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Devoir de m�moire et imp�ratifs scientifiques
Publié dans Le Soir d'Algérie le 20 - 07 - 2008

Lors de la publication dans les colonnes du Soir d�Alg�rie de l�entretien que le colonel Hamlat Yahia avait accord� � Mohamed Chafik Mesbah et o� �tait �voqu�e l�histoire de la premi�re promotion des cadres de la wilaya V, Addi Lahouari avait �t� cit� dans l�introduction dans une formulation qu�il conteste dans la forme et dans le fond. Nous prenons acte de cette mise au point adress�e, en fait, � Mohamed Chafik Mesbah, dans le but apparent de susciter un d�bat plus que de r�primander. Notre collaborateur, ayant pris connaissance du texte de Addi Lahouari, fera ses commentaires ult�rieurement.
Une mise au point de Addi Lahouari *
Dans une longue interview avec un ancien officier de l�ALN publi�e par Le Soir d�Alg�rie des 23 et 24 juin 2008, vous avez cit� mon nom � plusieurs reprises, me pr�sentant comme ��tant hostile � l�institution militaire�. Sachant le r�le historique de l�arm�e dans la cr�ation de l�Etat ind�pendant, cette pr�sentation me d�signe comme opposant � l�arm�e, donc � l�Alg�rie. C�est exactement cela que j�appelle �la culture politique Boussouf� qui voit des tra�tres partout et qui a �t� � l�origine de liquidations physiques de militants sinc�res durant la r�volution arm�e. J�ai �crit de nombreux ouvrages et articles sur le syst�me politique alg�rien et sur sa gen�se historique, dans lequel apr�s l�ind�pendance l�ANP, sous une forme non assum�e constitutionnellement, joue le r�le de pourvoyeur de l�gitimit�. C�est cette tradition h�rit�e du pass� de l�arm�e comme source de l�gitimit� que je r�cuse en tant que citoyen et qui est, de mon point de vue de chercheur en sociologie politique, � l�origine de la profonde crise dans laquelle est plong� le pays depuis de nombreuses ann�es. Avant de d�velopper cette hypoth�se, M. Chafik Mesbah, permettez-moi de clarifier un point essentiel qui �viterait des malentendus. Je ne suis pas �hostile � l�institution militaire� comme vous le pr�tendez, et les Alg�riens sont tous attach�s affectivement � leur arm�e, institution issue de luttes de plusieurs g�n�rations du mouvement national. A titre personnel, et � l�instar de milliers de jeunes form�s par l�universit�, j�ai eu une exp�rience enrichissante comme officier du service national qui a �t� l�une des meilleures p�riodes de ma vie. Les militaires que j�ai c�toy�s font partie de la soci�t� alg�rienne dans ce qu�elle a de meilleur et de pire, comme dans n�importe quel �chantillon de l�humanit�. Parmi les militaires, il y a des gens humbles et attachants comme il y a des gens qui le sont moins. Je garde en m�moire de mes dix-huit mois pass�s � Tamanrasset le souvenir de certains officiers dont la bravoure et l�int�grit� sont une source d�inspiration. J�ai eu l�insigne honneur de servir sous les ordres du commandant Trache Mahieddine, aujourd�hui colonel � la retraite, ancien maquisard au nom de guerre Si Ghaouti qui avait rejoint l�ALN alors qu�il �tait lyc�en. Je peux t�moigner de sa droiture, de sa rigueur, de sa simplicit� et de son sens de la discipline. Je suis convaincu que l�arm�e alg�rienne compte des centaines de Si Ghaouti, v�ritables hommes d�Etat, impr�gn�s de l�amour de la patrie et poss�dant une ouverture d�esprit et un sens des rapports humains qui imposent le respect. Il en existe y compris dans le DRS, � l�instar du commandant Si Salah, directeur r�gional de la S�curit� militaire � Tamanrasset (ann�es 1977-1979) qui �tait d�une perspicacit� hors du commun Je ne suis donc pas �hostile � l�institution militaire� comme vous le pr�tendez. Par contre, je suis contre la politisation de l�arm�e alg�rienne, c�est-�-dire contre le fait que le commandement militaire, � travers des subterfuges et des ruses, choisisse les dirigeants de l�Etat et les membres de l�Assembl�e nationale, en utilisant le service d�espionnage et de contre-espionnage pour en faire un parti politique clandestin au-dessus des lois. Pour moi, le DRS est un service de l�Etat qui a �t� d�tourn� de sa mission et s�adonne � des activit�s contraires � la Constitution. Il emp�che en un mot le fonctionnement de l�Etat, ce qui le met dans l�ill�galit� la plus totale et expose ses fonctionnaires � des poursuites judiciaires, pour peu que le droit prime sur la kalachnikov. J�ai la faiblesse de croire que ce point de vue est celui d�une majorit� d�Alg�riens, en tout cas de tous les d�mocrates, et probablement de certains militaires ayant le sens de la perspective historique et de la modernit� politique. Cette posture n�est en rien hostile � l�arm�e. L�Etat alg�rien a besoin d�une Arm�e forte, disciplin�e, professionnelle et dont les officiers seraient loyaux � la Constitution et au pr�sident de la R�publique, en tant qu�expression du suffrage populaire, seule source de l�gitimit�. Ce n�est pas le cas aujourd�hui, en raison de cette culture politique qui a marqu� le mouvement national et dont Abdelhafid Boussouf est l�illustration extr�me. Il n�y a pas d�ouvrages et de th�ses sur Boussouf � et c�est une lacune � combler � mais selon ce qui est rapport� par ceux qui ont collabor� avec lui ou l�ont approch�, Boussouf a �t� un chef nationaliste qui cultivait la suspicion au plus haut degr�. Son hostilit� � Ferhat Abbas, qu�il m�prisait et insultait publiquement, r�v�le sa haine pour les politiciens et les valeurs lib�rales. Son nationalisme � et c��tait un nationaliste � relevait de la mystique qui broyait tous ceux qui exprimaient une divergence avec ses vues. D�o� les pratiques de liquidation de centaines de militants du FLN, dont le plus c�l�bre est Abbane Ramdane. A l�ind�pendance, nous avons h�rit� de cette culture reproduite par la S�curit� militaire, devenue non pas un service de l�Etat au-dessus des divergences politiques des uns et des autres, mais le bras s�culier du r�gime qui l�a charg�e de traquer l�opposition (Mohamed Khider, Krim Belkacem, Ali Mecili et d�autres encore dont l�assassinat a �t� maquill�). Le r�gime qui a renvers� le GPRA en 1962 s�est appropri� l�Etat et s�est identifi� au peuple, d�clarant � qui veut l�entendre que toute opposition est une opposition au peuple alg�rien et � la Nation. C�est cela la grammaire Boussouf inculqu�e � des militaires qui consid�rent que s�ils ne contr�lent pas l�Etat, la Nation dispara�trait ! C�est la raison pour laquelle ces m�mes militaires cooptent et choisissent des civils � qui ils confient la gestion de l�Etat. Mais ces civils ne rendent compte ni � l��lectorat ni � la justice, d�o� la corruption, le gaspillage et la mauvaise gestion des ressources qui caract�risent tous les services administratifs de l�Etat coup� de la population. R�duite � un pouvoir ex�cutif, l�administration n�a aucune autorit� politique, d�o� la faillite de l��conomie nationale, l�archa�sme de l��cole, l�effondrement de l�universit�, le d�labrement des h�pitaux, l�arbitraire des tribunaux, la corruption g�n�ralis�e de tous les services, y compris celui des imp�ts. La crise ne tombe pas du ciel, M. Chafik Mesbah, pour reprendre la phrase d�un homme que vous admirez. Elle provient de ce que le gouvernement n�a aucune l�gitimit� et aucune autorit� politique, et n�est qu�un appendice des services de s�curit� qui lui confient des t�ches administratives. La cons�quence est l� devant nous : le quotidien des Alg�riens, riches ou pauvres, est amer, et tous r�vent de partir. Le ph�nom�ne de la harga illustre tragiquement le bilan de ce r�gime et de cette culture politique mystique qui l�habite. Pire encore, M. Mesbah, des centaines de milliers de jeunes cherchent � acqu�rir la nationalit� fran�aise que leurs parents, les armes � la main, ont refus�e. Des enfants de chouhada et de maquisards fouillent dans les archives familiales cherchant d�sesp�r�ment une attestation de service militaire dans l�arm�e coloniale pour entreprendre les d�marches de r�int�gration dans la nationalit� fran�aise. L�esprit Boussouf a vid� l�ind�pendance de son contenu et a donn� la victoire � la France trente ans apr�s l�insurrection de Novembre. On en est au point o� des jeunes reprochent � leurs parents maquisards d�avoir fait sortir la France ! Quel bilan ! La crise est l�, profonde et a pour origine une culture dans laquelle la vie n�a aucune valeur et pour laquelle l�individu n�a que des devoirs et aucun droit. Pour Boussouf et ceux qu�il a form�s et qui l�ont suivi, l�Alg�rie est une r�alit� mystique dans laquelle les Alg�riens sont dissous et n�ont aucune existence humaine. Mais qu�est-ce l�Alg�rie si ce n�est les Alg�riens en chair et en os ? Tuer un Alg�rien, torturer un Alg�rien n�est-ce pas tuer et torturer une partie de l�Alg�rie ? Voici le d�bat que nous devrions avoir un jour en public et dans les grands m�dias pour tenter d�expliquer et comprendre la crise actuelle et la frustration de la jeunesse et aussi pour trouver une solution de sortie de crise pour mettre fin aux souffrances de millions de compatriotes � qui il est interdit de faire de la politique, c�est-�-dire de choisir leur pr�sident, leurs d�put�s et leurs maires. Je n�ai jamais dout� du nationalisme de n�importe quel Alg�rien, mais lorsqu�on me soup�onne de ti�deur nationaliste, je me dis en moi-m�me : je suis face � un mystique (derouiche) dangereux pour la gestion des affaires de l�Etat, un mystique qui est une menace potentielle � la dignit� et aux libert�s de ses compatriotes. R�veillez-vous, Monsieur Mesbah ! Ce n�est pas parce qu�il y avait dans les rangs de la R�volution des maquisards admirables comme le colonel Ali Hamlat dit Si Yahya, que vous avez interview�, ou comme le colonel Trache Mahieddine dit Si Ghaouti, dont j�ai parl�, que nous n�avons pas le droit de porter des jugements sur la g�n�ration qui a lib�r� le pays. Me refuser le droit de porter un jugement sur Boussouf, chef national historique, c�est refuser � une g�n�ration le droit de juger la g�n�ration pr�c�dente. C�est inciter le pays � sacraliser son pass�, � fermer les yeux sur ses insuffisances et ses archa�smes, et c�est aussi le condamner � ne faire aucun progr�s. Je vous invite Monsieur Chafik Mesbah � relire ce que j�ai �crit et je vous d�fie d�y trouver quelque chose qui porte atteinte � notre arm�e ou � la dignit� de ses officiers. Par contre, vous y trouverez l�analyse des luttes politiques pour le pouvoir dans une soci�t� qui a connu la modernit� � travers la domination coloniale, ce qui explique bien des paradoxes, le premier �tant celui du populisme g�n�reux qui donne naissance � un Etat de corrompus r�gi par la loi de la jungle. Avec mes salutations patriotiques
L. A.
* Professeur � l�Institut de sciences politiques de Lyon. Ancien professeur de sociologie � l�Universit� d�Oran.
Former Fellow of the Institute for Advanced Study, Princeton, N-J., USA. Officier de reserve, classe 1977 C.


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