�s. Benachenhou justifie d�autre part une telle utilisation de nos exc�dents financiers (remboursement par anticipation et fonds de r�gulation des recettes) par la faible capacit� d�absorption de notre �conomie qui, selon lui, serait incapable de recevoir plus d�investissements que ceux qui ont �t� d�cid�s. Rappelons d�abord ici que lorsqu�il �tait ministre des Finances, il n�approuvait pas du tout les plans de relance d�cid�s par Bouteflika, arguant pr�cis�ment de l��troitesse de la capacit� d�absorption et des effets pervers du multiplicateur qui allait jouer � l�ext�rieur, l�offre nationale �tant faible et rigide. Nous aurions alors eu des bas de laine bien plus remplis encore et un pays toujours en �norme d�ficit d��quipements au lieu de taux de croissance appr�ciables et d�une r�duction sensible du taux de ch�mage performances qu�aime � rappeler M. Benachenhou. Donc pour �d�gonfler� l��pargne et �d�gonfler� les r�serves de change que Benbitour trouve excessives, il est tout � fait indiqu�, souligne Benachenhou, de les utiliser � rembourser la dette de l�Etat. * La capacit� d�absorption Tout le monde sait et bien �videmment, Benachenhou, le premier � et nous osons � peine le rappeler tant ce rappel est banal � que cette notion de capacit� d�absorption a toujours suscit� des d�bats et notamment quand il s�agit d��conomies en voie de d�veloppement. Deux th�ses ont domin� ces d�bats : a) La premi�re est celle qui consiste � affirmer que la capacit� d�absorption (un investissement) d�une �conomie d�termine le volume d�investissements possible : il ne faut pas investir plus que ne peut absorber l��conomie. Bela�d Abdesselam, en son temps d�j�, r�pondait � ce point de vue, en l��tat de l��conomie alg�rienne durant la d�cennie 1960, nous n�aurions jamais industrialis�, car nous n�avions ni l��lectricit�, ni le gaz, ni les infrastructures, ni les ing�nieurs et managers pour lancer de vastes programmes de construction de plate-formes industrielles. Selon ce point de vue d�ailleurs, les pays sous-d�velopp�s sont condamn�s � le rester. b) La seconde th�se est celle des �d�s�quilibres dynamiques�, selon laquelle la capacit� d�absorption d�une �conomie s��largit pr�cis�ment par l�investissement c�est l�investissement dans les diff�rents secteurs qui fait sauter l�un apr�s l�autre les goulots d��tranglement qui r�tr�cissent la capacit� d�absorption d�une �conomie. L�exp�rience alg�rienne d�industrialisation confirme cette th�se m�me si le prix pay� a �t� �lev�. Mais comme disait le pr�sident Boumediene : �Peut-on apprendre � monter � cheval, si on a peur de tomber ?� Et justement, une autre utilisation de l��pargne pourrait �largir encore plus la capacit� d�absorption de notre �conomie tant en l�int�grant positivement au processus de mondialisation encore en cours. D�ailleurs, Benachenhou lui-m�me y consacre quelques d�veloppements, malheureusement trop rapides � la fin de sa contribution. Apr�s avoir annonc� qu�il y avait un probl�me de capacit� d�absorption sur lequel il allait revenir, Benachenhou abandonne cette piste (qu�il sentait sans issue ?) pour souligner que la crise de l��conomie alg�rienne est une crise de l�offre. Et il a tout � fait raison. Mais l�, o� son propos est discutable, c�est lorsqu�il semble faire confiance � la �main invisible� des diff�rents march�s, aid�s quelque peu par l�Etat, pour r�aliser une allocation de ressources judicieuse et favorable � une croissance �conomique robuste et durable. Il �crit : �Une action multiforme sur les diff�rents march�s, en agissant sur la strat�gie des acteurs (entendez investisseurs priv�s), pour... l�orienter vers les secteurs porteurs, est de nature � produire un taux de croissance global plus important...� L�Etat ne doit donc pas �tre investisseur, mais se contenter d�utiliser le march� pour orienter la strat�gie des acteurs. Ainsi, Benachenhou en appelle aux diff�rents march�s pour prendre en charge �ce qu�il constate lui-m�me c�est-�-dire l�ampleur des besoins �conomiques et sociaux de l�Alg�rie, ... la pauvret� salariale des cadres et des travailleurs de la sph�re publique et la pauvret� tout court qui touche d�autres fractions de la population...� D�autre part, l�analyse sectorielle d�taill�e � laquelle il appelle a d�j� r�v�l�, en maintes occasions, le grand d�ficit en investissements dont souffrent tant l�industrie, l�agriculture que les services. Doit-on attendre que �les march�s� fassent leur travail pour sortir l�offre de sa crise ? �Ouvrir la voie � la reconqu�te du march� int�rieur mais aussi � la conqu�te de march�s ext�rieurs, en �conomie ouverte�, comme le sugg�re Benachenhou passe entre autres par la fabrication de champions publics et priv�s, la construction de technoparcs, de �zones d�activit� int�gr�es� associant entreprise, universit�, qu�il faut au pr�alable �mettre � niveau� et autorit�s (des �p�les de comp�titivit� comme on les appelle en d�autres lieux). Cela passe aussi par la cr�ation de grandes �coles de formation de comp�tences et qualifications qui manquent � notre �conomie. D�autre part, diminuer quelque peu de notre d�pendance alimentaire n�cessite de faire la �r�volution agricole� qui attend toujours d��tre r�alis�e chez nous. N�est-ce pas l� quelques pistes possibles pour une autre utilisation, productive, de notre �pargne ? De plus, de tels investissements contribueront � �largir la fameuse capacit� d�absorption qui semble pr�occuper Benachenhou. *Le fonds de r�gulation des recettes Un dernier mot sur le fonds de r�gulation des recettes. Il s�agit l� de r�serves financi�res constitu�es pour stabiliser � moyen/long terme le budget de la nation. C�est l� une vieille recommandation des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds mon�taire) pour tenter de stabiliser financi�rement les �conomies des pays producteurs de mati�res premi�res exportables soumises � une grande volatilit� des prix mondiaux. Le FRR n�est certainement pas une �trouvaille� alg�rienne. D�ailleurs, tous les pays exportateurs de p�trole � l�exception de l�Arabie Saoudite et Qatar ont constitu� des FRR. Doit-on brader de l�argent pour les ann�es de vaches maigres alors que les Alg�riens y sont d�j�, th�sauriser pour stabiliser le budget et rembourser � un rythme plus rapide la dette publique interne alors que l��conomie alg�rienne a tellement besoin d�investissements productifs dans les divers secteurs. Est-ce qu�il est judicieux, parce que la gouvernance a �t� et est encore mauvaise et au nom d�une orthodoxie financi�re excessive de dissuader les Alg�riens de reprendre l�aventure du d�veloppement �conomique qui seule pourra les sortir de la pauvret� ! Doit-on les contraindre � l�immobilisme malgr� l�existence d�une importante �pargne ? L�urgence n�est-elle pas � l��laboration et l�adoption de perspectives d�cennales de l��conomie nationale qui d�finissent un plan coh�rent d�affectation des ressources fond� sur des choix sectoriels tenant compte des contraintes et des nouveaux enjeux ? Peut-�tre que de telles perspectives d�cennales qui d�finissent forc�ment nos besoins financiers pour les dix ann�es � venir nous conduiront-elles � �viter de rembourser par anticipation une dette ext�rieure qui, somme toute, �tait largement soutenable. Que le d�bat s�engage !