Eric Halphen est magistrat fran�ais en disponibilit� : il reprendra ses activit�s � partir de 2007. Actuellement, il est pr�sident du comit� de parrainage de l�association fran�aise Anticor � association des �lus r�publicains contre la corruption. S�verine Tessier, �lue de la ville de Clichy (Hauts-de-Seine, r�gion parisienne), est pr�sidente d�Anticor. Ils ont publi� une tribune qui fera date dans le quotidien fran�ais Lib�ration (�dition du 3 novembre 2006). Nous la reproduisons ci-dessous. �Une r�cente �tude du Cevipof (voir Le Soir d�Alg�rie, page corruption du 23 octobre 2006) sur la corruption et la d�mocratie r�v�le que 60 % des Fran�ais jugent leurs �lus corrompus. Un tiers d'entre eux consid�rent m�me que la corruption augmente. Ce �sentiment� refl�te, h�las, en partie la r�alit� des affaires politico-financi�res d�frayant la chronique... En 2002, une autre �tude r�v�lait que la corruption des hommes politiques �tait le deuxi�me motif du vote Front national et expliquait aussi une grande partie de l'abstention. Pour peu qu'on se donne la peine de scruter attentivement la carte �lectorale, on observe d'ailleurs que la g�ographie de l'abstention et du vote extr�me droite �pouse celle des �affaires�. S'il y a une incidence �lectorale � la corruption, la combattre devient donc une question politique. Or, plusieurs �v�nements �lectoraux r�cents nous ont donn� une indication de la perte de cr�dibilit� des �lus aux yeux des citoyens. La r��lection d'Alain Jupp�, condamn� pour prise ill�gale d'int�r�t dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, � 56 % au premier tour a marqu� la victoire d'un autre candidat anonyme : l'abstention, qui fut de 56%. Un peu avant celle de Patrick Balkany � Levallois, avec 25 % seulement de participation... Quelle d�duction pouvons-nous faire de ces indications ? Que font les �lus pour d�mentir leur mauvaise r�putation ? Comment r�tablir la confiance perdue ? On peut s'�tonner que de tels signes de rejet de la politique ne suscitent pas encore l'attention qu'ils m�ritent aupr�s des candidats � l'�lection pr�sidentielle. Tous plus allants sur la lutte contre la d�linquance ordinaire, � propos de laquelle ils r�clament une �tol�rance z�ro�, se font g�n�ralement discrets s'agissant de la d�linquance en col blanc. Pis, ce sont leurs partis politiques dits �r�publicains� qui organisent le recyclage, et m�me pourrait-on dire �le recel� d'�lus corrompus. Ceux-ci devancent l'�lection en redonnant une sorte de respectabilit� que la justice a retir�e � ces candidats. Ils justifient leur d�marche en expliquant que les Fran�ais ont un seuil de tol�rance �lev� � la corruption, aid�s en cela par des relais m�diatiques qui n'h�sitent pas � invoquer une sorte de �prime � la casserole� dont b�n�ficieraient ces candidats douteux. Mais, dans la r�alit�, rien n'indique une plus-value �lectorale pour les corrompus. On constate m�me l'inverse : une prime � la morale l� o� la probl�matique de la bonne gestion publique, de l'�thique, des nouvelles pratiques est vigoureusement port�e par un candidat en campagne. Ce fut le cas � Paris o� Bertrand Delano� a rassembl� des �lecteurs au-del� de son camp partisan. Ce fut le cas en Polyn�sie o� la victoire d'Oscar Temaru, incarnant l'antidote au syst�me de corruption mis en place par le pr�sident sortant Gaston Flosse. Avec une participation habituelle de 50 % lors de toutes les �ch�ances �lectorales, celle-ci est mont�e � 80 % en 2004 pour faire �chec � la corruption au c�ur du d�bat public ! "L'int�r�t particulier en position sociale confortable" contre l'int�r�t g�n�ral Car les Fran�ais savent bien que la corruption des uns ne fait pas le bonheur des autres... Or, l'enqu�te du Cevipof souligne que le seuil de �tol�rance� � la corruption d�pend de la situation sociale de l'�lecteur. En gros, plus on a un portefeuille bien garni, mieux on supporte la corruption des hommes politiques. De m�me, on s'aper�oit que les Fran�ais jugent moins s�v�rement les petits passe-droits de la gestion locale tant qu'ils semblent �profiter� globalement � la qualit� de vie collective. Cela renvoie � la th�orie de La Bo�tie, dans son Discours sur la servitude volontaire, o� le peuple aime son tyran tant que le solde avantage-inconv�nient reste exc�dentaire... En revanche, les Fran�ais sont intraitables concernant les privil�ges que s'octroient des �lus ou la d�linquance financi�re de leurs partis d�j� confortablement lotis par la R�publique. C'est dire combien cette analyse est r�v�latrice de l'�tat de d�voiement du suffrage universel, donc de la corruption de la d�mocratie elle-m�me. Elle pointe du doigt une d�saffection tr�s forte des couches populaires, en raison de leur perception de la corruption des politiques. Les chroniqueurs de tous bords se trompent dans leurs interpr�tations, car ils occultent la majorit� silencieuse de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas s'exprimer faute d'avoir le droit ou l'envie de voter. Le probl�me de cette affaire est que ce sont eux qui auraient le plus int�r�t � ce que la politique retrouve son int�grit� pour �uvrer au service de l'int�r�t g�n�ral, et non de l'int�r�t particulier d'une minorit� en position sociale confortable. Si l'on compare avec d'autres pays d'Europe, on s'aper�oit aussi que les citoyens votent plus, ont davantage confiance en leurs �lus, tandis que les partis politiques bannissent ceux qui discr�ditent la fonction politique. Il y a l� une belle le�on � tirer. Si les partis politiques veulent retrouver leur cr�dibilit� et sinc�rement faire revenir aux urnes ceux qui ne leur font plus confiance, ils doivent alors changer leur politique d'investiture et leurs pratiques. Concr�tement, cela veut dire en premier lieu qu'ils doivent exclure de leurs rangs un �lu d�finitivement condamn�, qui doit d'ailleurs �tre in�ligible � vie, sinon pourquoi un juge, un policier, un journaliste ou tout fonctionnaire devrait avoir un casier judiciaire vierge pour exercer ? Par ailleurs, les citoyens doivent �tre associ�s � la prise de d�cision et au contr�le de gestion pour les sujets qui les concernent en ayant la possibilit� de saisir les juridictions de contr�le financier que sont les chambres r�gionales des comptes et qui devraient devenir de v�ritables juridictions. Ensuite, ce qu'on appelle le statut de l'�lu, comme ensemble de droits pour le d�tenteur d'un mandat �lectoral, doit devenir un contrat de mandat o� les droits sont assortis � des obligations de restriction de cumul, de formation �aux bonnes pratiques�, de transparence de patrimoine et de revenus, de bilan de mandat, etc. En outre, il va sans dire que ces mesures ne changeront les pratiques qu'� condition d'accomplir une v�ritable r�volution d�mocratique conjuguant la participation des citoyens � l'�laboration de contre-pouvoirs v�ritables et notamment de la justice. Car, enfin, la le�on principale � m�diter sur cette �tude, c'est bien que le jugement �lectoral des Fran�ais est plus s�v�re que ne le sont les institutions. Il faut ainsi remettre les choses dans l'ordre juste, si l'on peut dire.�