L'ancien ministre de l'Agriculture s'est livré à des révélations fracassantes hier : des terres agricoles algériennes allaient être vendues à des colons par «des personnes bien introduites» avant que leur projet n'échoue suite à l'annulation d'une décision politique susceptible d'ouvrir la voie à leur sombre dessein. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Cette révélation a donc été faite par Rachid Benaïssa, ancien responsable du ministère de l'Agriculture, dans un entretien accordé au Quotidien d'Oran. Interrogé sur les raisons de l'annulation du projet de vente des terres agricoles publiques dans les années 1990, il répond par cette déclaration troublante : «Heureusement que ce projet n'a pas été appliqué car dans le contexte politique économique et social de l'époque, on aurait assisté à une grande dilapidation et détournements sans effet sur la production agricole. Certaines personnes bien introduites avaient même préparé des ventes à des étrangers y compris à certains colons, je n'ai pas de preuves matérielles mais c'est ce qui se disait.» Prononcés par un ancien ministre en charge de dossiers épineux dans ce secteur sensible, ces mots pèsent de tout leur poids même s'il s'attelle à préciser qu'il ne détient aucun document sur le sujet. L'accusation est grave et renvoie à l'existence de complicités à des niveaux élevés des structures de l'Etat. En avait-il fait référence aux institutions compétentes ? A-t-il adressé des écrits dénonçants les trahisons qui se préparaient ou informé qui de droit de «ce qui se disait» ? Cela, Rachid Benaïssa ne le dit pas. Mais le contexte général qui prévalait à cette époque, la confusion politique induite par l'émergence du Front islamique du salut (FIS) responsable de tous les déboires de l'Algérie revêtaient des caractères d'urgence qui occultaient toutes les autres questions. Voilà ce que laisse deviner cet ancien ministre qui semble avoir attendu le moment opportun pour vider son sac. Pour révéler aussi que le secteur de l'agriculture est actuellement encore soumis à des lobbies qui freinent son évolution et son développement. Il impute les échecs enregistrés dans ce domaine par le travail de sape mené par «certains individus qui, sous des forces diverses, maintiennent les quiproquos et combattent toute volonté ou tentative de libéralisation des initiatives individuelles ou collectives dans la transparence et le respect des règles élémentaires du progrès. Ils ont l'air de faire référence à des concepts et des principes qu'ils transgressent sans retenue pour souvent maintenir ou sauvegarder un pouvoir illusoire». Il explique : «Ces derniers agissent dans des sphères professionnelles mais ils sont souvent tolérés, parfois soutenus, contre toute logique, par des politiques.» Ces propos ne souffrent aucune ambiguïté. Ils confirment, si besoin est, l'existence de forces destructrices implantées dans de hautes sphères et dont l'objectif est de saper le travail de l'Etat qui a pourtant tranché des questions épineuses. Dans ce contexte, il a su résister aux pressions des anciens colons qui se déchaînent depuis quelques années pour se réapproprier des biens qu'ils ont laissés derrière eux au lendemain de l'indépendance. Près d'un millier de plaintes ont été déposées depuis le début des années 2000 par d'anciens propriétaires qui s'estiment spoliés de leurs biens, induisant l'ouverture d'un débat au plus haut niveau des Etats français et algérien. Ce dossier avait ainsi été évoqué en 2012 déjà entre Abdelaziz Bouteflika et François Hollande lors de la visite que menait ce dernier en Algérie. A cette époque, le directeur des Domaines, Mohamed Himour, avait révélé qu'un recensement avait permis d'inventorier «24 300 biens supposés être la propriété d'étrangers ayant quitté le pays». Un peu plus tard, son successeur à la tête des Domaines avait rectifié le chiffre en le fixant à 250 000 biens. La position officielle de l'Algérie sur la question était sans équivoque : seules les personnes, quelle que soit leur nationalité, qui n'ont pas quitté l'Algérie à l'indépendance ou dans les années soixante peuvent réclamer une restitution ou une indemnisation de leurs «biens». Il avait été en outre annoncé qu'en vertu des lois de 1970, 1978 et 1986, les pieds-noirs qui possédaient des biens en Algérie ont été indemnisés d'une façon forfaitaire et à titre d'«avance» sur les créances détenues à l'encontre des Etats étrangers ou des bénéficiaires de la dépossession. Les «biens vacants» appartenant à des étrangers qui ont quitté l'Algérie après l'indépendance appartiennent, quant à eux, au domaine de l'Etat. Le ministre des Moudjahidine s'était, quant à lui, distingué par une déclaration en renvoyant la balle à l'Etat français. «Il revient à l'Algérie de revendiquer la restitution de ses biens spoliés.» Les révélations de Rachid Benaïssa entraîneront-elles des réactions à la hauteur du scandale révélé ?