Commentant au vitriol le �d�sastre indochinois�, l��crivain Fran�ois Mauriac s��criait le 9 avril 1955 : �Il existe un cadavre quelque part dont toute la vie politique fran�aise se trouve empuantie.� Aujourd�hui, l�historien Alain Ruscio le paraphrase dans l�introduction de son Histoire du colonialisme. �Le cadavre du colonialisme, dit-il, empuantit toujours l�atmosph�re�. Quarante ans apr�s la d�colonisation, le cadavre pollue sans doute l�air encore plus fort. Normal, il est passablement d�compos�. Mais il reste l�, intact ou presque. Il remue chaque fois que les relations entre la France et un des pays de ses anciennes colonies, singuli�rement l�Alg�rie, tentent de normaliser leurs relations en le remisant encore plus loin dans le placard. Il bouge aussi, et souvent, pour perturber la vie politique interne de la France, bien �videmment, et celle de beaucoup de ses anciennes colonies. Il gigote pour servir les int�r�ts des uns ou des autres dans les batailles et les enjeux internes � l�ex-colonisateur ou aux excolonis�s. Il s�agite pour se porter au secours d�une position ou, par le contraire, d�une autre. Parfois, il se l�ve et recouvre, dans le fracas des m�moires, une nouvelle jeunesse. Et c�est � ces moments de r�surrection que de bonnes �mes constructives recommandent de tourner son regard vers l�avenir. La visite de Sarkozy � Alger n�a fait qu�exciter un peu plus le cadavre, d�j� saisi de fi�vre depuis plusieurs ann�es. Dans un bras de fer qui �volue en fonction des al�as politiques d�aujourd�hui, le colonialisme est convoqu� au chevet de la m�moire soit comme source de bienfaits � effets r�troactifs, soit comme un grand drame r�dhibitoire. La position de rupture du pr�sident fran�ais, otage de l�aile excessive de l��lectorat qu�il a �emprunt� au leader d�extr�me droite, a fort heureusement quelque peu �volu�. M�me si cette �volution est davantage due au r�alisme �conomique qu�aux symboles, elle est bonne � prendre. Le Canard encha�n� r�sume par la satire le Troc : �Les Alg�riens veulent de la repentance ? Pour 5 milliards d�euros de contrats, ils en auront pour cinq lignes�. Ce seront les suivantes : �Oui le syst�me colonial a �t� profond�ment injuste, contraire aux trois mots fondateurs de notre r�publique : �libert�, �galit�, fraternit�.� Et le contrepoint vient aussit�t pour r�tablir la sym�trie des souffrances : �Mais il est aussi juste de dire qu�� l�int�rieur de ce syst�me profond�ment injuste, il y avait beaucoup d�hommes et de femmes qui ont aim� l�Alg�rie avant de devoir la quitter.� C�est toujours mieux que les d�clarations p�remptoires sur la n�cessit� d�en finir avec cette �mode ex�crable de la repentance� et �la d�testation de la France et de son histoire�. Il ne s�agit pas d�aimer ou de d�tester la France et son histoire mais simplement de reconna�tre que la colonisation est coupable de crimes et d�abus que le m�decin Paul Vign� d�Octon (1859-1943), d�put� de l�H�rault de 1893 � 1906, consignait dans un rapport �labor� � la suite d�une mission en Afrique du Nord qu�il avait obtenu de mener de 1907 � 1909. Il �crivait en introduction de son rapport : �Dans la sueur du burnous�, j�expose les crimes et les abus dont se rend journellement coupable notre administration, tant civile que militaire, � l��gard des indig�nes de nos possessions nord-africaines�. Il cite : �Exactions, refoulement, spoliations, iniquit�s fiscales, mauvais traitements, toute cette flore de cruaut�s et d�injustices, dont le soleil d�Afrique semble faciliter la croissance et l��volution�. Ces lignes ont �t� �crites il y a cent ans. Personne ne pouvait alors s�imaginer qu�un jour, les pratiques pr�cises d�crites par le medecin-d�put� seraient r�vis�es en fondements d�un syst�me dont on peut s�enorgueillir des bienfaits et dont la marque est visible dans les volumes hausmaniens des rues alg�riennes. Pour �tablir cette sym�trie des souffrances cens�e noyer l�injustice structurelle du syst�me colonial, on d�cline la douleur des victimes civiles des deux c�t�s. Bien s�r que les Europ�ens ont aussi souffert de devoir quitter ce pays qu�ils aiment sans conteste, l�Alg�rie. Bien s�r qu�ils ont raison de le dire haut et fort. Bien s�r aussi, comme le soulignait Nicolas Sarkozy dans son discours de Constantine, que tous ceux qui sont venus en Alg�rie ne sont pas d�horribles exploiteurs. Pour autant, cela exon�re-t-il le colonialisme de ce p�ch� originel qu�est le viol de la souverainet� d�un peuple ? Cela efface-t-il tous les crimes dont l�histoire coloniale est ensanglant�e. Le probl�me de cette sym�trie forcen�e des souffrances, c�est qu�elle tend � faire oublier le syst�me inique contre lequel les colonis�s ont �t� oblig�s de prendre les armes plus d�un si�cle apr�s le d�but de ses crimes. Bien s�r aussi que du c�t� alg�rien, le radicalisme dans la non-reconnaissance des crimes de la colonisation est pain b�nit car il peut servir d��l�ment de chantage � comme cela a �t� le cas lors de ce voyage � dans des relations qui ont tout pour ne pas �tre simples. Bien s�r, enfin, qu�il ne peut pas s�agir de repentance car cette pratique � connotation religieuse n�a rien � voir avec la diplomatie. Mais il est n�cessaire de reconna�tre les crimes du colonialisme pour que cesse la construction l�gale en France de ces monuments � la gloire des extr�mismes comme celui de l�OAS. Pour que le cadavre cesse d�exhaler cette odeur pestilentielle, il est n�cessaire de laisser les historiens des deux rives travailler sereinement pour �tablir un r�cit de la colonisation reconnu des deux c�t�s. Il n�est pas possible de b�tir les relations auxquelles condamne la g�ographie en triturant l�histoire pour qu�elle parle contre la v�rit�. L�avenir des relations entre la France et l�Alg�rie n�est pas enracin� dans l�histoire qui les divise. Il est tourn� vers les jeunesses des deux pays pour qui cette histoire demeure pr�sente. On ne peut, sous pr�texte d�aller de l�avant, ni l�oublier ni la r�viser continuellement. Le cadavre risque encore de bouger. P. S. de l�-bas : La d�claration d�Angela Merkel contre l�Union m�diterran�enne de Nicolas Sarkozy n�arrange pas les affaires de ce dernier. Mais ne fallait-il pas s�y attendre ?