D�ex-hauts responsables de l�Etat ont r�cemment engag� entre eux de vives pol�miques. Elles font suite � la diffusion d�un ouvrage de l�ex-Premier ministre Bela�d Abdesselam, consacr� aux treize mois d�activit� de son gouvernement. Sa mise en ligne a suscit� des �changes publics avec d�autres personnalit�s qui furent en charge de fonctions d�Etat tels que les g�n�raux en retraite Mohammed Touati et Khaled Nezzar, ainsi que d�abondants commentaires dans le Soir d�Alg�rie et de nombreux autres organes de presse et des medias. Anciens �d�cideurs� des institutions d�El Mouradia, des Tagarins ou du Palais du Gouvernement, ces personnalit�s mettent en cause leurs r�les respectifs au cours des ann�es 1990. Leurs arguments interpellent tous ceux qui furent t�moins et acteurs des �v�nements et des probl�mes mentionn�s dans leurs interventions. L�opinion que j�apporte ici, partielle et partiale, est celle d�un citoyen et militant qui, comme de nombreux autres, ont refus� et ont pay� pour cela le prix fort, de se plier aux diktats successifs du r�gime. Nous n�avons pas craint durant les d�cennies pr�c�dentes, alors qu�il en �tait encore temps, de mettre positivement en garde contre un certain nombre d�orientations officielles qui risquaient � terme de ruiner les espoirs de l�ind�pendance. Nous avions alert� en paroles et en actes contre le triomphalisme asocial ou antisocial des uns, qui pr�tendaient que l�Alg�rie, riche de ses ressources en hydrocarbures, allait conna�tre un boom �conomique qui en ferait le Japon de l�Afrique � l�horizon des ann�es 1980. Nous avions alert� sur l�illusion des autres et les dangers du genre d�unit� qu�ils voulaient imposer par le poids des armes et par le haut. Ils ignoraient les �volutions historiques et le nouveau contexte d�une Alg�rie lib�r�e du colonialisme gr�ce � une jonction volontaire dans l�action de masses ardentes et d��lites relativement politis�es. Dans un monde nouveau et une Alg�rie p�trie d�aspirations � la justice sociale, ils croyaient renouveler avec succ�s (sans le contenu la�c) l�exp�rience autoritaire du pouvoir militaire de la Turquie k�maliste. A contretemps et � contre-courant des aspirations de leur soci�t�, ils n�ont fait que reproduire des m�thodes de gouvernement d�pass�es, sans le contenu appropri� aux attentes de leur peuple et de leur �poque. Contrairement aux promesses du 1er Novembre 54, leur r�gime n�a en d�finitive apport� � la nouvelle R�publique alg�rienne ni la d�mocratie sociale ni une image �panouie et pacificatrice de l�id�al islamique. Les pol�miques et l�actualit� sociale Aussi voudrais-je d�abord, car les choses sont li�es, exprimer � l�heure de ces pol�miques r�trospectives entre ex-dirigeants, la peine et l�indignation, partag�es certainement par mes compatriotes, pour le g�chis sans nom, le cauchemar que vit la soci�t� alg�rienne � la veille d��ch�ances sociales qui n�ont jamais �t� aussi dures et alarmantes. Mon souhait est que, au moins au niveau de ceux qui ont agi par conviction sinc�re, les capacit�s d��coute r�ciproque, qui avaient fait d�faut, trouvent aujourd�hui � s�employer, pour sortir le pays d�une impasse qui ne r�jouit personne. En contraste, il est r�confortant de constater que, face aux proc�s d�intention qui emplissent les d�ballages officiels, des analyses pr�cises et des voix courageuses se dressent de plus en plus, soucieuses d�aller concr�tement au fond des r�alit�s d�une actualit� sociale et politique en mouvement. De r�cents articles de presse �cartent les diversions de clans et de personnalit�s, s�en tiennent aux faits tangibles. Ils interpellent les institutions, les partis et les organisations de la soci�t�, leur demandant � quoi elles servent si elles abdiquent leurs responsabilit�s sur le Front social (cf Ghania Oukazi dans le Quotidien d�Oran du 21 ao�t courant). Sur le terrain, les luttes sociales conscientes apportent de plus en plus leur pierre � un �difice national menac� de grandes l�zardes. On touche donc du doigt les d�faillances chroniques du mouvement national, sur le terrain social que nombre de militants du mouvement social et patriotique consid�rent � juste titre comme l��pine dorsale de la coh�sion nationale. La question du social est centrale. Je n�en aborderai pas ici les donn�es actuelles, mais je voudrais en souligner quelques enjeux. Il est possible � partir des pol�miques r�centes, de mettre en perspective la grave sous-estimation de cette question. Elle est confirm�e par l�exp�rience collective et un bilan que nul en Alg�rie aujourd�hui ne songe s�rieusement � r�cuser. Passer des pol�miques � de vrais d�bats Quelque opinion qu�on puisse avoir sur des arguments des uns et des autres, les th�mes abord�s aux plus hauts niveaux officiels fournissent en effet des indices substantiels sur des divergences internes rest�es longtemps frapp�es d�un tabou s�v�re. Quiconque osait nagu�re faire �tat d�un seul des griefs aujourd�hui mis sur la place publique, se voyait in�vitablement pers�cut�, calomni� ou soumis � des tentatives de pression, intimidation et r�cup�ration. A c�t� de ce timide retour � l�objectivit�, les faits mis en avant par les pol�miques m�ritent n�anmoins de nombreux compl�ments. Evoqu�s partiellement et sans liens entre eux ou avec d�autres faits soigneusement tus, ils laissent planer des ambigu�t�s de fond. Ainsi restent dans l�ombre les th�mes importants qui continuent � ce jour � faire lourdement probl�me: la strat�gie socio�conomique pour un d�veloppement durable, confondu trop souvent avec des flamb�es de croissance fragile et d�s�quilibr�e au profit d�une seule frange de la nation. Restent aussi en grande partie occult�s les nombreux liens de cette carence strat�gique avec les conflits �troits et politiciens d�int�r�ts et de pouvoirs. Des interactions qui ont �t� tragiquement illustr�es pendant la tourmente sanglante de plus d�une d�cennie, sans que l�Alg�rie en ait encore surmont� les cons�quences ni tir� tous les enseignements. Les arguments acerbes �chang�s par les ex-dignitaires laissent en effet l�impression que l�Alg�rie �tait victime d�une fatalit� externe contre laquelle elle ne pouvait rien, qu�elle n�avait pas d�autre choix que d��tre �cartel�e entre les termes de deux dilemmes insolubles, pr�sent�s par eux comme � prendre ou � laisser. Deux faux dilemmes pour un diktat permanent Un premier dilemme a pi�g� la nation en qu�te de rep�res de d�colonisation �conomique, en imposant deux pr�tendus rem�des : - soit un �tatisme autoritaire aux accents nationalistes purs et durs, mais d�vor� par la corruption et la �hogra�, un couple mal�fique descendant depuis les hautes sph�res pour se ramifier dans tout le tissu social. Les responsables avaient os� appeler cela du socialisme �sp�cifique�. - soit un lib�ralisme d�brid� soumis � l�Empire de la haute finance mondialis�e, ce lib�ralisme ultra fonctionnant lui-m�me (avec des moyens surpuissants) sur le m�me mode parasitaire que l��tatisme autoritaire sous-d�velopp� et avec les m�mes effets destructeurs des valeurs mat�rielles et morales. Faux dilemme d�ailleurs, car les deux options d�voy�es du r�le �conomique de l�Etat n�ont cess� d��tre li�es et se renforcer mutuellement de plus en plus par de larges passerelles et des connivences �troites. Deuxi�me faux dilemme, politique celui-ci, et imbriqu� avec le pr�c�dent : l�Alg�rie n�avait-elle d�autre choix que de patauger entre deux options aussi destructrices l�une que l�autre ? - soit la d�rive d�une pens�e unique et d�un h�g�monisme pseudo nationaliste ferm� � la diversit� politique et culturelle existante, - soit la d�rive du choc des identit�s, des id�ologies, des cultures et des sectarismes politiciens, sous l�alibi d�un pluralisme sans r�gulation fonci�rement d�mocratique. L� aussi, ces deux d�rives politiques, en apparence oppos�es et mises en �uvre par des structures de fa�ade, avaient en commun d��tre sous la t�l�commande unique d�un cabinet noir. Lequel, au nom de la haute s�curit� de l�Etat, confisquait l�interpr�tation des valeurs nationales, cautionnait et entretenait le sacrifice des droits sociaux et le m�pris du travail, au b�n�fice de la sp�culation et des r�seaux informels. Les deux d�rives n��taient que formellement contradictoires. Sur le fond, elles �taient et continuent d��tre conjointement g�n�ratrices de tensions et de d�gradations sociales aigu�s. Elles n�ont laiss� au pays d�autres voies et moyens de r�glement que par la violence arm�e et le poids de l�argent sale. Le probl�me fondamental sous-jacent Je n�aborderai pas aujourd�hui le d�tail de ces deux sortes de faux dilemmes. Ils m�ritent, je le souligne, de sereins d�bats clarificateurs. Je m�en tiendrai � un th�me qui me para�t essentiel pour �clairer les pol�miques surgies. Ce th�me fondamental, c�est celui de la D�mocratie, en actes et non en proclamations. Il est largement absent dans les arguments des uns et des autres. Dans le meilleur des cas, il est r�duit � l�id�e de coll�gialit� dans le cercle restreint des hauts plac�s et des bien nantis (le concept de �choura� joue le m�me r�le de substitut dans les cerces islamistes traditionalistes les plus ferm�s � l�id�e de d�mocratie). La lacune n�est pas due au hasard, elle colle � la racine des faux dilemmes dans lesquels on a tent� d�enfermer l�Alg�rie. Elle explique pourquoi les arguments des �d�cideurs� pour d�fendre leur bilan laissent une impression de flou, d�absence de perspectives. Ils s�en tiennent souvent � des plaidoiries ne d�passant pas les �v�nements ou les conjonctures contest�es. Sans r�f�rence aux normes d�mocratiques, il est difficile de comprendre pourquoi et comment sont devenus possibles les fourvoiements, les faux pas ou graves carences qu�ils se reprochent les uns aux autres. Comme si depuis les quinze ann�es �coul�es, une large exp�rience nationale et mondiale ne nous avait pas appris que l�absence de rep�res d�mocratiques op�rationnels, c�est pour une nation �bonjour les d�g�ts�. Rapports entre l�opinion et les �d�cideurs � Les r�actions de l�opinion nationale, gratifi�e par les ex-gouvernants de retours contradictoires sur le pass�, comportent forc�ment une part de subjectivit�. Une majorit� de citoyens d��us des institutions sont enclins � r�agir selon la formule populaire �Allah yqawwi chitanhoum � (que Dieu attise leur Satan r�ciproque). Fa�on d�exhaler une grosse rancune pour leurs espoirs trahis. R�action de joie maligne, compr�hensible et partiellement fond�e. Elle reste n�anmoins un peu courte, comme si, en exprimant une indiff�rence teint�e d�ironie, les gens consid�raient que ces �r�glements de compte� ne les concernaient pas. Pourtant, �quand les �l�phants se battent, tout ce qui peuple la for�t, animaux et v�g�taux, est pi�tin� et saccag�. Quel que soit le vainqueur ou le vaincu, les premiers � payer les frais et subir les d�g�ts occasionn�s par les seigneurs de la jungle, sont ceux qui vivent sur le terrain, qui en tirent leur subsistance et leur s�curit�. Aussi sont-ils les mieux plac�s et les premiers int�ress�s � rechercher comment agir pour �chapper � ces calamit�s. Les composantes de la soci�t� dans leur majorit�, peuvent-elles sortir indemnes des combats de chefs ? Peuvent-elles y trouver quelque avantage, quand ceux-ci semblent les prendre � t�moin pour s�impliquer en faveur des uns ou des autres ? Jusque-l�, la plupart des dirigeants avaient agi comme si le peuple ou les secteurs politiques et id�ologiques repr�sentatifs n�avaient pas d�opinion � formuler. Ils ne laissaient � ces derniers qu�une issue pr�tendue honorable : s�aligner sur le puissant du moment. Les autorit�s de l��poque n�avaient pas cherch� � les consulter s�rieusement et largement sur les d�cisions et les faits qu�elles remettent aujourd�hui sur le tapis. La caract�ristique de la plupart des cercles dirigeants depuis l�ind�pendance est d�avoir toujours voulu agir � leur guise et sans contr�le. Les activit�s ou positions qu�ils se reprochent mutuellement apr�s coup s��taient d�roul�es au-dessus de la t�te de leurs compatriotes. Le r�le des personnalit�s et le poids des probl�mes de fond La marginalisation voulue d�une grande partie de l�opinion �tait-elle imputable � la personnalit� et aux traits de caract�re des dirigeants en place ? Doit-on mettre tout sur le dos des ambitions et des temp�raments autoritaires, comme on l�a fait � tort � propos du culte de la personnalit� de Messali, y voyant la cause de tous les d�boires du mouvement national ? Ce serait une erreur de le croire. La personnalit� joue certes un r�le, mais toujours dans les limites d�un contexte, d�un rapport de forces sociopolitiques et de m�canismes globaux. Entre autres, le niveau de conscience et les capacit�s de mobilisation des diff�rentes couches de la population jouent un r�le appr�ciable et parfois d�terminant. A propos des reproches, fond�s ou non, que s�adressent mutuellement Touati- Nezzar et Bela�d Abdesselam, si ces personnalit�s n�avaient pas �t� au-devant de la sc�ne, d�autres personnalit�s appartenant au m�me syst�me dominant auraient assum� individuellement ou de fa�on coll�giale les m�mes orientations et m�thodes. Seules les modalit�s, la forme, les d�tails, le rythme et le calendrier auraient �t� plus ou moins diff�rents. Ainsi le voulait la logique de fonctionnement d�un syst�me, tourn� dans son ensemble vers la domination sans partage sur le champ politique et une r�partition discriminatoire des ressources humaines et mat�rielles, au d�triment des travailleurs, des salari�s et des couches populaires. D�s lors que l�Alg�rie est trait�e dans sa base populaire comme l�humble �h�chicha talba ma�icha�, � qui on d�nie sa place au soleil, elle exprime sa frustration comme elle peut, en silence ou spectaculairement. L�exode des cerveaux et les massives volont�s d��vasion d�sesp�r�es des � harragas �, la d�tresse des populations jeunes et f�minines, les �meutes locales � r�p�tition des ruraux ou citadins, l�abstention massive � l��chelle nationale aux derni�res l�gislatives, sont des indices flagrants de la non-solution des probl�mes de vie ou de survie de la communaut� nationale. De ces signaux plus qu�alarmants, on ne trouve pas beaucoup trace, ainsi que des m�canismes de leur gen�se, dans les arguments que se sont jet�s � la figure les exacteurs du �sommet�. Pourtant les carences correspondantes sont significatives et d�terminantes. Elles ont model� et continuent de modeler le sort de l�Alg�rie. Pourquoi ne p�sent-elles pas lourd dans les pr�occupations et les visions par le haut des acteurs technocrates ou bureaucrates, civils ou militaires ? Parce que m�me lorsqu�en th�orie ils sont au fait de ces probl�mes, ils agissent en prisonniers de l�engrenage oligarchique et autoritaire qui s�est mis en place � l�ind�pendance et m�me avant. Des capacit�s intellectuelles ou de bonnes intentions ne peuvent rien contre une vision �triqu�e et �litiste des m�canismes de prises de d�cisions et de r�partition des pr�rogatives de pouvoir. Les probl�mes de pouvoir sont-ils insolubles ? Non pas que la ma�trise des probl�mes de pouvoir soit sans importance. Les questions de pouvoir m�ritent au contraire une grande attention et une autre mentalit�. Elles avaient des chances de trouver des solutions viables et plus largement acceptables si elles avaient �t� �nergiquement subordonn�es au v�cu et au sort des couches populaires, ainsi qu�� une conception large, non clanique et client�liste de l�int�r�t national. Faute de quoi, comme c�est le cas aujourd�hui, les probl�mes de gestion et de pr�rogatives ne peuvent que s�envenimer et d�boucher sur des impasses qui discr�ditent le syst�me, mais sont surtout pr�judiciables � l�Alg�rie. Il en sera ainsi tant que les responsables continueront � aborder l�exercice du pouvoir de la m�me fa�on tronqu�e et unilat�rale, dans l�espace clos et le domaine r�serv� d�une �famille r�volutionnaire�, vraie ou usurp�e. Une �famille� coopt�e et parcourue d�intrigues et de chausse-trapes, mais dans tous les cas d�pass�e, aveugle et sourde aux synergies et aux contradictions qui font la vitalit� d�une nation en �volution. Emp�tr�s dans leurs querelles intestines, eux et leur syst�me passeront � c�t� des probl�mes de fond, importants pour l��volution du pays et du monde, tant que leur pr�occupation dominante se limitera � celle de conserver ou conqu�rir le pouvoir pour eux-m�mes ou pour leur clan et client�le, tant qu�ils plieront les probl�mes de fond et leur solution � cette hantise. Pr�occup�s dans une telle optique � se faire valoir, � se distinguer de leurs autres coll�gues ou pr�d�cesseurs jug�s moins m�ritants et performants, ils perdent de vue l�essentiel : les uns et les autres se rejoignent dans l�art et la volont� de domestiquer �leurs� administr�s, les soumettre bon gr� mal gr� � leurs faits accomplis. Situer la fracture essentielle Autrement dit, dans une conception d�mocratique et d�int�r�t national, de gouvernement au service de la soci�t�, l�exercice du pouvoir n�a rien � voir avec la mentalit� et les m�thodes de propri�taire ou de patriarche tribal. Quelles que soient leurs qualit�s intrins�ques, la coupure d�lib�r�e des gouvernants avec leur soci�t�, leur autisme portent des coups fatals � la construction nationale. Car celle-ci est par nature une entreprise collective et consensuelle, quelles que soient les diff�rences et contradictions. Le peuple, proclam� par les Constitutions successives comme la plus haute autorit� souveraine, renvoie toujours son indiff�rence ou son m�pris � ceux qui dans les faits n�gligent ou m�prisent ses int�r�ts et sa dignit�. Les protagonistes des pol�miques en cours font comme s�ils ignoraient, sous-estimaient ou voulaient �luder ce probl�me fondamental. Le malentendu n�est pas seulement entre les ex-responsables engag�s dans les pol�miques. Il est essentiellement entre leurs collectifs pris globalement, et la majorit� de l�opinion. S�ils souhaitent aujourd�hui gagner r�trospectivement l�opinion � leurs bilans ou modes de gouvernance respectifs, c�est en grande partie parce que cette opinion a massivement pris conscience d�un fiasco. Non seulement du bilan global et objectif des quarante-cinq ann�es d�ind�pendance, mais du fait que le constat n�gatif est � mettre sur le compte d�une conception du pouvoir qui dans les faits a tourn� le dos au sigle officiel : RADP, celui d�une R�publique alg�rienne th�oriquement D�mocratique et Populaire. Dans les �hautes sph�res�, on a oubli� depuis 1962 le mot d�ordre des d�cennies de combat pour l�ind�pendance : la parole au peuple. Oubli fatal aux d�bats de fond n�cessaires et balis�s par des r�gles et m�urs d�mocratiques authentiques. On a remplac� ou d�voy� l�ouverture aux d�bats par des surench�res d�magogiques et des fuites en avant fondamentalistes. Inutile de chercher ailleurs la cause du d�ferlement de la corruption et des autres maux qui valent � l�Alg�rie un classement mondial lamentable en mati�re de d�veloppement humain, malgr� les ressources mat�rielles et humaines foisonnantes dont dispose le pays. Si l�opinion populaire qu�on cherche � prendre � t�moin ne veut plus rien entendre de ses dirigeants ou ex-dirigeants, c�est parce qu�elle a subi de leur part un triple rejet des principes et des pratiques d�mocratiques. En premier lieu, on a bafou� la d�mocratie repr�sentative (quel est le cr�dit national et mondial des �lections � l�alg�rienne ?). Mais aussi la d�mocratie participative � tous les niveaux (les autorit�s n�ont cess� de pourchasser les activit�s associatives et les initiatives collectives ou individuelles les plus l�gitimes et les plus conformes � l�int�r�t g�n�ral). Enfin, on s�est acharn� � �touffer la d�mocratie sociale, avec la r�gression et le laminage des conqu�tes sociales qui avaient honor� l�Alg�rie durant la d�cennie 1970 et qui ne demandaient qu�� �tre am�lior�es ou m�me �rectifi�es � et r�form�es, sous le double contr�le de la base et du sommet. Car la d�mocratie, ce n�est pas les effets d�annonce, c�est le contr�le de la prise des d�cisions et de leur application par l�ensemble des concern�s. Enseignements d�un constat Nos gouvernants sont d�phas�s quand ils brandissent certaines de leurs r�alisations ou succ�s partiels (sur lesquels il serait juste et utile de revenir). Ou encore quand ils s��tonnent de la grogne et de l�hostilit� populaires, �tendues jusqu�aux couches moyennes de la soci�t�. Ils n�ont pas encore compris � quel point le d�ni de la d�mocratie r�elle peut objectivement contrecarrer les r�alisations les plus authentiques et subjectivement discr�diter, d�voyer et d�courager les intentions les meilleures. Le mal du d�ni de d�mocratie d�passe le cadre des milieux parvenus au pouvoir par les moyens que l�on sait. Il est plus profond et atteint en fait de larges secteurs du champ politique, y compris ceux qui se r�clament de l�opposition. Les cercles dirigeants du moment ont toujours exploit� ce fait, en attisant les divisions, les d�voiements id�ologiques et les vell�it�s h�g�monistes de divers groupes d�opposants. Sous des oripeaux id�ologiques contradictoires, il s�est produit sur ce th�me des convergences au sein des diff�rents secteurs du pouvoir et des oppositions vraies ou factices. Les uns ont d�nonc� la d�mocratie comme un �koufr� �tranger � l�esprit de l�islam, � la morale et � la culture de leur pays. Ils ont trait� sciemment ou inconsciemment ses d�fenseurs d�antireligieux et de francophiles, Tandis que d�autres, y compris parmi ceux qui se r�clament de la la�cit�, ont consid�r� la revendication d�mocratique comme un luxe r�serv� aux pays �riches� ou �civilis�s�. Ce n�est pas un hasard si en 1990, ann�e cruciale o� se sont op�r�es des d�cantations et recompositions politiques contre-nature, ces m�mes milieux peu sensibles � la revendication d�mocratique, ont diabolis� chacun � leur fa�on la revendication sociale. Des courants se r�clamant de l�islamisme ont pr�n� un pseudo-syndicalisme soumis � l�affairisme, niant totalement les int�r�ts et diff�renciations de classe. Quant aux autres, il s�en est trouv� parmi eux qui ont associ� la pseudo-modernit� dont ils se r�clamaient, � une pr�tendue n�cessit� de bloquer toute action revendicative sociale et syndicale, sous pr�texte qu�elle serait une diversion aux efforts contre la mont�e des courants int�gristes. Ne se contentant pas de le proclamer, ils ont syst�matiquement contrecarr� sur le terrain les mouvements revendicatifs issus de la base, parfaitement l�gitimes et clarificateurs. C��tait le meilleur cadeau fait, d�une part � la d�magogie populiste des courants islamistes les plus agressifs, d�autre part aux milieux du pouvoir impliqu�s dans l�affairisme et la corruption, rod�s dans la r�pression antisyndicale et antipopulaire, fermant m�me les yeux sur la d�magogie des activistes int�gristes pour les pousser � la faute grave et � l�aventure. Certains �modernistes� d�nonceront bien plus tard le caract�re �rentier� du syst�me des �d�cideurs�. D�nonciation tardive, plus par d�ception et alignement opportuniste sur des clivages et luttes de clans au sommet que par retour aux convictions premi�res qu�ils avaient h�tivement d�laiss�es ou m�me violemment r�prouv�es comme �tant des expressions d�archa�sme. Le coup a �t� dur, il a d�sorient� et divis� les foyers de r�sistance sociale et d�mocratique traditionnels, malgr� nombre d�initiatives et d�actions courageuses des bastions de cette r�sistance, comme les grands complexes de la sid�rurgie et des industries m�caniques, les travailleurs des ports, la paysannerie de plusieurs r�gions, les comit�s de jeunes ch�meurs, les comit�s pour les droits des Femmes, les intellectuels d�non�ant la torture et les atteintes aux droits de l�Homme etc. A partir de ce qui pr�c�de, on peut dans les conditions critiques pr�sentes se poser la question. Dans les pol�miques r�centes au sommet, que signifie l�absence de r�f�rence � la grave carence d�mocratique et sociale et � son lien avec les probl�mes de pouvoir ? Que cherche � justifier cette absence, comme si c��tait un fait normal auquel la soci�t� devrait s�habituer ? A quoi vise-t-elle ou peut-elle aboutir ? Ne va-t-elle pas servir une fois de plus pour les uns ou les autres des clans rivaux � justifier de pseudo alternatives institutionnelles non d�mocratiques ou m�me de changements anti-d�mocratiques ? Quels qu�en soient les auteurs, on les pr�sentera comme toujours comme le seul recours pour le salut d�une Alg�rie �puis�e par les �preuves et les mauvaises gestions pass�es ! Au total, les protestations et les r�actions subjectives ne suffisent pas � faire pr�valoir les bonnes solutions. Elles ne peuvent pas � elles seules limiter les effets destructeurs des app�tits de pouvoir d�o� qu�ils viennent, quand le pouvoir est con�u en coupure avec les aspirations et besoins de la soci�t�. Les solutions, y compris les ruptures n�cessaires, ne peuvent surgir que d�un double mouvement convergent : l�un issu des sph�res plus r�alistes et plus ouvertes dans les cercles institutionnels et l�autre issu des couches de la population ayant acquis la capacit� de se mobiliser avec un niveau de conscience � la hauteur des changements positifs souhait�s et n�cessaires. Le d�bat pour un renouveau national reste possible Les le�ons concr�tes de l�exp�rience sont de nature � favoriser ces �volutions. Aussi, les d�ballages actuels peuvent s�av�rer utiles � la refondation de la vie politique, mais seulement en s�appuyant sur les enseignements du r�el. Bien que ces �r�glements de comptes� apparents �vacuent la question centrale de la d�mocratie et du social, ce qui est une faiblesse essentielle, ils fournissent m�me � leur insu quelques rep�res objectifs qui m�ritent d��tre mis enfin �nergiquement � l�ordre du jour. Les th�mes essentiels sont ceux li�s aux strat�gies �conomique et sociale de d�veloppement. Les deux strat�gies sont �troitement li�es, aussi bien dans un environnement international domin� par la main de fer de la haute finance mondialis�e, que dans les contextes nationaux pollu�s par les marginalisations antid�mocratiques et l�instrumentalisation des sensibilit�s identitaires l�gitimes des populations. Depuis l�ind�pendance, ces probl�mes ont suscit� des interrogations dans l�Alg�rie profonde soucieuse de pr�server un cadre d�existence vivable. Ces justes pr�occupations ont �t� contrecarr�es et d�voy�es par les luttes intestines que les dominants allument sur le dos des populations avec l�effet de r�duire leurs luttes l�gitimes � des grognes sans impact et des r�voltes improductives. Des r�ponses utiles peuvent surgir � travers des d�bats dont l�enjeu pour une fois ne serait pas de donner raison � X contre Y ou de cautionner l�alignement inconditionnel sur des personnalit�s ou des clans. La gravit� de la situation incite � aller au fond des choses, � d�passer les susceptibilit�s et les heurts du pass� non pour en ignorer les erreurs mais pour faire pr�valoir les analyses et les solutions les plus conformes � l�int�r�t g�n�ral. Ce genre de d�bats est devenu possible malgr� l�obstruction de cercles qui s�accrochent � l�illusion de cacher le soleil avec un tamis. L�exp�rience nationale et mondiale a commenc� � apporter des mat�riaux irr�futables aux interrogations rest�es � ce jour sans r�ponse. Le d�bat restera st�rile s�il est circonscrit au ping-pong des notables. Il peut au contraire r�ellement fructifier en actions porteuses autour des vrais probl�mes, �clairant les luttes et �clair�s par elles, faisant reculer les motifs de scepticisme et de r�signation. J�en voudrais comme exemple encourageant, citer parmi d�autres de plus en plus nombreux, celui de l�action r�cente des travailleurs et syndicats d�El-Hadjar. Ce complexe industriel, avec d�autres entreprises et chantiers d�Alg�rie, n�a cess� d��tre un phare dans les luttes pour l��dification et la justice sociale depuis l�ind�pendance, Il vient � nouveau malgr� sa privatisation, de proclamer dans les faits que l�Alg�rie, ses biens, sa population et ses espoirs ne sont pas � vendre au bazar des multinationales. Les ressources nationales et le travail humain doivent �tre honor�s � leur juste valeur et non jet�s en p�ture � la voracit� des affairistes nationaux et internationaux. Il n�y a pas de d�veloppement �conomique et de coh�sion nationale sans d�mocratie sociale et respect du monde des travailleurs. L�Alg�rie a droit � une stabilit� d�mocratique porteuse de bien-�tre mat�riel et moral. Quel avenir ? Ne devrait-on pas m�diter un �pisode crucial de notre histoire contemporaine ? L��v�nement a marqu� en octobre 1988 une bifurcation n�faste quand les espoirs pointaient s�rieusement de mettre fin � l�aberration du syst�me �touffoir de libert� et de prosp�rit� instaur� � l�ind�pendance. En quoi a consist� le choix mal�fique impos� par le syst�me pour se survivre ? Quelle logique profonde s�est-elle aggrav�e � ce moment pr�cis jusqu�� transformer l�Alg�rie en proie impuissante du brasier o� elle allait tomber sous peu ? Comment les clans rivaux au sommet ont-ils cru trouver une issue � leurs d�chirements ? Ils ont d�cid� de frapper un mouvement de masse syndical, celui des milliers de travailleurs conscients, organis�s, disciplin�s de la zone industrielle de Rouiba-Regha�a et de r�primer sauvagement �� titre pr�ventif� les dizaines de cadres syndicaux actifs de l�Alg�rois, parce qu�ensemble ils avaient projet� une puissante marche pacifique des travailleurs en gr�ve sur Alger. Ces clans rivaux au sommet ont pr�f�r� dans le m�me temps miser et sp�culer sur le d�ploiement destructeur de quelques centaines d�adolescents d�politis�s qu�ils ont d�cha�n�s contre les �tablissements publics (on aurait aim� que les d�ballages publics apportent quelque lumi�re nouvelle sur ces �v�nements). On conna�t les encha�nements diaboliques ult�rieurs. Les centaines de jeunes victimes mitraill�es en ces journ�es d�Octobre n�ont �t� qu�un sinistre et minime pr�lude des ann�es � venir. Comment aurait �volu� l�Alg�rie si les mentalit�s dominantes au pouvoir et les capacit�s de mobilisation consciente de la soci�t� avaient �t� autres ? N�est-il pas temps de dire � tous les niveaux de l�Alg�rie : Halte aux apprentis sorciers sur le dos de la nation ! Une fois de plus, pr�parons notre soci�t� � reprendre la parole et � mieux s�en servir ! �uvrons et apprenons ensemble � l��cole de la vraie radicalit�. Non pas celle qui se polarise sur les violences verbales ou autres et s�arr�te au constat des fl�aux spectaculaires qui frappent le pays. Faisons progresser la radicalit� qui se consacre � l�action unie pour d�voiler les causes des maux et en extirper les racines. Espoirs sans lendemains ? Notre peuple et ses acquis, y compris nos exp�riences douloureuses, n�en sont-ils pas dignes ? Il y a quelques mois encore, qui croyait que nos voisins de Mauritanie allaient r�aliser un d�but de perc�e d�mocratique avec sagesse et de fa�on dynamique ? On est certes loin de la vague de fond des peuples de l�Am�rique latino-indienne. Mais ces derniers n�avaient-ils pas connu eux aussi durant des d�cennies des probl�mes similaires aux n�tres ? S. H.