Pauvreté salariale, offre interne contrainte, hausse des prix sans productivité, concentration des investissements sur les infrastructures…, tel est le constat dressé hier par les deux invités du Forum des chefs d'entreprise (FCE), l'ancien ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, et l'ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, à propos de la situation actuelle de l'économie nationale. Sollicités pour intervenir sur le thème « Prix, salaire et productivité », les deux économistes ont développé un argumentaire plus ou moins semblable. Pour l'ancien argentier du pays, qui, faut-il le souligner, a surpris plus d'un par son ton critique, « l'Algérie est installée dans une situation de pauvreté salariale ». Une pauvreté qui résulte, selon lui, de la faiblesse de nos entreprises. Car « ce sont des entreprises puissantes et prospères qui sont en mesure de générer des salaires de plus en plus importants ». L'Algérie, poursuit M. Benachenhou, « a connu un bouleversement profond de son modèle de consommation avec l'apparition du phénomène du crédit à la consommation qui a entraîné l'endettement des ménages durant ces dernières années ». Au plan international, fait savoir l'orateur, l'Algérie est entrée « dans une zone de turbulences » dans ses relations avec l'économie mondiale. Cette dernière « n'est plus ce qu'elle était et elle ne sera plus ce qu'elle était ». « Nous allons vers une économie mondiale plus inflationniste et avec des pénuries beaucoup plus importantes », prédit l'ancien ministre. Le règlement de la question centrale de la défense du pouvoir d'achat passera inéluctablement, selon Benachenhou, « par le règlement de la question du logement ». « On parle beaucoup de produits de consommation et de services, mais le pouvoir d'achat des salariés et des Algériens va se jouer au cours de la décennie qui vient sur la facilité ou la difficulté d'accès au logement », fait-il remarquer, tout en reconnaissant que le pays a « laissé filer » la bulle immobilière dans les grandes villes. « Les prix ont pris des dimensions absolument ahurissantes. Il faut être au moins deux sinon trois dans un ménage pour pouvoir faire face à la hausse des prix du logement et à la hausse des prix du loyer », révèle le conférencier en avertissant que « si nous ne bougeons pas sur la question du logement, la majorité des Algériens va tomber dans la problématique du logement social ». En guise de remède au constat établi, M. Benachenhou recommandera, entre autres, de libérer l'offre interne. « L'offre interne est contrainte en Algérie. Elle est contrainte par le droit, par la bureaucratie et par l'absence des ressources humaines », note-t-il. L'autre remède extrêmement important proposé par l'économiste est celui de mettre impérativement une politique de la concurrence autrement plus importante et plus consistante que celle que nous avons. Bien que nous ayons des institutions et une législation de la concurrence, il demeure néanmoins, d'après lui, que nous « n'avons aucune pratique de la concurrence ». Dernier remède prescrit par le docteur Benachenhou est celui « de libérer » l'offre du logement. « Je ne crois pas qu'on puisse fonder une politique du pouvoir d'achat en Algérie en continuant la politique actuelle du logement. Il faut libérer l'offre du logement en libérant les assises foncières. Il est inacceptable que la Cnep dispose de 1000 milliards de dinars de dépôts, et ses prêts immobiliers à l'heure actuelle s'élèvent à seulement 160 milliards de dinars. C'est une situation absolument intenable », conclut le conférencier visiblement scandalisé. De son côté, l'ex-chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, a souligné que trois bonnes opportunités s'offraient actuellement à l'économie nationale en quête de redressement : « La démocratisation du savoir, l'aisance financière (plus de 80 milliards de dollars de réserves de change sans endettement extérieur), un taux d'épargne publique appréciable (plus de 50% du PIB) et un rééquilibrage démographique entre 2000 et 2030. » La tendance démographique s'oriente, selon lui, peu à peu vers la tranche 16-59 ans, en mesure de travailler, qui représenterait près de 30% de la population vers 2030 contre 19% actuellement. Il a par ailleurs estimé que l'investissement est concentré sur les infrastructures publiques et pas assez sur le capital humain et les technologies de l'information et de communication (TIC).