�Sonatrach a grandi � pas forc�s� Avec pour seuls soutiens celui du Chef de l��tat, du Ministre de tutelle et un certain nombre de hauts responsables de l��tat qui se comptent dans les doigts de deux mains.� Entretien r�alis� par Chafik Mesbah Chafik Mesbah : Pouvez-vous nous rappeler quelle �tait la composition de ce noyau, de la premi�re �quipe qui a particip� � l��pop�e de la cr�ation de Sonatrach ? Sid Ahmed Ghozali : Au d�part ce fut une �quipe forc�ment tr�s r�duite en nombre et en exp�rience au regard des exigences de nos ambitions. Je n�oublie pas qu�elle a eu ses martyrs, je pense notamment � deux ing�nieurs, deux des premiers responsables de �l�Exploration Production� Abdelmadjid Benalycherif et Aboubakr Mellouk, disparus avec trois autres cadres, en service command� en URSS, dans une catastrophe a�rienne survenue en ce p�nible jour d�octobre de 1972, dans le ciel de Moscou. Nous en avons perdu une quinzaine d�autres dans des crashs de petits avions de service en Alg�rie. Mais vous en donner une liste, comme �a � br�le pourpoint, serait me risquer � des omissions, ne f�t-ce qu�une seule, que je ne me pardonnerais pas. J�attendrai l�occasion de les �voquer un jour un � un. Au fil du temps, ce premier cercle qui a particip� � ce que vous appelez l��pop�e de la cr�ation de Sonatrach a donn� au pays beaucoup de ses fid�les serviteurs. Parmi eux, me viennent notamment en t�te au moins huit noms de Ministres de la R�publique. Et si j��tends mon souvenir � tout le champ de l��nergie et de l�Industrie, je m�aper�ois que ce secteur a fourni � la R�publique une vingtaine au moins de ses Ministres. Dont Tahar Hamdi ancien Directeur G�n�ral de Sonarem, d�c�d� l�an dernier, apr�s avoir surv�cu, pour ainsi dire, avec les profondes s�quelles des graves blessures que lui avait caus�es un attentat individuel en 1993. Parmi cette vingtaine de cadres nationaux, je ne peux m�emp�cher de citer les deux fr�res Keramane, Abdennour et Abdelwahab, ing�nieurs de formation et qui se trouvent au moment o� nous parlons dans une situation tellement injuste aux yeux de quiconque est au fait de leur moralit�, de celle de leur famille et des services qu�ils ont rendus � l��tat et � la nation. Deux noms, entre autres, sur lesquels il faudra bien revenir un jour quand il s�agira de r�gler objectivement la question essentielle des institutions de l�Etat, ins�parable de celle des hommes et des femmes en charge des affaires du pays. Comme je ne peux omettre le nom de Nordine A�t-Laoussine, premier Vice-pr�sident de Sonatrach qui a �t�, en ligne de front, de toutes les batailles des ann�es 1960 et 1970, et qui, en cette qualit�, fut au premier rang des hommes cibl�s dans la campagne de pers�cution qui fut men�e dans le secteur d�s le lendemain de la disparition de Boumediene. En le chassant de son pays, puis en le d�poss�dant de sa maison, le pouvoir alg�rien a fourni � la communaut� p�troli�re internationale un expert de renom. Il n�a pas h�sit� � r�pondre � mon appel pour servir l�Alg�rie dans mon gouvernement, dans les conditions difficiles que vous savez, comme Ministre de l��nergie et des Industries P�trochimiques. Il �tait pr�sent dans la salle o� fut assassin� Mohamed Boudiaf, � cot� de Abdennour Keramane - qui garde encore les s�quelles des �clats de grenade qui ont endommag� son �paule droite. Il est retourn� ensuite � ses obligations priv�es � l��tranger, comme convenu pr�alablement entre nous. Les �preuves douloureuses par lesquelles sont pass�s les serviteurs de l��tat dans notre pays, ouvriront-elles un jour les yeux d�un pouvoir politique enclin � m�suser du vocable de bonne gouvernance, tout en se montrant oublieux du fait que la bonne gouvernance c�est l�organisation des pouvoirs publics de mani�re � mettre l��tat au service des citoyens ? Et comment pourrait-il en �tre ainsi en l�absence de ces deux piliers de la gouvernance que sont les institutions et les hommes ? Continuer � fermer les yeux et � se boucher les oreilles, c�est cela qui nous expose sans cesse plus vite et plus durement � la mal vie d�aujourd�hui et aux d�sastres de la fitna d�hier et d�aujourd�hui. La recrudescence dans notre pays des destructions meurtri�res n�est autre chose que la continuation de la suite douloureuse de la non gouvernance. Dire qu�elle est une affaire de �vigilance des services de s�curit� c�est commettre une double injustice, envers les victimes et envers les services de s�curit�. Je clos ma r�ponse � votre question par le nom de Bela�d Abdesselam. A l�ind�pendance, il �tait notre a�n� par l��ge et plus encore par une exp�rience militante aguerrie, tant par les sacrifices personnels dont elle ne fut pas exempte, que par l�exercice de responsabilit�s au sein du Mouvement national et du FLN Mouvement de lib�ration. Membre tr�s jeune de la direction politique du PPA-MTLD il a �t� notamment en charge au sein du GPRA du suivi des �tudiants, qu�ils fussent sortis des rangs de l�ALN pour parachever des �tudes sup�rieures ou qu�ils fussent apr�s la gr�ve estudiantine du 19 mai 1956 engag�s dans des sections universitaires de l�OCFLN en Alg�rie et en France et du FLN en dehors de France. Premier PDG de Sonatrach en mars 1964, il a dirig� notre d�l�gation aux ren�gociations p�troli�res alg�ro-fran�aise. Il est rentr� dans le gouvernement au lendemain du 19 juin 1965 comme ministre de l�Industrie et de l��nergie. Je venais alors moi-m�me de quitter le gouvernement et lui ai succ�d� � la t�te de Sonatrach, que j�avais donc rejointe d�s le mois d�octobre de la m�me ann�e. Petit interm�de dans l�entretien, comment expliquez-vous cette bifurcation dans votre carri�re qui vous fait passer du p�trole aux Travaux Publics ? Ce fut aussi un interm�de et une digression dans ma vie professionnelle. Disons que cela fait partie des bizarreries propres � la vie publique. Nous �tions un jour d�octobre 1964. Alors que j��tais au c�t� de Bela�d Abdesselam notre chef de d�l�gation au cours d�un ni�me round des n�gociations p�troli�res alg�ro-fran�aise, je me rends au bureau du Pr�sident de la R�publique avec mon cahier de notes habituel. En fait, cette fois l� le Pr�sident m�avait appel�, non pour m�entendre, comme l�usage s�en �tait �tabli, sur l��volution des n�gociations, mais pour me notifier sa d�cision de me nommer � la t�te des Travaux Publics dans le remaniement minist�riel qui �tait en cours. Je sus plus tard qu�une personne relativement bien plac�e par ses fonctions aupr�s du Pr�sident, sachant que celui-ci �tait � la recherche d�un rempla�ant � Ahmed Boumendjel aux Travaux Publics, lui aurait souffl� qu�il ne pouvait trouver pour les Travaux Publics, personne plus idoine qu�un ing�nieur des Ponts et chauss�es, en la personne de Sid Ahmed Ghozali ! Je doute que le Pr�sident ait su qu�en toile de fond du conseil qu�on lui donnait, apparemment charitable � mon �gard, il y a eu une habile man�uvre pour m��carter gentiment du secteur de l��nergie�pour des motivations tr�s terre � terre dont seuls Belaid Abdesselam, moi-m�me et mon �sponsor - promoteur� connaissons les v�ritables ressorts. Bref, il fallait s�ex�cuter, tout simplement puisque le chef avait d�cid�. C��tait l��tat d�esprit de l��poque. Telle est la banale gen�se d�une infid�lit� de ma part au secteur de l��nergie, une digression que je n�avais pas recherch�e mais qui, gr�ce ou � cause du 19 juin 1965, allait �tre de courte dur�e. Trois mois apr�s avoir d�clin� le maintien au gouvernement comme m�y pressentait Houari Boumediene, je laissais le poste minist�riel o� Abdenour Ali Yahia me fit l�honneur de me remplacer et rejoignais la Sonatrach. � ce propos, convenez qu�il y a de quoi s��tonner que vous vous retrouviez � la t�te de Sonatrach apr�s que vous vous soyez d�marqu� du 19 Juin 1965 ? Pas forc�ment si on s�int�resse un peu aux raisons de mon geste et aussi aux motivations de Boumediene. Sa volont� �tait que le coup de force qu�il avait conduit f�t compris, non point comme une r�volution de palais visant � un changement politique radical, mais comme un sursaut r�volutionnaire contre ce que le nouveau r�gime appelait le pouvoir personnel. D�o� le souci de reconduire tel quel le Gouvernement de Ben Bella. Vous pensez bien que sans une telle motivation, Boumediene n�aurait pas tant insist� � ce que j�en fusse partie, moi qui, apr�s tout, pesais si peu sur l��chiquier politique. Seul membre non politique du gouvernement et le seul � refuser de rester, on peut imaginer que Boumediene aurait pu trouver une telle position insolite et m�me impertinente, voire hostile. En fin de compte il ne m�en a pas tenu rigueur. Il a r�agi en homme d��tat, comme il allait le montrer aussit�t en continuant telle quelle et sans h�sitation la strat�gie p�troli�re inaugur�e par son pr�d�cesseur. Seule l�histoire en dira assez de cette capacit� dont il a fait montre � faire le tri entre, d�un c�t� la politique en tant que gestion du pouvoir ou accomplissement d�ambitions personnelles et, de l�autre c�t�, la politique en tant que service des int�r�ts nationaux. Je pense que pour ce qui concernait ma personne, il avait bien compris au bout de quelques jours que mon geste ne proc�dait ni d�une quelconque manifestation d�amiti� ou d�inimiti� subjective, ni de l�expression d�une d�fiance politicienne � son �gard, mais ob�issait � une sorte d��thique morale en politique laquelle me dictait, que du moment que le Pr�sident qui m�avait nomm� avait �t� d�chu, je devais m�en aller par une sorte de devoir de respect institutionnel. Cette �incartade� du 19 juin, ne m�a pas valu que des amis aupr�s de certains secteurs des �Services� qui me fich�rent, � tort, comme �Benbelliste� pour le restant de mes jours. C�est une autre histoire� D�cid�ment je n�ai jamais regrett� le r�le que j�ai jou� avec mes camarades, sous le gouvernement d�Ahmed Ben Bella comme de Houari Boumediene. En m�me temps, je regrette tant que les jeunes d�aujourd�hui n�aient pas eu la chance, que nous avons eue nous, de relever des d�fis aussi passionnants que ceux auxquels nous avons �t� confront�s, mes camarades et moi-m�me. ! Quels souvenirs gardez-vous de l��quipe qui a mis en place Sonatrach? Une montagne de souvenirs. Impossible de la visiter instantan�ment, ni en si peu de place. Pour en rester � sa quintessence, je dirai cependant que ce fut, croyez le, une �quipe au sens fort et noble, un groupe fusionnel o� chacun des �l�ments a �t� essentiel. Celui qui vous en dirait �Moi je� ou c�est moi qui� ou sans moi etc.�, celui-l� sera pass� � c�t� de la r�alit� d�une aventure humaine exceptionnelle. Chacun des �l�ments, sommet de la hi�rarchie politique inclus, avec ses grandeurs et ses petitesses d�humain, y a jou� un r�le d�cisif. L� est ce que je crois �tre le plus �minent et le moins p�rissable des souvenirs que j�en garde. Form�e de cadres et ing�nieurs, provenant d�universit�s fran�aises, yougoslaves, am�ricaines, allemandes, sovi�tiques, roumaines, arabes et autres, forg�e au creuset de la mouvance nationale, cette �quipe a �t� le noyau dur autour duquel s�est cristallis�e la grande famille du secteur national des hydrocarbures � un rythme et avec une intensit� peu observables ailleurs. Que ce soit dans des structures universitaires alg�riennes ou internationales (�tats-Unis, Japon, Angleterre, France etc.) ou par la voie de stages pratiques, ou dans le cadre des projets industriels qui �taient lanc�s par dizaines sur la chaine des hydrocarbures, ce sont des milliers de jeunes Alg�riens qui sont all�s s�instruire dans des �coles ou des Universit�s, ou se perfectionner dans des entreprises exp�riment�es. Ils sont, presqu�en totalit�, revenus occuper les postes de travail pr�vus pour eux. Renforc�s par les effectifs h�rit�s des compagnies p�troli�res nationalis�es entre 1967 et 1971, ils ont contribu� au bout de quinze ann�es, � hisser la Sonatrach au niveau d�une soci�t� de standing international, avec un effectif de 120 000 employ�s. Pour en revenir � Sonatrach, comment fut elle per�ue dans son environnement propre comme dans les milieux officiels alg�riens ? C�est une question cl�. Elle oblige � des d�veloppements que je m�efforcerai � condenser. Je commencerai par un rappel d�apparence anecdotique mais significatif. Dans un num�ro de mars 1964 je crois, Le Peuple quotidien officieux de l��poque, commentait le d�barquement au port d�Alger des premiers tubes destin�s � la pose du 3e pipe, en ces termes ��ces tuyaux sont destin�s � Sonatrach, cet organisme monstre" (sic). Qu�est ce qui a pu bien inspirer � un reporter, sans doute des mieux intentionn�, cette qualification de Sonatrach alors qu�elle en �tait � peine au stade d�un d�cret et dont la substance se r�sumait � son PDG, Bela�d Abdesselam muni, en guise de bureau ambulant, de sa grosse serviette et assist� de deux ou trois collaborateurs ? Cette anecdote sugg�re que les vocables de gigantisme et �d��tat dans l��tat�, n��taient ni innocents ni spontan�s. Ils se sont grav�s, pour ainsi dire sur le front de Sonatrach d�s sa fondation. Ils lui ont coll� � la peau en s�insinuant dans les m�dias comme dans bien des t�tes, opinion et establishment politico bureaucratique confondus. Leur inspiration n�est pas sans lien avec les entraves en tous genres qui allaient s�accumuler sur les parcours de l�entreprise. Ni sans effets quant aux aboutissements des campagnes politiciennes qui, depuis la disparition de Houari Boumediene, n�ont eu de cesse que de la d�manteler, depuis sa cr�ation, et de ruiner le projet dont elle �tait porteuse. Ce projet, je l�ai dit, ne s�est jamais r�duit � la pose du �3e pipe� pas plus qu�il n�a tendu � la seule commercialisation directe de la part de p�trole qui revenait � l��tat au titre de sa participation dans le capital de l�ex-REPAL. Cela n�a pu �chapper aux compagnies r�gnantes sur les gisements dans leur lecture du d�cret de cr�ation de Sonatrach. Elles allaient tout tenter pour faire �chec au projet dont Sonatrach �tait la colonne vert�brale. Elles n�allaient pas d�nigrer Sonatrach sur les toits, c�eut �t� contre productif. Au contraire, dans les rencontres diplomatiques et autres r�ceptions mondaines, comme dans les m�dias, le �message� �tait empaquet� en commentaires admiratifs et en �loges flatteurs, du genre �...si jeunes vous avez su cr�er une entreprise gigantesque� un v�ritable �tat dans l��tat� Il y a certes plus m�chant que ce vocable dans le vaste r�pertoire des techniques de d�sinformation. Mais sa popularisation allait permettre avec le temps des effets bien plus destructeurs que son apparence de b�nignit� ne laissait pr�voir. Elle a grandement facilit� l��uvre d�autodestruction qui fut entreprise dans l�apr�s Boumediene. D�autres facteurs, internes ceux l�, ont jou� dans l�accr�ditation de cette image de Sonatrach. Je citerai p�le-m�le : le rythme et l�intensit� de son d�veloppement tous azimuts ; ses interventions dans des secteurs qui ne relevaient pas directement de son objet social �Sonatrach se m�le de tout et de ce qui ne la regarde pas disait-on� ; l�image d�figur�e de sa politique salariale, les heurts r�p�t�s avec la bureaucratie, principalement celle des Finances et du Plan, le tout couronn�, il faut le dire, par une communication publique, qui devait s�av�rer, je ne dirais pas insuffisante en intensit�, mais inappropri�e dans la forme et donc inefficiente au bout du compte. La conjonction de tous ces facteurs, ajout�e � la vuln�rabilit� institutionnelle qui caract�rise notre pays, ont fait que Sonatrach a grandi � pas forc�s, de secousses en situations de crise, au sein d�une opinion d�sinform�e donc au mieux indiff�rente, dans un environnement politico bureaucratique hostile. Un peu comme seule contre tous, avec pour seuls soutiens celui du Chef d��tat, du Ministre de tutelle (d�apr�s juin 1965) et un certain nombre de hauts responsables de l��tat qui se comptent dans les doigts de deux mains. Arr�tons-nous un instant � cet inventaire. Pouvez-vous l�approfondir un peu plus car c�est l� l�histoire politique et �conomique du pays que nous restituons� Voici bri�vement, quelques exemples : d�abord le d�veloppement intense tous azimuts de Sonatrach : au risque de me r�p�ter, je rappelle la longue et complexe s�quence selon laquelle s�ordonnent les activit�s p�troli�res d�amont en aval, de l�exploration-production, aux transformations industrielles et � la commercialisation, en passant par les transports terrestres et maritimes. Chacune de ces �tapes se ramifie elle-m�me en des services connexes. A l�ind�pendance, le tout �tait sous le contr�le de fait de compagnies �trang�res, � leur t�te l�ex groupe de l��tat fran�ais BRPERAP dont la strat�gie ne tendait � rien d�autre qu�� assurer co�te que co�te, la continuation de son empire p�trolier, au-del� du d�funt empire colonial. C�est en Alg�rie que s�est fond� cet empire p�trolier. La seule strat�gie autorisant la perspective d�une r�cup�ration future des ressources p�troli�res nationales consistait � doter le pays de moyens nationaux, hommes et outils �conomiques, capables de jouer le r�le �chu de facto aux seules compagnies �trang�res, � chaque maillon de la cha�ne p�troli�re. C�est � cette fin que Sonatrach a �t� cr��e. La feuille de route dont s�est dot� le premier PDG de Sonatrach, d�s son installation, est des plus clairement lisible dans l�embryon d�organigramme de premier �tablissement, soit une dizaine de Directions intitul�es : S�lection et Formation, Recherche et Production, Transport, Raffinage et P�trochimie, Projet Gaz, Commercialisation, �tudes �conomiques et Administration g�n�rale. Ce qui veut dire que Sonatrach est n�e avec une feuille de route, qui l�engageait d�s le lendemain de sa fondation sur des dizaines de fronts � la fois. Comment donner une id�e de l�ampleur des actions entreprises, de leur multiplicit� et de leur diversit� ? J�ai sous les yeux, une chronologie brute des �v�nements p�troliers alg�riens signal�s par les titres de presse entre 1877, ann�e du premier acte d�exploration au Nord de l�Alg�rie et l�ann�e 2000. Si je retiens, � titre d�indice d�activit�s approximatif, le nombre d��v�nements enregistr�s chaque ann�e, je note un indice �gal � 1 pour les 95 ans qui vont jusqu�� la date de l�ind�pendance ; une moyenne de 6 de 1954 � 1962 ; une moyenne de 100 pour les huit ans de pr�paration des nationalisations ; une moyenne de 100 pour les huit ans qui s�parent la nationalisation de 1971 de la disparition de Boumediene en d�cembre 1978 ; enfin un peu moins de 50 �v�nements par an pour les vingt ann�es qui vont de 1979 � 2000. Vous jugerez ! C�est pour rappeler que Sonatrach grandissait d�ann�e en ann�e � un rythme exponentiel. Plus elle grandissait, plus la perception d�organisme monstre, dont on l�affublait � sa naissance d�j�, trouvait cr�dit aupr�s de son environnement. Je me souviens de cet entretien que j�avais eu avec Ahmed Kaid quand il �tait Ministre des Finances, un homme qui, avec Ahmed Medeghri, entre autres, faisait partie, � mes yeux, de ces hommes politiques qui aux lendemains de l�ind�pendance, avaient une stature et un comportement d�hommes d��tat. J��tais all� l�alerter sur l��tat de blocage bureaucratique des projets de Sonatrach. Avant m�me de me laisser parler, il me dit sur un ton bougon et bonhomme � la fois �Sonatrach est un ogre !� C�est pour dire que cette id�e d�une Sonatrach qui investit trop, forme trop, mange tout sur son passage, une telle id�e a �t� instill�e m�me dans les t�tes les mieux intentionn�es des Alg�riens, y compris nos dirigeants les mieux arm�s intellectuellement. Il avait suffi � Ahmed KAID d�une description des choses de moins d�une demiheure pour se convaincre que ses services l�avaient tromp�. Il a d�nou� sur le champ une situation bloqu�e depuis des mois. Admettez que Sonatrach se fourvoyait aussi dans des secteurs qui ne relevaient pas du tout de ses comp�tences � Vous voyez bien que vous aussi, malgr� la distance du temps et avec les meilleures intentions du monde je crois, vous semblez succomber � ce climat que je d�crivais tant�t. Oui, il est arriv� et ce ne fut pas rare que Sonatrach intervienne dans des secteurs qui ne relevaient pas directement de son objet social stricto sensu : c��tait non point se fourvoyer comme vous dites, mais au contraire ne pas se d�tourner de la voie qui lui �tait prescrite par sa mission ! Car vous allez voir � travers de multiples situations, dont je cite quelques unes seulement parmi les plus significatives, qu�il �tait impossible et inimaginable que Sonatrach se cantonn�t � l�attitude bureaucratique qui aurait consist� � s�en tenir au strict domaine de sa raison sociale. Une telle attitude �tait dans notre esprit antinomique avec la raison d��tre m�me de l�aventure Sonatrach. Elle e�t �t� reniement de sa mission fondatrice. Sans compter que dans beaucoup de cas sp�cifiques, elle eut signifi� contravention de fait � des ordres dict�s � elle du sommet de l��tat. De surcro�t, l�avancement intense et acc�l�r� sur les maillons p�troliers proprement dits �tait lui-m�me forc�ment tributaire de besoins extra p�troliers : structures pour former les hommes ; habitations pour que ces hommes puissent se loger pr�s des nouveaux p�les p�trochimiques ; eau industrielle pour alimenter les unit�s composant ces p�les ; installations portuaires sp�cifiques ; nouvelles autres infrastructures (routes et pistes) pour acc�der � des zones d�exploration vierges donc isol�es dans d�immenses territoires, cela sans compter les besoins de financements ext�rieurs, tant pour les investissements que pour l�exploitation. Attendre que la satisfaction de besoins imp�rieux f�t assur�e par les secteurs officiellement cens�s s�en charger ? C��tait condamner le secteur � lever le pied pour longtemps. C�est que le d�veloppement acc�l�r� du secteur des hydrocarbures avait � s�effectuer dans le contexte d�un d�veloppement national � deux vitesses, notre gouvernement n�ayant jamais eu, ou voulu, d�une politique d�am�nagement du territoire coh�rente avec l�ambition d�un d�veloppement national int�gr�. Cette incoh�rence majeure a plac� � chaque fois la Sonatrach devant l�alternative suivante : se r�signer et donc faillir � sa mission fondatrice, ou agir en se donnant les moyens qui relevaient certes de la comp�tence th�orique d�autres secteurs, mais que ces derniers �taient, soit parfois peu dispos�s, soit le plus souvent impuissants � fournir. C�est ce dernier choix qui a pr�valu. C��tait la nature de la mission autant que l��tat de mobilisation des esprits qui l�ont dict�. M. C. M.