Si les explications de la p�rilleuse volatilit� du prix du baril de p�trole, par l�inad�quation entre l�offre et la demande du brut, caus�e en particulier par la forte croissance de la demande de p�trole en Chine et en Inde, ou les explications par la d�t�rioration du pouvoir d�achat du dollar, sont jug�es infond�es, il ne reste plus (alors) que l�explication par la sp�culation, c�est � dire la cr�ation d�une bulle p�troli�re qui n�attend qu�un �v�nement d�clanchant pour �clater... Mourad Benachenhou Depuis le milieu du mois de mai de cette ann�e 2008, la hausse du prix du p�trole brut s�est dangereusement acc�l�r�e ; le prix moyen du baril de p�trole est pass� de 119 dollars le 16 mai � 140 dollars le 28 juin, soit une augmentation de 15% sur une p�riode de 6 semaines. La tendance � la hausse du dollar est vieille de 4 ann�es ; la p�riode � laquelle elle a commenc� � se manifester peut �tre fix�e � la seconde moiti� du mois de mai 2004 ; mais jusqu�au d�but de la pr�sente ann�e, le rythme d�accroissement du prix du baril de p�trole a �t� relativement mod�r� ; ainsi, ce prix est pass� de 28 dollars an janvier 2004 � 37 dollars en d�cembre de la m�me ann�e. En 2005, le diff�rentiel de prix entre les mois de janvier et de d�cembre n�a pas d�pass� 15 dollars ; pour 2006, il y a m�me eu une d�c�l�ration de cette tendance haussi�re, puisque 1 dollar seulement a s�par� le prix du baril entre janvier et d�cembre. En 2007, on a assist� � une acc�l�ration de la hausse, de 54 dollars en moyenne en janvier, il passe � 86 dollars fin d�cembre ; c'est-�-dire une diff�rence de 32 dollars, ou une hausse de 28% sur une ann�e. Le taux moyen mensuel d�augmentation n�a pas cependant d�pass� les 2,34%, ce qui est une hausse �lev�e, sup�rieure de plus de 5 fois au taux d�inflation international de la m�me ann�e. Mais depuis le d�but de 2008, on constate une acc�l�ration dangereuse de la tendance haussi�re du prix moyen du baril de brut, puisqu�il passe de 93 dollars d�but janvier � plus de 140 dollars au 28 juin, c'est-�-dire une hausse de 66% sur 6 mois, sup�rieure � la hausse de 40% sur deux ann�es entre janvier 2006 et fin d�cembre 2007. La Chine et l�Inde, coupables ? Les explications les plus populaires avanc�es pour expliquer la tendance haussi�re du prix du baril de p�trole ont mis en avant un fort d�s�quilibre entre l�offre et la demande de cette mati�re premi�re, d�s�quilibre qui aurait �t� caus� par l�acc�l�ration de la croissance en Inde et en Chine, qui a entra�n� une augmentation de leurs importations de p�trole et de produits p�troliers. Effectivement, entre 2001 et 2007, les importations chinoises de p�trole ont augment� r�guli�rement de 5 cent mille barils/jour, tandis que les importations de l�Inde ont connu une hausse de 100 mille barils/ jour. Donc l�accroissement de la consommation de p�trole dans ces deux pays aurait cr�� un d�s�quilibre entre l�offre et la demande de ce produit, ce qui, selon les tenants de cette th�se r�p�t�e ad libitum et en boucle � travers tous les m�dias �internationaux, � a entra�n� cette tendance haussi�re. Peut-on se fier totalement aux statistiques officielles ou autres publi�es sur l�offre et la demande de p�trole ? On aurait tendance � r�pondre positivement � cette question : le p�trole est une mati�re trop pr�cieuse pour que l�on fasse preuve de laisser-aller dans la compilation des statistiques qui peuvent avoir une influence sur le prix du baril de p�trole comme sur le sort de l��conomie de tous les pays de la plan�te, des plus petits aux plus grands. Mais si l�on en croit le communiqu� commun de la conf�rence de Djeddah sur l��nergie, tenue le 22 juin 2008, ces statistiques ne seraient pas aussi fiables qu�il appara�trait au vu de leur importance strat�gique, si ce n�est vital. Voici ce que propose ce communiqu� pour que les informations compil�es sur la production p�troli�re refl�tent la r�alit� et ne contribuent pas � entretenir le d�sordre dans ce march� : �Que la qualit�, le caract�re exhaustif et l�information en temps r�el sur les statistiques p�troli�res � travers l�initiative conjointe de donn�es sur le p�trole soient renforc�s pour am�liorer la transparence et la stabilit� du march�, les sept organisations impliqu�es dans cette initiative (Apec, Eurostat, IEA, IEF, Olade, Opep et UNSD) sont interpell�es pour commencer le travail de couverture des donn�es annuelles, qui incluent, entre autres, les capacit�s en amont et en aval et les plans d�expansion.� C�est l� la reconnaissance par toutes parties que touche le probl�me de la hausse du prix du p�trole, que les op�rateurs dans ce march�, producteurs, consommateurs et interm�diaires de tous genres, ne disposent pas de statistiques fiables pour permettre au march� dont ils sont les principaux acteurs, de jouer au mieux son r�le de fixation des prix en fonction de l�offre et la demande r�elles. L�Opep responsable ? Cette r�serve faite, il n�en demeure pas moins que les statistiques publi�es par les organes les plus cr�dibles, dont l�Opep et l�organisme officiel am�ricain en charge de cette activit�, intitul� �Energy Information Administration� n�indiquent pas un d�s�quilibre profond entre l�offre et la demande de p�trole, non seulement entre 2003 et 2005, mais �galement entre 2006 et le premier semestre de l�ann�e courante. Au cours des trois ann�es couvrant la p�riode cit�e en premier lieu, la production mondiale est pass�e de 79 millions six cent vingt mille barils/jour � 84 millions six cent trente mille barils/jour. Pour la m�me p�riode, la consommation, qui �tait de 79 millions six cent dix barils/jour en 2003, a atteint 83 millions six cent cinquante barils/ jour en 2005 ; � l�exception d�incidents qui ont eu un effet passager sur les productions mises sur le march�, ces chiffres n�indiquent pas l�existence d�un d�s�quilibre permanent, de caract�re structurel entre l�offre et la demande de p�trole au cours de cette p�riode o� l�augmentation constante du prix du brut a pris racine ; au contraire, l�offre a toujours d�pass� la demande, ce qui aurait d� justifier l�arr�t de la tendance haussi�re et le retour des prix � un niveau relativement mod�r�. Entre 2006 et 2007, la demande de p�trole a augment� de 2 millions de barils/jour par rapport � 2006, mais l�accroissement de l�offre a �t� plus mod�r� et relativement stable, se maintenant au niveau de 85 millions quatre cent mille barils/jour, avec un diff�rentiel par rapport � l�offre correspondant au plus au cinq pour cent d�erreur statistique acceptable, donc ne cr�ant pas une situation de d�s�quilibre entre l�offre et la demande telle qu�elle justifierait la brusque acc�l�ration des prix du brut qui s�est manifest�e au cours de la m�me p�riode. Depuis le d�but de l�ann�e 2008, les choses n�ont pas tellement chang� sur le front de l��quilibre entre l�offre et la demande, d�autant plus que certains pays pauvres ont d� r�duire leurs importations de p�trole, et que cet �l�ment n�a pas �t� pris en compte dans les statistiques publi�es. Il est � remarquer que dans la p�riode couverte, les pays membres l�Opep ont contribu� pour pratiquement 70% � l�augmentation des quelque cinq millions de barils/jour constat�s. Donc, il ne semble pas que l�on puisse �tablir, dans la p�riode couverte, un lien entre la hausse de la consommation de p�trole, qui n�aurait pas �t� accompagn�e par une offre ad�quate, d�un c�t�, et de l�autre la tendance haussi�re du prix du brut, tendance qui s�est dangereusement acc�l�r�e au cours de ces derniers mois, d�autant plus que les s�ries statistiques �tablies souffrent, suivant les acteurs principaux du march�, de d�ficiences � la correction desquelles ils appellent dans l�int�r�t des producteurs comme des consommateurs. L�affaissement du dollar, la bonne explication ? Une autre explication avanc�e est l�influence de l�impact de l�affaiblissement du taux de change du dollar par rapport aux autres principales monnaies de paiement international. Cette explication appara�t, de prime abord, raisonnable et acceptable pratiquement sans discussion, car il n�est pas n�cessaire d��tre au fait des moindres mouvements du march� des devises pour constater qu�effectivement le taux de change du dollar par rapport � l�euro, par exemple, a tendance � se d�t�riorer depuis la fin des ann�es quatre vingt dix du si�cle dernier. Cependant, apr�s examen plus attentif des s�ries statistiques relatives au prix du p�trole en comparaison, par exemple, du taux de change du dollar par rapport � l�euro, monnaie dont la stabilit� est garantie par les crit�res de convergence que tous les pays membres de la zone euro doivent suivre en mati�re de d�ficit budg�taire et de taux d�inflation, on constate que si ce lien valeur du dollar et du prix du p�trole existe effectivement, il n�explique pas enti�rement la flamb�e du prix du p�trole. Le dollar continue � �tre la principale monnaie de transaction pour les op�rations portant sur le p�trole ; les deux principales Bourses du brut libellent les prix des bruts de r�f�rence, West Texas Intermediate et North Sea Brent, en dollars. Seule la Bourse p�troli�re de T�h�ran, lanc�e au milieu de f�vrier de cette ann�e, accepte d�autres monnaies que le dollar, l�euro en particulier, pour �tablir les prix de r�f�rence sur brut n�goci� en son sein : mais ses transactions, qui couvrent au plus la production p�troli�re iranienne, �valu�e � quatre millions de barils/jour, n�ont pas d�impact visible sur l�acceptation de la r�gle suivant laquelle le dollar domine le march� p�trolier, entra�nant �videmment comme cons�quence que toute fluctuation de la valeur du dollar a une influence directe sur le prix du p�trole. Il n�est pas utile d�examiner les causes profondes, permanentes ou temporaires de la faiblesse du dollar par rapport � une monnaie structurellement stable comme l�euro. Il suffit ici de citer Bert Bernanke, l�actuel pr�sident du FED, c�est-�-dire la banque centrale des Etats-Unis. Voici ce qu�il a d�clar� en novembre 2002, et son analyse est, semble-t-il, toujours valide : �Comme l�or, le dollar a de la valeur seulement dans la mesure o� son offre est strictement limit�e. Mais le gouvernement am�ricain a une technologie, appel�e la presse � imprimer (ou plus r�cemment son �quivalent �lectronique) qui lui permet de produire autant de dollars qu�il veut, � essentiellement un co�t nul. En accroissant le nombre de dollars en circulation ou m�me en brandissant la menace cr�dible d�agir ainsi, le gouvernement am�ricain peut aussi r�duire la valeur du dollar, en termes de biens et services, ce qui est l��quivalent de l�augmentation des prix en dollars de ces biens et services.� Cette affirmation, venant du responsable de la plus haute autorit� mon�taire am�ricaine, se passe de commentaire, tellement elle est claire et justifie que l�on �tablisse un lien direct entre l��volution de la valeur du dollar et le prix du baril de p�trole. Si l�on suit ce raisonnement, toute d�valuation du dollar par rapport � la monnaie de r�f�rence stable qu�est l�euro influera en hausse sur le prix du p�trole exprim� en dollar. Si, par exemple, le dollar baisse de 10% par rapport � l�euro, le baril de p�trole libell� en dollar augmente de 10% ; par exemple supposant qu�au temps T le baril de p�trole est � cinquante dollars, et le taux de change du dollar par rapport � l�euro est de un dollar pour un euro, pour simplifier l�exemple ; une liaison automatique taux de change du dollar par rapport � l�euro et prix du baril de p�trole exprim� en dollar ferait que, au temps t+n, quelle que soit la p�riode couverte, si le dollar baisse par rapport � l�euro de telle fa�on qu�un dollar est �gal � quatre vingt dix centimes d�euros, le baril de p�trole devra passer � 55 dollars cinquante cinq cents. Le r�le central de la sp�culation Ce que l�on constate, en suivant ce raisonnement simplifi�, c�est que tel n�est pas le cas dans la r�alit� : la d�valuation du dollar par rapport � l�euro n�explique pas enti�rement le diff�rentiel entre l��volution du prix du baril du p�trole et la valeur du dollar. Le 7 janvier 2005, le prix moyen du baril de p�trole �tait � 35,16 dollars ; le taux de change �tait � 0,7590 euro pour un dollar, soit un baril � 26 euros 69. Au 28 janvier de la m�me ann�e, le baril de p�trole passe � 42,76 dollars, le taux de change ce m�me jour �tait � 0,76730 euro pour un dollar, soit 32,81 euros. Si la liaison taux de change du dollar/ prix du baril de p�trole avait �t� directe et automatique, nous aurions eu un baril de p�trole moins cher puisqu�on peut constater une l�g�re r��valuation du dollar par rapport � l�euro, plus d�euros �tant n�cessaires pour acheter un dollar ; le baril de p�trole aurait d� tomber de 1% et s��tablir � environ 34,8 � dollars ; en �tendant le raisonnement � une p�riode plus longue, par exemple entre le 7 janvier 2005 et le 28 juin 2008, p�riode pendant laquelle le baril de p�trole est pass� de 35,16 dollars � 140 dollars, soit une augmentation de presque 400%, et le taux de change euro/dollar de 0,7590 � 0,6334, soit une d�valuation du dollar de 12%, cette d�valuation aurait d� amener le baril � 39 dollars 37 ; le diff�rentiel de 140- 39,37= 100 dollars 63 ne peut �tre expliqu� ni par la d�t�rioration de l��quilibre entre l�offre et la demande, qui n�est nullement apparente � travers les chiffres publi�s, ni par la d�t�rioration de la valeur du dollar par rapport � l�euro. Ainsi, 160% du diff�rentiel du prix du baril n�a-t-il rien � voir avec la d�t�rioration du pouvoir d�achat du dollar par rapport aux autres monnaies-clefs de l��conomie internationale et probablement �galement avec le d�s�quilibre, difficile � prouver, entre l�offre et la demande de p�trole brut. C�est � ce point du raisonnement que se r�f�re probablement une autre recommandation essentielle de la conf�rence de Djeddah, recommandation ainsi exprim�e : �Que la transparence et la r�gulation des march�s financiers soient am�lior�es pour capturer plus de donn�es sur l�activit� des fonds index�s et pour examiner les interactions inter-march�s boursiers dans le march� du brut.� Les conclusions que l�on peut tirer de ce d�veloppement qui se fonde sur des statistiques officielles sont claires : au cours de ces cinq derni�res ann�es, il y a eu effectivement une hausse sensible des importations de p�trole brut par les pays � fort taux de croissance que sont l�Inde et la Chine. Cet accroissement a �t� couvert par l�accroissement de la production de p�trole brut, dont la plus grosse partie en provenance des pays p�troliers. Il est probable, comme le communiqu� de la conf�rence de Djeddah y fait allusion, que les statistiques sur l�offre et la demande de p�trole ne soient pas aussi fiables que l�exigerait le fonctionnement sans � coups de ce march� particuli�rement important pour le monde. Cependant, la marge entre l�offre et la demande de p�trole telle que refl�t�e par les statistiques actuelles est � un niveau d�erreur acceptable et permet de montrer que l��volution du prix du p�trole ne peut s�expliquer par un d�s�quilibre profond entre offre et demande. Il est reconnu que le dollar, pour diff�rentes causes, a subi une forte d�t�rioration de son pouvoir d�achat. Bernanke, l�actuel pr�sident du FED, donne une explication difficile � contredire des fondements de cette affaiblissement. Cependant, des calculs simples permettent d��tablir que la concordance que certains veulent � tout prix �tablir entre l�affaissement du dollar et la flamb�e du prix du p�trole n�est pas prouv�e. Donc, si sont jug�es infond�es les explications de la p�rilleuse volatilit� du prix du baril de p�trole, dangereuse pour les importateurs tout comme pour les exportateurs de cette mati�re premi�re vitale au bon fonctionnement de l��conomie mondiale : explications par l�inad�quation entre l�offre et la demande du brut, caus�e en particulier par la forte croissance de la demande de p�trole en Chine et en Inde, ou explications par la d�t�rioration du pouvoir d�achat du dollar, il ne reste plus que l�explication par la sp�culation, du type de pyramide Ponzi, utilisant les techniques informatiques modernes, et les m�mes techniques que celles qui ont conduit � la crise du march� hypoth�caire aux Etats-Unis et en Europe, c�est-�-dire la cr�ation d�une bulle p�troli�re qui n�attend qu�un �v�nement d�clenchant pour �clater avec les graves cons�quences qu�elle aura sur les pays exportateurs comme les pays importateurs. Les pays o� cette bulle a �t� g�n�r�e vont-ils prendre les dispositions qu�ils sont les seuls � pouvoir l�gitimement et l�galement prendre pour mettre de l�ordre dans la jungle de la sp�culation p�troli�re avant qu�un �v�nement impr�vu ne vienne crever cette bulle ? L�exp�rience de la bulle immobili�re prouve que rien n�est jou� et qu�apr�s avoir tent� de mettre le bl�me de la situation actuelle sur certains pays importateurs, puis, et simultan�ment sur l�Opep, et sur le cours du dollar, ils vont simplement attendre que la bulle s�effondre pour intervenir enfin.