Synthèse Sarah Raymouche Ils sont minoritaires, mais infiniment impactants. Eux, ce sont ceux qui ont choisi de vivre sans téléphone portable. Un choix voulu ou imposé. A travers cet éclairage, Soirmagazine dresse différents profils des frondeurs aux portables. Contrairement aux études liées à l'utilisation du téléphone portable et à son usage, rares sont les recherches menées sur son rejet. Ces deux dernières années, seules quelques publications ont été révélées au public. A ce sujet, le sociologue Bertrand Bergier a mené une enquête dans ce sens. Sociologue, professeur à l'Université catholique de l'Ouest et directeur de recherche à Nantes, il a livré le résultat de ses recherches dans un ouvrage au titre bien évocateur : Sans «mobile» apparent : un quotidien «sans portable», «sans smartphone». Et selon ces recherches, un chiffre est mis en avant : seuls 2% des 18-39 ans et 8% de la population française (de plus de 12 ans) n'ont pas de téléphone mobile, et ce nombre va continuer de baisser. Durant quatre ans, le chercheur a décortiqué les profils de 527 personnes âgées de 17 à 70 ans, ne possédant pas de téléphone portable, dans la sphère privée comme dans la sphère professionnelle. Il a pu, ainsi, de dresser même le profil de ceux qui n'ont pas succombé à la tentation de la téléphonie mobile, on trouve davantage de personnes sans mobile chez les femmes, chez les personnes âgées de 70 ans et plus, chez celles vivant seules, chez les ménages ayant des revenus mensuels bas ou encore chez les habitants des communes de moins de 2000 âmes. Aussi, ces anti-portables sont hétéroclites et ont divers motifs de refus. Peur de l'addiction et d'être suivi La peur de l'addiction, la phobie d'être dépendant et d'être suivi sont les principales causes du rejet du téléphone portable. Et ce dernier est considéré par les spécialistes comme une «véritable droque». Selon une enquête 2016 du bureau de conseil Deloitte, «pour certains Français, le seuil de la dépendance semble bel et bien avoir été franchi. De fait, 41% des Français confessent qu'il leur arrive de consulter leur téléphone au milieu de la nuit, hors vérification de l'heure. Et une part non négligeable d'entre eux (7%) déclarent même répondre à leurs messages nocturnes. L'usage intensif du téléphone portable peut aussi générer des comportements à risque : ainsi, 58% de cette population reconnaissent qu'il leur arrive de consulter leur smartphone au volant et 66% alors qu'ils traversent la rue. Enfin, le téléphone portable s'immisce de plus en plus dans les foyers, au point de devenir parfois source de conflit : 81% des Français disent utiliser leur smartphone pendant les repas pris en famille ou en compagnie d'amis ; 43% des jeunes de 18 à 24 ans admettent qu'il leur arrive de se disputer avec leurs parents au sujet d'un usage excessif du téléphone portable». Une étude menée en 2012 auprès d'un millier d'utilisateurs de mobiles au Royaume- Uni — où le terme de «nomophobie» est apparu en 2008 — révélait que 66% d'entre eux se disaient «très angoissés» à l'idée de perdre leur téléphone. La proportion atteint même 76% chez les jeunes de 18-24 ans, selon ce sondage réalisé par l'entreprise de solutions de sécurité pour mobile SecurEnvoy. 40% des sondés indiquaient, en outre, posséder deux téléphones. La dépendance aux technologies mobiles se soigne Dr Marie-Anne Sergerie, Ph. D., psychologue spécialisée en cyberdépendance et nouvelles technologies explique que «la dépendance aux technologies mobiles comme les téléphones intelligents ou les tablettes numériques) se traduit par l'utilisation excessive de ces technologies qui entraîne différents symptômes comme des pensées obsessives et des préoccupations face à son utilisation ; une envie irrésistible d'utiliser l'appareil pour se brancher, répondre, consulter ou vérifier le contenu ou les messages ; des symptômes de manque qui se manifestent par de l'irritabilité, de la colère, de l'anxiété ou de l'ennui lorsque l'accès est impossible ; une incapacité à réduire ou cesser son utilisation ; une perte d'intérêt ou de motivation pour les autres activités hors ligne». Ce psychologue relève qu'il est possible de se soigner de cette addiction en apportant des changements. Cela commence par établir une fiche d'auto-évaluation pour déterminer le temps et la durée de son utilisation. Ensuite, il est nécessaire de changer certaines configurations des appareils afin que la fréquence des courriels soit moins élevée et désactiver les alarmes, alertes et notifications des applications. Les distractions contribuent à réduire de l'attention. Si vous effectuez une tâche qui nécessite de la concentration, il est donc primordial de ne pas être dérangé et distrait pour rester productif ! Selon Dr Marie-Anne Sergerie, il est nécessaire de prévoir des moments pour décrocher et fixer des balises face à son utilisation. Des journées mondiales sans téléphone portable L'écrivain Phil Marso, organisateur depuis une dizaine d'années des Journées mondiales sans téléphone portable les 6, 7 et 8 février de chaque année, souligne qu'«on peut comprendre que les gens soient accros à leur smartphone car ils ont toute leur vie dedans, et si par malheur ils le perdent ou qu'il est en panne, ils se sentent totalement coupés du monde». Et de relever : «C'est un outil qui déshumanise. Un jour dans la rue, une personne qui cherchait son chemin m'a tendu son smartphone avec le plan du quartier sur l'écran au lieu de me demander où se trouvait la rue qu'elle cherchait.» «On est dans une société robotisée où on doit faire plein de choses à la fois. Une partie de la population pense que si elle n'est pas connectée, elle loupe quelque chose. Et si on loupe quelque chose ou si on ne peut pas réagir tout de suite, on développe des formes d'angoisse ou d'énervement. Les gens n'ont plus de patience», selon Phil Marso, également auteur en 2004 du premier livre entièrement rédigé en SMS.