�Le lib�ralisme, c�est un renard libre dans un poulailler libre� : la boutade est du p�re Lacordaire. M�me si le monde est couvert de plumes et que les papilles de l�animal d�goulinent de sang, le lib�ralisme triomphant continue de diaboliser les r�sistances � l�aide de ce qu�on vend comme cette v�rit� d��vidence qui veut qu�il ait gagn� pour une raison, une seule : il est naturel. Le reste est stalinisme. Contre la pr�gnance du march� et contre son corollaire politique, la domination des puissances de l�argent sur les peuples ? Eh bien, c�est le renvoi aux dictatures, celle du prol�tariat en t�te. Pourtant, l�implosion du monde communiste et l��mergence du lib�ralisme � l��chelle de toute la plan�te n�ont pas lib�r� l�humanit�. Ils n�ont fait que substituer des cha�nes aux cha�nes dans un subtil troc. �Si Marx, comme Freud, comme Heidegger, comme tout le monde, n�a pas commenc� par o� il aurait d� �pouvoir commencer� (begining k�nnen), � savoir par la hantise, avant la vie comme telle, avant la mort comme telle, ce n�est sans doute pas sa faute. La faute en tout cas, par d�finition, se r�p�te, on en h�rite, il faut y veiller. Elle co�te toujours tr�s cher � et pr�cis�ment � l�humanit�. Ce qui co�te tr�s cher � l�humanit�, c�est sans doute de croire qu�on peut en finir dans l�histoire avec l�essence g�n�rale de l�Homme, sous pr�texte qu�elle ne repr�sente qu�un Hauptgespenst, un archi-fant�me, mais aussi, ce qui revient au m�me � au fond � de croire encore sans doute � ce fant�me capital. D�y croire comme font les cr�dules et les dogmatiques. Entre les croyances, comme toujours, la porte reste de �troite. Pour qu�il y ait du sens � s�interroger sur le terrible prix � payer, pour veiller � l�avenir, il faudrait tout recommencer. Mais en m�moire, cette fois, de cette �impure impure m�moire�. Par cette promesse d�attiser la m�moire de sorte � faire reculer l�amn�sie, Jacques Derrida cl�turait Spectres de Marx, un voyage sophistiqu� dans cette �spectropo�tique� dont �Marx aurait laiss� envahir son discours�. Le constat est simple, implacable : la chute du Mur de Berlin a consacr� ce nouveau dogmatisme qui s�auto-congratule de la mort du marxisme et de tout ce qui le fondait, c�est-�-dire aussi et surtout cette �essence g�n�rale de l�Homme�. Cellel� est indestructible, pourtant. Elle continue de sortir, intacte, des ruines du socialisme r�el. Elle hante comme jamais le �nouvel ordre du monde� reposant non point sur des fondations nouvelles mais sur un �acte de d�c�s�, celui du camp socialiste, donc du communisme, donc du marxisme, donc de Marx. Les s�ances de tir sur l�ambulance se d�roulent encore dans �la jubilation et l�obsc�nit� � que Freud (cit� par Derrida, en l�occurrence) �attribue � une phase triomphante dans le travail de deuil�. La r�surrection, on en est en plein dedans : �Le cadavre se d�compose en lieu s�r, qu�il ne revienne plus ; vive le capital, vive le march�, survive le lib�ralisme �conomique !� Que 1989 ait �t� l�un de ces �v�nements qui, dans une parenth�se d�illusion lyrique, d�butent un autre temps de l�histoire du monde, voil� encore une v�rit� d��vidence. Que ce temps ait entra�n� un basculement du langage, �un brouillage des fronti�res g�ographiques et celui des discours� (Olivier Mongin), c�est un autre constat d��vidence. Mais que la d�composition de l�empire communiste condens�e dans le geste symbolique de la destruction du Mur par les citoyens de Berlin-Est ( et, dans celui, avort� quelques mois plus t�t, des jeunes Chinois d�fiant les chars sur la place Tien Amen) qui les enfermait dans le totalitarisme signifie une victoire universelle de la d�mocratie, voil�, en revanche, un leurre qui continue d�illustrer la �d�sorientation �, la modification du cours de l�histoire et la survenue de nouveaux langages politiques. La rupture avec le totalitarisme communiste n�a pas port� ses fruits d�mocratiques, si tant est que c�en �tait le but. Au contraire, elle a ajout� � la confusion politique et conceptuelle en faisant d�g�n�rer le d�bat de la �fin de l�histoire� de Francis Fukuyama � la �guerre des cultures� de Samuel Huttington, de la pr�tendue victoire de la d�mocratie � une configuration o� la d�mocratie serait la �propri�t� priv�e� des vainqueurs de la guerre froide qui se r�servent le droit de la �bombarder � (parfois, au sens propre, comme en Irak) l� o� les int�r�ts �conomiques des puissances de la marchandisation du monde le commandent. La d�sorientation a pour cons�quence la transformation des mots et donc des rep�res. Que veut dire �la gauche� depuis le naufrage du camp socialiste, qui devait en �tre La Mecque exemplaire ? En Europe, elle est domin�e par le sociallib�ralisme. Ainsi, en France, on d�crit le futur probable duel pr�sidentiel entre Nicolas Sarkozy et S�gol�ne Royal avec le nouveau langage, d�sorient�, de l�apr�s 1989, en parlant de lib�ralisme de droite contre lib�ralisme de gauche. Le fait est que ce dernier ne vise pas la transformation sociale mais l�am�nagement du lib�ralisme de sorte � le rendre un peu moins injuste. La fatalit� lib�rale passe pour un fait de nature et non point pour l�articulation d��conomies nationales en d�sh�rence avec des firmes transnationales dans le contexte d�une mondialisation lib�rale qui fait du monde un march� ouvert pour elles. Pourtant, l�impossibilit� d��teindre cette �essence g�n�rale de l�Homme�, l�aspiration de ce dernier � la justice, le devoir social de se dresser contre les servilit�s contemporaines aux forces de l�argent y compris en puisant dans des doctrines politiques r�put�es avoir �chou�, r�v�lent la mise en cause de la l�gitimit� du lib�ralisme d�voreur de libert�s des peuples et des individus en ce qu�il les subordonne au pouvoir financier confondu avec le pouvoir politique. C�est celui-l�, le prix � payer. Un prix alarmant. Tout re-commencer ? Comment ? Que faire quand la seule exp�rience de �lib�ration� des �damn�s de la terre� s�est av�r�e elle-m�me un enfermement ? S�il a fallu plus de 70 ans au communisme pour s�effondrer de son impuissance � combattre la reproduction des in�galit�s et des oppressions contre lesquelles il est n�, en moins de 15 ans, le lib�ralisme, lui, aligne un bilan social proprement scandaleux. Le champ de l�alternative est large mais la gauche ne peut recouvrer son sens tendu vers la transformation sociale que dans une perspective antilib�rale. Sinon, pas moyen de distinguer la gauche de la droite. P. S. de l�-bas : Spectres de Marx de Jacques Derrida, �ditions Galil�e, 1993. L�apr�s 1989d�Olivier Mongin, Hachette Litt�rature, 1998. P. S. d�ici : Pour rester dans cette id�e de d�sorientation spatiale, temporelle, je ne savais pas o� j��tais ni quand en lisant que Soltani a d�clar� : �Je ne suis pas un d�tective priv�.� D�cid�ment, il y a des endroits d�o� on dit n�importe quoi.