Sur les majestueux ch�nes bordant la �fontaine fra�che�, territoire d�pendant administrativement d�Azazga mais que la tradition orale attribue � Yakouren, vit une colonie de singes magot, les macacus sylvanus, dont la population est estim�e � 300 individus. Victimes de la d�gradation de l��cosyst�me, ils constituent une attraction touristique sur la RN12 pour de nombreux estivants du pays et de l��tranger qui les gavent de sucreries, les r�duisant progressivement � un �tat de d�pendance alimentaire et affective. Pollution de leur habitat Les habitudes n�fastes contract�es au contact des touristes et des passagers depuis plusieurs ann�es et la pollution de leur habitat n�ont pas �t� sans influer sur le mode de vie de ces primates combien diff�rents de leurs cong�n�res, les chimpanz�s. Quelles images rebutantes que celles de tous ces tas d�ordures m�nag�res qui prolif�rent au pied des ch�nes sur le passage des primates oblig�s d��voluer entre les d�tritus ! Tout comme ces eaux us�es qui coulent � ciel ouvert en se m�langeant dangereusement aux eaux pluviales et aux sources o� s�abreuvent les singes. Un spectacle d�solant qui cadre mal avec un paysage idyllique. Pour nous parler de la vie quotidienne de ces inoffensifs primates, Omar, un photographe, qui les c�toie chaque jour depuis huit ans, sait que son activit� nuit � bien des �gards aux singes qui l�ont adopt�. Un m�tier qu�il est pr�t � sacrifier pour le bien des primates mais depuis la g�n�ralisation des appareils num�riques et des portables, son travail fait figure d�activit� artisanale. Les singes magot r�duits � la mendicit� Le drame, c�est que la m�fiance des singes a tellement baiss� en raison de leur extr�me sociabilit� qu�ils viennent eux-m�mes qu�mander la nourriture dans la main de l�homme ou sur le capot des v�hicules. Il est loin le temps o� ils se tenaient � distance respectable de leurs �bienfaiteurs� et pr�ts � fuir au moindre danger. Cette mauvaise habitude n�est pas sans cons�quences sur leur comportement social et leur r�gime alimentaire. Chaque jour, Omar ram�ne dans sa sacoche deux kilos de bl� dur qu�il distribue parcimonieusement aux singes. Des graines que les macaques viennent manger dans sa main, parfois perch�s sur son �paule. Une alternative aux sucreries et autres friandises que les visiteurs offrent aux singes dont la dentition n�est de ce fait pas � l�abri des caries. Mais le danger est autrement plus s�rieux. Habitu� � �tre nourri par l�homme, le singe s�en accommode et perd le r�flexe d�aller chercher lui-m�me sa nourriture s�exposant ainsi au danger du changement du r�gime alimentaire qui bouleverse son m�tabolisme. Notamment chez les petits en rupture d�apprentissage dans la recherche des aliments indispensables � leur survie en milieu naturel. Et le r�le des associations de protection de l�environnement ? L�absence d�associations de protection des animaux inscrivant leurs actions dans la dur�e par la sensibilisation des citoyens, qui croient bien faire en gavant les singes de gaufrettes en �change de leurs fac�ties, ajoute � leur drame. A Yakouren, il n�existe m�me pas de panneaux de signalisation pr�venant de la pr�sence de singes qui traversent la RN12 o� de nombreux accidents sont d�plor�s avec comme principales victimes les petits. Et ce ne sont pas les visites conjoncturelles d�associations se revendiquant du r�le de protectrices de la nature qui changeront quelque chose au destin des primates, transform�s malgr� eux en animaux de compagnie. Faisant la joie des enfants auxquels ils r�pondent par des claquements de dents aux gestes os�s, les singes sont de plus en plus vuln�rables devant l�homme qui croit bien faire en les entourant d�attentions humaines, note notre primatologue de fortune. Le rite de l��pouillage Omar d�signe les primates par des surnoms qu�il leur a donn�s. Joe, un m�le adulte qu�il identifie comme �tant le chef du clan le plus populaire du site, est son pr�f�r�. �Il arrive que les singes ne sortent pas de leur habitat, notamment durant les grandes chaleurs quand Joe surgit de nulle part pour prendre place � mes c�t�s.� Tout comme Fifi et les autres qui accourent � sa vue en piaffant d�impatience. Le photographe conna�t bien les m�urs de ce groupe d�une trentaine d� individus qui vit � l�embranchement des A�t-A�ssi. �Quand deux groupes se rencontrent et que la menace d�une lutte pour la conqu�te de l�espace vital se pr�cise, le nouveau s�efface au profit des r�sidents.� Le groupe se subdivise quand il prend de l�importance et la lutte pour la conduite du clan est alors impitoyable dans ce syst�me de pouvoir pyramidal, d�o� les solitaires qui vivent en dehors de la horde apr�s avoir �chou� dans leurs tentatives de prendre la t�te du groupe. La p�riode du rut intervient en septembre/octobre, un signe des chaleurs tr�s perceptible chez les femelles qui courtisent les m�les en recourant � l��pouillage, comportement ritualis� traduisant une relation positive. Les chiens sauvages et les chacals : de redoutables pr�dateurs Les m�les participent � l��ducation des petits. Leur garde est une t�che partag�e entre les adultes apr�s un rituel dans une sorte de passation de consignes que Omar attribue � la structure sociale des singes magot. Il arrive fr�quemment que la colonie de singes change d�habitat le temps d�a�rer son g�te et de le d�barrasser des parasites pour revenir quelques jours plus tard. Les singes prisent les siestes durant les p�riodes de fortes chaleurs, poursuit le photographe qui constate et d�plore l�absence de solidarit� des primates avec les malades qui sont isol�s du groupe le temps de gu�rir ou de mourir. Heureusement que les magots cicatrisent vite, ce qui leur permet de r�cup�rer rapidement des blessures. Le photographe ambulant ne sait pas ce qu�ils font de leurs morts. Leurs grands ennemis se comptent parmi un groupe de chiens errants dont les mouvements se font sous haute surveillance. �Un jour je les ai vus d�vorer un jeune singe fauch� par une voiture�, d�plore Omar qui recommande de ne jamais regarder un singe fixement dans les yeux. Il ressent �a comme un d�fi et se sauve de crainte d�une confrontation. La fourrure des singes se renforce en hiver d�un poil long pour le prot�ger du froid. �Leur robe est de couleur jaune dor�e contrairement aux singes sauvages qui sont gris.� Quand �les dons� viennent � manquer En hiver, quand �les dons� viennent � manquer, ils �quilibrent leur alimentation en se nourrissant de racines, d��corces, d�insectes, de bourgeons� c�est l� qu�ils commencent � montrer leur d�pendance alimentaire. �Ils m�attendent alors en se grattant de joie � ma vue.� Les singes de Yakouren boivent l�eau des sources mais aussi celle provenant des r�seaux d�assainissement. En �t�, avec le d�ferlement des estivants, ils font grise mine devant les sucreries pour se rabattre sur les fruits de saison comme le melon et la past�que. Ils ne connaissent, cependant, pas les bananes qu�ils ne mangent qu�une fois �pluch�es. Des m�saventures, les singes en connaissent. Omar a eu toutes les peines du monde � lib�rer un singe de la corde qu�un braconnier lui avait pass�e autour du cou apr�s sa capture avant qu�il ne r�ussisse � prendre la fuite. Devenu craintif, le primate ne laissait approcher personne et la corde commen�ait � l��touffer au fur et � mesure qu�il prenait du poids. Joe, un chef ind�tr�nable Le Tout-Yakouren a �galement en m�moire ce jeune singe vol� par un automobiliste qu�il avait r�ussi � faire d�raper dans sa tentative d�sesp�r�e d��vasion. Le photographe est maintes fois t�moin de luttes impitoyables pour le contr�le du groupe et d�un territoire par les m�les adultes qui se livrent une guerre sans merci. Un jour son �ami� Joe a failli avoir la m�choire bris�e � l�issue d�un violent combat pour le contr�le du clan, lutte dont il �tait sorti vainqueur. C�est le prix � payer pour rester � la t�te du groupe avant de c�der un jour la place � un autre. Le clan le plus important et le plus stable reste, cependant, celui qui a pris place � c�t� de l�h�tel Tamgout. Un territoire strat�gique et s�r avec la proximit� d�un camp militaire. Les singes ont beau avoir l�air confiant, leurs sentinelles veillent au grain du haut des gigantesques ch�nes pour signaler la pr�sence d�intrus et crier au danger. Les singes �alli�s� des moudjahidine ? Ce n�est pas une l�gende. Un moudjahid de l�ONM d�Azazga affirmait, un jour, que les singes magot de Yakouren ont fait preuve, durant la R�volution, d�un comportement complaisant, voire partisan, envers les combattants de l�ALN. Ils ne trahissaient pas leur passage en observant un silence de mort au moment de leurs d�placements dans la for�t alors qu�� la vue des soldats fran�ais ils s�adonnaient � un boucan d�enfer pour pr�venir de leur pr�sence. Chose qui n�avait pas �chapp� aux colonisateurs qui se sont r�sign�s � l�id�e que �m�me les singes de Yakouren �taient contre eux�, avait poursuivi le moudjahid. Ce comportement social pour le moins bizarre des primates est vraisemblablement le r�sultat de mauvais comportements que leur infligeait la soldatesque coloniale dont il n��tait pas � �carter l��ventualit� qu�un jour ils auraient essuy� des tirs de la part des soldats, au contraire des moudjahidine qui ne troublaient pas leurs habitudes, ayant assimil� leur intelligence, leur mode de vie et leur syst�me social. Les �l�ments de l�ALN avaient compris, en les observant, que la vie en groupe de ces primates �tait rythm�e par un syst�me de communication �labor� � base de sons, d�attitudes et de gestes mimiques dont ils tiraient profit � l�occasion. Entre vie sauvage et vie domestique Le singe magot ( macacus sylvanus), dont la population au Maroc et en Alg�rie avoisine les 20 000 individus, d�apr�s les statistiques des chercheurs, reste une esp�ce menac�e, selon ces derniers. La vie semi-domestique � laquelle les a contraints la r�duction de leur habitat les expose � de multiples dangers. La colonie de singes magot de Yakouren illustre parfaitement ces craintes de voir s��teindre un jour une esp�ce r�duite � troquer les herbes nourrici�res, les graines, les �corces, les bourgeons, les bulbes, les tubercules, les insectes et toutes les petites cr�atures qu�ils peuvent capturer dans la for�t, contre les gaufrettes et les g�teaux mang�s dans la main de l�homme. Esp�ce prot�g�e par la convention de Washington, elle pourrait dispara�tre si des mesures concr�tes pour faire appliquer la l�gislation ne sont pas prises rapidement.