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ENTRETIEN
LE CONTRE-AMIRAL JEAN DUFOURCQ AU SOIR D'ALG�RIE "La M�diterran�e et nous..."
Publié dans Le Soir d'Algérie le 30 - 03 - 2008

Le contre-amiral Jean Dufourcq est en retraite, mais pas en retraite intellectuelle. Il a fait co�ncider une carri�re op�rationnelle avec un brillant parcours acad�mique et anime en France une r�flexion autour du projet m�diterran�en si cher aux yeux du pr�sident Sarkozy. Nous avons jug� utile de l�interroger sur le d�bat en cours qui concerne, naturellement, l�Alg�rie, en particulier, et le Maghreb, en g�n�ral. Le th�me d�Union pour la M�diterran�e a �merg�, pour m�moire, lors de la campagne pr�sidentielle fran�aise en 2007. Il aborde en priorit� cinq grands volets, la culture, l�environnement, la recherche, l��conomie et la s�curit� qui structurent l�avenir de la M�diterran�e. Devenu un projet officiel que la France a pr�sent� aux pays riverains de la M�diterran�e et aux Etats europ�ens qui l�ont adopt� lors du dernier sommet de l�UE � Bruxelles, il a fait l�objet d�un expos� d�taill� du pr�sident de la R�publique fran�aise dans son discours de Tanger (octobre) et d�un relais dans celui de Constantine (novembre). Il a �t� consolid� par l�appel tripartite de Rome (d�cembre) et le compromis de Hanovre avec l�Allemagne (mars 2008). Un sommet de lancement est pr�vu � Paris le 13 juillet de cette ann�e.
Entretien r�alis� par Mohamed Chafik Mesbah
M. C. MESBAH : Vous �tes un �strat�giste� r�put� et vous vous consacrez au projet fran�ais d�Union m�diterran�enne ou, selon la nouvelle appellation, Union pour la M�diterran�e. Comment en �tes vous venu � cette activit� ? Quel est votre parcours professionnel ?
Qu�est-ce qui vous passionne dans la recherche acad�mique en strat�gie ?
Jean Dufourcq : Question difficile � laquelle je r�pondrai de fa�on lapidaire en gaulliste ; c�est une affaire de circonstances. Il a fallu l�effondrement sovi�tique au d�but des ann�es 1990 pour que mon m�tier et ma vie professionnelle changent profond�ment. Je suis alors pass� presque directement du monde op�rationnel tendu de la guerre froide sous la mer, le service silencieux comme disent les Am�ricains, au monde acad�mique feutr� de l�analyse strat�gique dans des institutions o� la marine nationale � laquelle j�appartenais jusque l� me semblait bien loin. Mais je dois dire que le service de la dissuasion nucl�aire strat�gique auquel j�ai modestement contribu� � bord du SNLE Le Tonnant (il s�agit d�un sous-marin nucl�aire strat�gique) dans les ann�es 1980 m�avait bien pr�par� � ce travail de r�flexion g�n�rale. En patrouille nucl�aire, la notion de temps s�estompe et j�ai beaucoup lu ; je me suis alors aliment� aux sources de la strat�gie et sp�cialement de son �cole fran�aise, Foch, Castex, Beaufre, Poirier, des ma�tres toujours actuels qui m�ont beaucoup apport�. Et puis �la chasse� dans les sous-marins d�attaque m�a fait sillonner toute la M�diterran�e que j�ai eu l�occasion de regarder longuement �d�en dessous � et en profondeur ! J�ai alors, je crois, pris la mesure de sa centralit� pour la France, pour l�Europe, de sa diversit� mais aussi de son unit� strat�gique comme matrice de nos cultures, support de nos civilisations et vecteur de notre avenir. Il �tait bien normal que je lui consacre ensuite une grande partie de mes travaux de recherche strat�gique. Il �tait bien normal aussi que la rel�ve politique occasionn�e par l��lection pr�sidentielle me mobilise et que je consacre un certain nombre de mes publications � essayer de penser la s�curit� des Fran�ais et la d�fense de la France au 21e si�cle. Depuis Rome o� je dirigeais l��quipe de recherche du Coll�ge de d�fense de l�OTAN, j�ai essay� d�apporter mes analyses aux candidats qui r�fl�chissaient. C�est pour moi la t�che et m�me le devoir des militaires d�essayer d��clairer leurs concitoyens sur les enjeux de s�curit� qui les concernent. Et c�est surtout vrai de ceux qui sont �loign�s des responsabilit�s directes et qui peuvent s�affranchir de la naturelle r�serve qu�impose la s�ret� des op�rations. Il faut penser et penser tout haut et ce n�est pas vrai qu�en France, cela vaut aussi au Maghreb.
La r�flexion strat�gique est, diton, en crise en France, c�est aussi votre avis ?
Je ne sais pas si elle est en crise mais je peux attester qu�elle est vraiment vivace comme ont pu le v�rifier sur la cha�ne de t�l�vision parlementaire tous ceux qui s�int�ressent aux travaux en cours de la commission du livre blanc sur la d�fense et la s�curit� nationale. Ca bouge. La pens�e strat�gique fran�aise est en pleine effervescence et l�on peut dire qu�un grand chantier est ouvert auquel travaillent des dizaines d�experts du minist�re de la d�fense, des affaires �trang�res, de l��conomie mais aussi de la soci�t� civile. Tout le monde s�exprime dans un certain d�sordre, c�est vrai et il n�y a pas d�accord sur tout, tant s�en faut, notamment sur l�OTAN, l�Iran, la Russie, la d�fense anti-missile, le traitement du terrorisme massif. Mais tous ces angles d�approche, c�est bon pour le d�bat. D�ailleurs le site de l�Ecole militaire o� je travaille maintenant a vocation � �tre l�un des centres d�animation de ce d�bat comme Alain Bauer l�a propos� au pr�sident Sarkozy dans un rapport qu�il lui avait command� sur la pens�e strat�gique en France. Ce qui est en crise en fait, et par seulement en France ou en Europe mais aussi aux Etats-Unis, c�est la ma�trise des grands enjeux du 21e si�cle qui, par bien des aspects, sont assez radicalement nouveaux. Les Occidentaux que nous sommes sont habitu�s � apporter des solutions concr�tes aux grandes tensions de la plan�te. Or il me semble que depuis la fin de la guerre froide, le monde a tendance � nous �chapper et que le traitement apport� aux probl�mes rencontr�s est en d�calage croissant avec les r�alit�s ; regardez en Afrique noire, au Sahel ; regardez dans les Balkans occidentaux, au Proche orient. Faut-il traiter d�abord les sympt�mes du terrorisme et de l�irr�dentisme ou s�attaquer � leurs causes ? On ne peut pas dire que la communaut� internationale, sous la conduite occidentale, ait vraiment r�ussi � �tablir les conditions d�une paix juste et d�un d�veloppement durable. Tout au plus a-t-on pu �viter des d�rapages sanglants, faciliter une certaine forme de stabilit� mais au prix de quelles approximations, en termes de justice, de droits fondamentaux, en termes d�avenir ! Mais qui a essay� de faire mieux ?
Revenons � la France et � ses d�bats.
Dans mon pays, et comme vous le savez bien, la r�flexion s�est beaucoup concentr�e sur le continent europ�en. Il faut bien dire que c�est dans le voisinage continental qu�ont d�marr� toutes les guerres qui ont meurtri la France. Les Alg�riens qui y ont vaillamment particip� savent cela mieux que d�autres. Aussi une bonne partie de la r�flexion strat�gique a tourn� autour de la stabilisation du continent par la construction europ�enne qui s�ach�vera en abordant les questions de s�curit� et de d�fense. Avec le trait� de Lisbonne dont l�impulsion revient � la France, la dimension europ�enne de la personnalit� strat�gique de la France est enfin assur�e de fa�on satisfaisante et sans doute irr�versible. Alors ne soyons pas surpris que la France lib�r�e de cette hypoth�que se tourne encore plus r�solument vers la M�diterran�e et le Maghreb. Elle a commenc� de s�y r�investir r�cemment avec la relance du processus 5+5 ; elle innove maintenant avec le projet d�Union pour la M�diterran�e, esp�rant tirer un meilleur parti de ce voisinage ancien et en accord avec les peuples qui en sont les h�ritiers naturels, tout en valorisant ceux qui constituent l�intelligentsia euro-maghr�bine. La M�diterran�e est apr�s l�Europe la deuxi�me zone de priorit� strat�gique fran�aise. Un troisi�me axe strat�gique ne manquera pas de faire l�objet de soins attentifs, celui qui porte la France � participer activement au renouvellement du syst�me du monde, au travers des actions que conduit l�ONU notamment dans le cadre d�un multilat�ralisme ambitieux. Effervescence, renouveau, ambition, � mon avis, plut�t que crise ou panne. Mais l�entreprise est ardue car le monde du 21e si�cle ne se laisse pas facilement enfermer dans les vielles bo�tes des analyses des si�cles pr�c�dents.
A propos d�intelligentsia euromaghr�bine, comment �valuez-vous ou, � d�faut, comment voyez-vous le r�le des �strat�gistes maghr�bins� ?
je n�en vois pas assez et je suis g�n� de ne pas savoir assez bien o� ils en sont. Il est difficile de penser � son voisinage strat�gique sans contact avec ses voisins. Bien s�r les contacts officiels des experts de l�administration existent et fonctionnent bien, notamment dans le cadre pratique du processus 5+5 mais pas seulement ; �a marche assez bien aussi dans le cadre de Barcelone, bien que celui d�Euromesco soit d�cevant. Pour l�Alg�rie depuis 2000 il y a aussi le cadre du dialogue m�diterran�en de l�OTAN. J�ai eu beaucoup de contacts avec ceux qui en avaient la charge � Rome et � Bruxelles. Mais nous manquons de contacts structur�s, r�guliers, confiants, dialectiques avec de vrais strat�gistes maghr�bins, des acad�miques comme on dit. Et n�y a t-il pas plus pr�occupant ? J�ai l�impression qu�il y a bien peu de contacts entre strat�gistes maghr�bins alors qu�ils ont tant d�incompr�hensions et de tensions � g�rer mais surtout d�int�r�ts communs � promouvoir. Vraiment je suis en faveur d��changes ouverts et r�guliers entre nous comme nous les pratiquons en Europe. Pourquoi pas un centre euromaghr�bin permanent d��tudes strat�giques pour se parler tous les jours? Chiche !
La situation strat�gique sur la plan�te est pr�occupante. Observez ces questions anciennes non encore r�solues, la crise du Proche Orient avec le devenir du peuple palestinien, et les nouveaux probl�mes qui s�amoncellent, l�acc�s � l�eau, � l��nergie et m�me les nouvelles menaces comme le terrorisme. Comment faire face � cet ordre mondial boulevers� ?
Franchement, je n�en sais pas plus que vous et notamment sur la question lancinante du devenir du peuple palestinien. Depuis toujours, j�ai l�intuition qu�elle ne trouvera de r�ponse que locale dans l�accord r�aliste des Isra�liens et des Palestiniens de bonne volont� et dans le cadre d�un seul Etat, sans pression ext�rieure. Pardonnez ma na�vet�. Pour le terrorisme massif, et malgr� l��vidente internationalisation des m�thodes et la �franchisation� des d�sespoirs et des frustrations locales je ne crois pas qu�il faille collectiviser les r�ponses ; chacun doit balayer sa cour avec soin et m�thode et rester solidaire de son voisin. Pardon pour cette deuxi�me na�vet�.
Mais alors, que faire dans ce monde compliqu� ?
Il me para�t essentiel que nous parlions ensemble de nos probl�mes entre voisins parce que je suis s�r que nous devons aborder les enjeux du 21e si�cle, ensemble, de fa�on coordonn�e et aussi solidaire. Pour moi, trois enjeux majeurs vont dominer le si�cle qui s�ouvre, la r�volution d�mographique, le d�fi �cologique et le grand bazar de la redistribution des march�s. Chacun nous touche ici en M�diterran�e. La r�volution d�mographique, d�abord ; elle conduit en 2050 � un monde beaucoup plus �plein�, mais avec des �carts et donc des d�s�quilibres nouveaux : 60% de la population mondiale en Asie ; deux milliards d�Africains pour un demi milliard d�Europ�ens ; les probables 100 millions de Maghr�bins et 160 millions de Latins qui leur font face ne seront qu�une goutte d�eau dans l�oc�an mondial, � peine 3,5 % de la population de la plan�te pris dans cette tenaille. Une nouvelle g�opolitique et une autre g�o-�conomie vont en r�sulter assur�ment qui bouleverseront les �quilibres et les solidarit�s actuelles. L�enjeu �cologique, ensuite et, avec lui, le spectre de la p�nurie g�n�ralis�e de mati�res vitales, eau, �nergie qui pourrait annoncer la fin du progr�s perp�tuel auquel nous nous sommes habitu�s. Comment allons-nous g�rer dans notre voisinage m�diterran�en ces questions, ensemble ou les uns contre les autres ; en partageant nos soucis et nos ressources ou en nous barricadant ? La redistribution �conomique qui se profile au d�triment des zones vides et au profit des espaces pleins qui vont concentrer les ateliers et les march�s ; des �carts vont se creuser et les m�thodes diverger. La mondialisation � laquelle nous commen�ons � nous habituer impose comme compl�ment la r�gionalisation ; allons-nous savoir la pr�parer et la conduire en M�diterran�e.
Ne prenez pas le large avec des perspectives aussi lointaines�
Mais ne pensez surtout pas que je prends pr�texte de ces perspectives de long terme pour m��vader du quotidien des probl�mes que nous avons d�j� � r�soudre aujourd�hui, le terrorisme, l�exclusion, les migrations sauvages, l�intol�rance qui sont autant de sources de frustrations, de dangers et de causes de mis�res et de d�tresses. Je vous dirai qu�on ne peut aborder ces difficult�s actuelles pour les r�soudre sans r�fl�chir � l�avenir, et les aborder en strat�giste, j�y reviens. C�est notre devoir d�ouvrir ces perspectives et d�attirer l�attention sur ce qui vient ou devrait venir pour que nous nous y pr�parions si possible ensemble, afin de d�finir des orientations en ligne avec le futur pr�visible. Nul ne doit ignorer que nous allons donc vers un monde toujours plus complexe ; un monde de plus en plus dense, dans la crise de l�adolescence d�un c�t�, dans les affres de la retraite de l�autre. Des exp�riment�s et des nantis d�un c�t�, des d�pourvus et des avides de l�autre. Il va falloir tous ensemble essayer de r�guler ces disparit�s, ces fissures, ces possibles discontinuit�s strat�giques. Et pour les traiter, adapter les syst�mes invent�s il y a plus de 60 ans par les puissants d�alors, qui ne seront bient�t plus que le cinqui�me des habitants de la plan�te ? Allons-nous vers une homog�n�isation ou une fragmentation de la plan�te ? La question m�rite d��tre �tudi�e. La th�se que je soutiens est qu�en 2050 le monde moderne qui aura affront� des d�fis encore jamais rencontr�s, ce monde aura mis durement � l��preuve l�actuel mod�le de d�veloppement qui a servi de r�f�rence universelle jusqu�� maintenant. Il aura alors du choisir entre les deux voies suivantes, soit une unicit� pr�serv�e dans une diversit� assum�e ; soit une fragmentation comp�titive d�bouchant sur une diversit� conflictuelle. Dans tous les cas, c�est en voisins proches et solidaires que Fran�ais et Alg�riens, que Latins et Maghr�bins, qu�Europ�ens et Nord-africains devront aborder l�avenir pour m�nager leur libert� d�action et le choix de leur destin, au moins dans cette partie du monde. C�est l� vraiment une question de strat�gie, pour conduire notre �vidente communaut� de destin et d�int�r�t au 21�me si�cle dans une plan�te de plus 8 milliards d�humains.
M. C. Mesbah : Vous focalisez votre int�r�t sur la M�diterran�e, mais n�est-ce pas une illusion, un concept largement utopique ? Avec toutes ces solidarit�s transversales qui la traversent - et la minent m�me -, le monde occidental, le monde jud�ochr�tien, le monde arabe et musulman, comment voulez-vous aboutir � une solidarit� unique ?
Jean Dufourcq : Vous n�avez pas tort; les processus m�diterran�ens ont du mal � cr�er une dynamique de paix et de solidarit�, encore moins une dynamique de d�veloppement coordonn� ; pas plus le processus de Barcelone lanc� il y a plus de dix ans que le dialogue m�diterran�en de l�OTAN ; tous deux tardent � porter de vrais fruits. C�est vrai que pour certains, la M�diterran�e c�est un couloir vers le Proche orient � s�curiser, pour d�autres un filtre Nord-Sud � organiser, et pour d�autres encore la douve infranchissable de protection d�une opulente citadelle. Toujours la question des repr�sentations. Et pendant ce temps-l� le fondamentalisme divise, les migrants se noient et les m�fiances continuent sans parler des conflits gel�s et des �pines envenim�es qui cr�ent des abc�s au Liban, en Palestine, au Sahara, dans les Balkans � Les raisons de douter s�accumulent et la M�diterran�e au lieu d��tre la passerelle esp�r�e entre continents, cultures et civilisations est un objet soumis � toutes les tensions des zones qui la bordent ; elle a tendance � additionner tous les handicaps et les interactions qui la traversent finissent par bloquer tous les efforts locaux. Seul pour l�instant le processus 5+5 a r�ussi � sortir son �pingle du jeu en raison de la bonne volont� et du r�alisme de ses acteurs. Je crois sinc�rement qu�on ne peut se contenter de cette r�alit� calamiteuse ni se laisser imposer de l�ext�rieur un choc de civilisation n� ailleurs, indigne de notre pass� mill�naire et incompatible avec nos grandes cultures. C�est pourquoi le projet d�Union m�diterran�enne constitue une sorte de r�action contre l�adversit�, une assurance contre les tensions inutiles, une fa�on de rendre aux M�diterran�ens les cl�s de leur avenir. Avec audace, il faut en faire un vrai laboratoire r�gional de la mondialisation en l�organisant au mieux des int�r�ts des riverains. C�est dans leur compl�mentarit� que se trouve la cl� du succ�s de l�entreprise ; c�est par des actions r�solument transm�diterran�ennes que l�Union pourra se structurer durablement en prenant en compte les besoins vitaux des peuples concern�s et en r�articulant leurs frustrations et leurs int�r�ts communs. C�est l� la valeur ajout�e de ce projet qui sans invalider la dimension euro-m�diterran�enne de Barcelone la compl�te d�une utile et pratique dimension interne transm�diterran�enne.
Pr�cis�ment, comment �valuez-vous le processus de Barcelone ?
Barcelone a �t� plomb� par la question palestinienne d�s l��chec d�Oslo. Puis par la concertation insuffisante dans la m�thode, les objectifs et les conditionnalit�s et le relais pris par la vaste politique europ�enne de voisinage dans laquelle la M�diterran�e est dilu�e. Tout cela a conduit � mettre Barcelone en panne comme chacun a pu le voir et le d�plorer lors de son 10�me anniversaire ; en panne mais heureusement pas sans r�sultats. C�est une base utile. Mais quelque chose de plus s�imposait, le transm�diterran�en. Le projet d�Union m�diterran�enne a surpris parce qu�il est apparu d�abord dans la campagne pr�sidentielle ; il a �t� imm�diatement pr�sent� aux Fran�ais et comment� par tous ceux qui �taient concern�s. Comme il �tait tr�s ouvert, il a fait l�objet de controverses et d�interpr�tations pas toujours bienveillantes (notamment par les experts de Barcelone) et comme souvent il a �t� instrumentalis� � des fins souvent complexes ou confuses. Les Allemands de leur c�t� l�ont jug� dangereux pour la coh�sion europ�enne et s�y sont oppos�s. D�autres sans le dire l�ont d�nigr�. Pourtant sa l�gitimit� profonde ne peut �tre mise en doute car elle est fond�e sur le droit des peuples m�diterran�ens � disposer eux-m�mes en priorit� de l�espace partag� qu�est ce carrefour ancien, ce continent maritime dont ils sont les premiers et principaux usagers. Il est bien normal qu�ils s�en pr�occupent. Mais comment tout cela va marcher, nul ne le sait vraiment encore ; on y travaille d�arrache pied. Ce sera au d�part une Union de projets transm�diterran�ens concrets centr�s sur le d�veloppement, le d�veloppement durable, s�curis� et solidaire et aussi sur le rapprochement des peuples et la satisfaction de leurs besoins imm�diats.
Que pensez-vous des avis qui estiment que ce projet m�diterran�en est un caprice diplomatique du Pr�sident Sarkozy pas le reflet d�une tendance lourde de la politique �trang�re de la France ?
je pense qu�ils ont tort de penser que les travaux conduits pendant la campagne pr�sidentielle fran�aise relevaient du sensible, du sensationnel ou du caprice. Les deux principaux candidats ont fait selon moi, mais beaucoup d�observateurs �trangers l�ont aussi relev�, une campagne de tr�s haut niveau politique, une r�flexion globale sur l��tat de la France et sur sa modernisation. Les Fran�ais ont appr�ci� qu�on les prenne au s�rieux et qu�on leur parle de leur avenir et de la mani�re de le conduire. Regardez le taux de participation aux �lections ; je suis assez fier pour mon pays et pour la d�mocratie de ce qui s�est pass� alors. Le projet d�Union m�diterran�enne faisait partie de ces d�bats. Et puis en France on parle tous les jours d�int�gration, �conomique et sociale, europ�enne, atlantique, alors parler d�int�gration m�diterran�enne ce n�est pas un scoop ni un caprice !
Ces divergences de vues, sur le projet et la d�marche, entre partenaires europ�ens, comment les d�passer ?
comme toujours entre Europ�ens, en se parlant, en s�expliquant, en n�gociant mais dans le respect des int�r�ts collectifs. Entre Fran�ais et Allemands, ce n�est pas la premi�re fois que nous devons aplanir des divergences ; je note qu�une fois que l�on a bien compris les positions de l�autre, il y a toujours de la place pour l�int�r�t g�n�ral qui conduit � un compromis que chacun ira vendre � son opinion publique comme une demi-victoire. C�est le jeu, le jeu de l�efficacit�, le jeu aussi de la prise en compte de la v�rit� de l�autre qui ajout�e � la mienne permet de gagner une v�rit� d�ordre sup�rieur. En l�occurrence, le projet d�Union pour la M�diterran�e se recentre maintenant sur Barcelone mais en d�passe les limites et en renouvelle la m�thode. On ajustera en marchant et on verra en 2010 o� on est sans doute sous pr�sidence espagnole de l�Union europ�enne, peut-�tre une Union pour l�Eurom�diterran�e ? Qui sait ? Ce qui compte c�est d�avancer ensemble en r�alisant des op�rations utiles � tous. Je suis pour ma part s�r que le transm�diterran�en n�a rien � craindre de l�eurom�diterran�en, et cela vaut �galement dans l�autre sens. D�ailleurs, j�ai le sentiment qu�on l�a bien compris � Rabat et � Tunis. Est-ce aussi vrai � Alger ?
En toute honn�tet�, ce projet compl�te ou s�oppose � la politique de puissance am�ricaine dans la r�gion ?
En toute honn�tet�, je ne pense pas que ce projet ait grand-chose � voir avec la politique am�ricaine ni le projet de Grand Moyen orient lanc� par le pr�sident Bush. Ici on est dans les affaires int�rieures de la M�diterran�e, pas dans la �Grande strat�gie� de la plus grande puissance militaire du monde. Dans le monde des strat�gistes tout n�est pas forc�ment li� � la politique am�ricaine ! Et l� ce n�est pas de la na�vet� mais de l�observation raisonn�e.
Revenons au projet d�Union pour la M�diterran�e. Quel est l�impact attendu sur les relations d�Isra�l avec le monde arabe, sur l�int�gration de la Turquie au sein de l�Union europ�enne et sur la r�alisation de l'Union maghr�bine ?
Bien s�r mais il n�a pas �t� con�u pour cela, quoi qu�on dise. Pourtant comme il introduit de nouvelles solidarit�s et va mettre en jeu autant les partenaires publics que les acteurs priv�s et concerner aussi les soci�t�s civiles, il ne peut qu�agir favorablement sur les trois dossiers critiques que vous �voquez. D�senclaver des pays isol�s, ouvrir des fronti�res, associer des investisseurs de toutes origines dans des projets dont tous les actionnaires seront b�n�ficiaires, voil� une excellente fa�on de sortir d�un certain nombre d�impasse h�rit�es de l�histoire de la g�ographie et de la fin des empires du 20�me si�cle, les empires austro-hongrois et ottoman, les syst�mes coloniaux et la machine sovi�tique. Solder ces h�ritages encombrants pour retrouver la logique de coop�ration r�gionale au travers de vrais projets transm�diterran�ens fond�s sur la libert� de circulation des biens, des id�es, des riverains et organiser la communaut� de destin et d�int�r�t r�gional dans le monde global actuel, voil� un beau d�fi � la hauteur des enjeux du 21�me si�cle.
Pour conclure, comment envisagez-vous l�apport des �lites maghr�bines � la r�flexion sur cette probl�matique, je vous le conc�de, essentielle � leurs pays...?
Laissez-moi revenir � mon r�ve qui est aussi un projet, celui de cr�er ici en Afrique du Nord (� Tunis ?) une �quipe de r�flexion strat�gique permanente, int�gr�e, avec quelques M�diterran�ens, maghr�bins et europ�ens, pour analyser ensemble les grands d�fis du monde qui vient et �clairer les peuples de M�diterran�e et leurs gouvernements sur l�avenir mais aussi pour veiller aux int�r�ts, aux valeurs communes et aux responsabilit�s � assumer ensemble. J�aimerai bien que les strat�gistes maghr�bins le portent avec moi, autant � Alger qu�� Tunis et Rabat.


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